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04/08/2013

Napoléon et l'Europe unie

"L'Europe n'eût bientôt fait de la sorte véritablement qu'un même peuple, et chacun en voyageant partout, se fût trouvé toujours, dans la patrie commune." (Napoléon Ier, 24 août 1816, Sainte-Hélène)

Kohl et l'immigration extra-européenne

kohl.jpgAlors que l'ancien chancelier social-démocrate Helmut Schmidt, dans un entretien récent auquel j'ai consacré un article, avait expliqué que si l'assimilation des Européens était aisée, celle des Turcs paraissait beaucoup plus difficile, on apprend que l'ancien chancelier Helmut Kohl, en 1982, n'en pensait pas moins.

Dans un article du journal turc Hürriyet, on apprend ainsi que pour Kohl, "il serait nécessaire dans les quatre prochaines années de diminuer de 50% le nombre de Turcs [en Allemagne]", reconnaissant toutefois qu'il ne lui serait pas possible de "le dire publiquement".

Il explique également que l'Allemagne "n'a jamais eu le moindre problème avec les Portugais et les Italiens (...) parce que ces communautés s'intégrent bien", ajoutant que c'est parce qu' "ils étaient européens". En revanche, Kohl considérait que le nombre de Turcs était bien trop important pour envisager leur assimilation, car "ils proviennent d'une culture tout à fait différente".

Non seulement Helmut Kohl aurait été opposé à l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne, comme Angela Merkel prétend l'être, tout en ne faisant rien pour mettre fin au processus, et était un défenseur du ius sanguinis, comme le candidat CSU Edmund Stoiber, mais il avait ainsi manifesté son refus d'une multiculturalisation de l'Allemagne, processus que Merkel a reconnu comme un échec, mais sans rien faire pour revenir en arrière.

On découvre ainsi que de grands dirigeants européens, pour qui le projet d'Europe unie avait tout son sens, des "pères fondateurs" de l'Europe moderne, comme Valéry Giscard d'Estaing, Helmut Schmidt et désormais Helmut Kohl, ont dénoncé une situation qui n'a cessé d'empirer depuis avec une lucidité sans faille.

Ce qu'il faudrait comprendre, c'est pourquoi ils n'ont rien pu faire lorsqu'ils étaient au pouvoir pour endiguer une involution dont ils savaient qu'elle était calamiteuse.

Qu’est-ce qui fait monter le FN ?

Qu’est-ce qui fait monter le FN ?

fnuf.jpgMême s’il est désolant qu’un parti europhobe comme le FN soit extrêmement haut dans les enquêtes d’opinion, on ne saurait plus nier la réalité d’un vote de plus en plus significatif en sa faveur. Un sondage pour les élections européennes le place même à 18% des voix, ce qui est considérable pour ce type d’élection. Rappelons qu’en 2009, alors qu’il avait pourtant digéré la scission du MNR et remonté déjà la pente par rapport à son effondrement à 4,3% aux législatives, le FN ne fit que 6,34% des voix. En clair, avec 18% des voix, il progresserait en cinq ans de 185%. Mais un sondage IFOP de fin mai le place même à 21%, et à 20% en juin selon l’institut CSA. C’est dire qu’il faut s’attendre pour juin 2014 à un résultat très élevé pour ce parti. De plus, il conserverait en points voire dépasserait le score de Marine Le Pen aux présidentielles de 2012. Comment expliquer une telle progression dans l’opinion publique de ce parti ?

Le PS, allié de fait du FN

On se souviendra que François Mitterrand avait joué la carte du FN pour diviser la droite. Ce jeu machiavélien avait consisté d’abord à encourager les media à inviter l’outsider Le Pen puis à introduire une part de proportionnelle en 1986, offrant au FN un groupe parlementaire pendant deux ans. On sait en outre que l’anti-racisme que le PS mettra en avant était destiné en partie à empêcher toute fusion des droites, fusion qui aurait anéanti tout l’intérêt de la manœuvre.

Mais aujourd’hui, alors que le FN a éliminé le PS d’un second tour dans plusieurs législatives partielles, il est bien évident que cette stratégie a été abandonnée. Désormais, le PS cherche par tous les moyens à faire baisser le FN mais il s’y prend si mal qu’il fait son jeu. Et les résultats du gouvernement sont, en matière d’immigration et d’insécurité, si désastreux, par une sorte d’effet « Taubira », malgré les formules choc du ministre de l’intérieur, qu’il ne peut en être autrement.

L’UMP est divisée en deux lignes quasi incompatibles, entre les européistes timides lorgnant sur le centre de François Fillon, et une droite populiste et davantage eurosceptique autour de Jean-François Copé. Une ligne européiste et populiste à la fois pourrait réussir. C’était la ligne de Nicolas Sarkozy, mais cette synthèse a explosé. Elle n’est donc pas en mesure d’empêcher la fuite d’électeurs populaires vers le FN.

Mais c’est pourtant bien le PS qui est le principal responsable de ce vent d’europhobie qui souffle sur notre pays et profite au Front. Alors que l’UMP met en avant une « histoire de la nation européenne », écrite par le député européen Philippe Juvin, le gouvernement PS a vis-à-vis de l’Europe une attitude contradictoire et souvent hostile. François Hollande ne parle d’ailleurs quasiment jamais d’une manière positive de l’Europe, ayant prétendu pendant sa campagne que la France seule pourrait la réorienter dans le sens de la croissance. Quant à Jean-Luc Mélenchon, qui tape beaucoup sur l’UE, sans remettre en cause pour autant l’€uro, et en soutenant d’une manière caricaturale l’immigration, il favorise là encore le FN en orientant l’électorat populaire qui lui reste vers des thématiques eurosceptiques, le FN ayant acquis une légitimité sur ces questions, d’où le positionnement très ambigu vis-à-vis de lui d’un Dupont-Aignan.

Qu’oppose le PS au FN de Marine Le Pen ? Il tente à nouveau la vieille ficelle complètement usée de l’antiracisme et de l’antifascisme, de l’indignation exacerbée pour tel ou tel propos relativement anodin d’un des dirigeants de ce parti. On reprochera à Marine Le Pen d’avoir comparé l’occupation des rues par la prière musulmane à l’occupation allemande, alors qu’on reprochait a contrario à son père d’avoir sous-estimé la nocivité de la seconde. Cette attitude ne paie pas. Ce n’est pas en dissolvant quelques partis extrémistes, en les reliant plus ou moins implicitement au FN, ou en arrêtant un norvégien radical, qui avait appelé à voter pour Marine Le Pen en 2012, qu’il arrivera à le faire baisser.

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02/08/2013

Relents monarchiques sous la 5ème République

monarchie,Mitterrand,dérive,république gaullienneIl peut sembler paradoxal de parler de relents de nature monarchique dans un système républicain, comme celui de la France sous la cinquième république. Pourtant nous allons voir que cela n’a rien de déplacé. Surtout cela va bien au-delà des fameuses « dérives monarchiques » que l’on a dénoncé à gauche dès les présidences du général Charles de Gaulle.

Dans sa perspective historique, Thomas Ferrier a associé la démocratie au polythéisme et la monarchie au monothéisme. Nous constaterons, en effet, qu’il y a des relations entre les traits monarchiques et une forme de pensée religieuse, voire monothéiste.

Charles de Gaulle a voulu que le président ait un certain domaine réservé, à savoir la défense et la politique étrangère. Ainsi le président peut-il décider seul d’engager l’armée : il ne peut cependant pas prolongement indéfiniment cet engagement sans l’aval de l’Assemblée. De plus il ne peut pas décider du budget de la défense. Aussi ses prérogatives sont-elles, malgré tout, limitées.

Avec les présidents qui ont suivi, peu à peu le domaine réservé s’est élargi jusqu’à toucher un peu tout. Cependant, si le président promulgue les lois, il ne les vote pas. En droit, la politique de la nation reste entre les mains de l’Assemblée. D’ailleurs, en cas de cohabitation, le pouvoir présidentiel est très limité ; c’est surtout un pouvoir de nuisance, de blocage. Si, en dehors de ce cas, le président a une influence si forte, c’est parce qu’il tient sa majorité.

C’est avec François Mitterand que les choses ont vraiment changé de nature. Avec celui qui reprochait pourtant au Général le « coup d’état permanent », la France a connu le premier monarque républicain. Les choses se sont désormais décidées « au château ».

Ce n’est pas tellement la personnalité du premier président de gauche qui l’explique, même s’il était lui-même issu d’une droite nationaliste. C’est dans la façon de pensée des militants du parti « socialiste » qu’il faut chercher l’explication. Voilà qui ajoute un nouveau paradoxe, quand on sait que le socialisme authentique privilégie la décision collective, à l’opposé de toute forme monarchiste. De fait, le « socialisme » officiel n’a conservé que les modalités, les apparences de la décision collective. Michel Rocard dénonçait une sorte de fétichisme dans les milieux de gauche, plus attachés aux symboles qu’aux réalités, peut-être à la suite des nombreuses désillusions qu’ils ont connues.

Les milieux de gauche sont désormais porteurs d’une idolâtrie qui n’a rien de semblable à ce que l'on rencontre à droite. Il leur faut à tout prix un grand prêtre, que celui-là les prenne de force comme Mitterrand, où qu’il soit le fruit d’élections primaires de circonstance comme Ségolène Royal et François Hollande. Une fois désigné, par lui-même ou presque par hasard, ce grand prêtre est le nouveau Dieu, celui d’un peuple de moutons fidèles. Ainsi Mitterand a-t-il d’abord été le premier « président de droit divin », celui qui se laissait appeler « Dieu ».

Ainsi le président Mitterand n’était-il pas celui des Français, mais celui d’un parti religieux, une sorte d’Ayatollah. C’est ce qui explique la capacité de résistance à la cohabitation dont il a fait preuve.

Ses prédécesseurs Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ne disposaient pas de ce peuple de fidèles. La majorité était divisée et beaucoup moins « godillot » qu’on ne l’a dit. Elle suivait en général, non pas par ferveur religieuse mais par pragmatisme, chacun cherchant à se faire réélire, du moins tant que la référence présidentielle étaient perçue positivement.

Ensuite Chirac est arrivé et s’est comporté en « président-roi fainéant ». Il y a peu à dire sur son compte. Le cas de Nicolas Sarkozy est plus intéressant. Il a laissé l’image d’un hyper-président, se mêlant de tout. Pourtant le comparer à Mitterand serait une erreur. Comme Pompidou et Giscard, la droite l’a suivi par pragmatisme, parce qu’il a su parler des sujets que les gens ont au cœur, du moins tant que la comparaison entre son action et ses promesses ne l’a pas desservi. Il ne tenait pas sa majorité autant qu’on l’a dit. C’est elle qui lui a imposé de conserver Fillon comme premier ministre.

Le discours d’un candidat ou d’un président est désormais celui d’un despote. Il ne dit pas qu’il soumettra tel projet au parlement, mais qu’il décidera. Madame Royal annonçait partout « sa première mesure ». Le « Moi président » annonçait que jamais telle option ne serait retenue.

Aujourd’hui notre président, François Hollande, est de nouveau « socialiste ». Comme Mitterand, il se prend pour « Dieu ». Cependant il tient aussi du roi fainéant et manœuvrier qu’était Chirac, minimisant sa responsabilité pour tout ce qui fâche et paradant en chef de la Françafrique quand il en a l’occasion. Il arrive qu’on le contredise, qu’un Claude Bartolone ne veuille pas d’une transparence qu’il a pourtant « décidée ». Mais il s’en sort toujours parce qu’il a pris l’habitude de dire tout et son contraire. Finalement le peuple ne l’écoute plus. Ce qui est extraordinaire n’est pas qu’on puisse lui tenir tête, mais qu’il puisse encore décider quelque chose. C’est bien parce son peuple de fidèles est toujours là, qui feint de critiquer le Premier ministre et sa politique pour le ménager lui-même.

Peter EISNER (PSUNE/LBTF)

La monarchie, une conception non-européenne du pouvoir !

république,démocratie,Europe,paganisme,monarchie,christianisme,oligarchieMalgré la révolution française, nombreux sont encore les Européens à se référer positivement à la monarchie, même sous une forme considérablement édulcorée, à cette « monarchie de droit divin » qui avait présidé à la destinée des nations et peuples du continent pendant des siècles. Et certains, certes peu nombreux en France, face à une Europe sur le déclin, s’imaginent même que c’est en restaurant la conception classique du monarque que notre civilisation pourrait renaître.

La royauté païenne, un pouvoir républicain.

En affirmant le caractère non-européen de la monarchie, une conception importée de l’orient, je devine qu’on m’opposera les rois de légende de l’antiquité. Mais ces derniers étaient d’une nature radicalement différente. Le *regs indo-européen, qui a donné le rex latin et le roi en français, n’est pas le *m’lk afrasien. Il est au sens strict le « garant du droit », présidant à l’assemblée du peuple, après avoir été choisi ou élu par cette dernière. Il bénéficie aussi de fonctions diplomatiques et dispose d’un rôle important au sein du culte. Il peut enfin avoir en charge les affaires militaires, bien qu’il soit parfois concurrencé par d’autres personnalités de premier plan au rôle bien établi. Le caractère jumeau du consulat romain comme de la royauté spartiate, laisse penser à l’existence d’un chef d’armée indépendant, lui aussi élu, et peut-être en outre d’un équivalent du « tribun de la plèbe », un *lewthyonos en proto-indo-européen ou « représentant des hommes libres ».

Même si Romulus à Rome dispose des trois fonctions, et s’il est le fondateur de la cité, il est choisi et par les dieux et par les hommes qu’il rassemble autour de lui. Mais c’est le peuple et lui seul qui est le véritable souverain, d’où le mythe selon lequel Romulus est finalement mis à mort par les sénateurs, même si une autre version le fait enlever par un nuage d’orage derrière lequel se cache la main de son père Mars. En revanche, Numa Pompilius apparaît comme le modèle du bon roi, un législateur soucieux du bien commun et se soumettant à la volonté du peuple. Les rois étrusques, dont la conception du pouvoir provient probablement de la monarchie hittite, se rendront en revanche insupportables aux yeux du peuple et seront chassés.

Les royautés mycéniennes, attestées par un vocabulaire spécifique, le basileus ou « roi » comme le wanax ou « chef » étant les détenteurs d’un « pouvoir », ne dérogent pas à cette règle. A l’époque classique, sauf à Sparte, toutes les royautés avaient disparu. Ces rois mythiques, qui étaient avant tout des héros fondateurs et non des souverains absolus, et les fils des dieux à une époque où ceux-ci s’unissaient encore aux mortels, connurent d’ailleurs tous un sort tragique à Troie ou à leur retour de cette guerre meurtrière. Agamemnon, ayant fait preuve d’un orgueil propre aux rois de l’orient, sera mis à mort par son épouse et son amant. Le basileus est un chef de guerre, connu pour ses exploits ou son intelligence, comme Achille (au combat), Nestor (en sagesse), Ulysse (en ruse) ou Thésée, tueur du Minotaure.

Si la Grèce a été influencée par l’Orient, la monarchie s’imposant par ailleurs aux peuples indo-européens installés sur ces terres, comme les rois hittites et les shahs d’Iran, elle se rebellera très vite contre une conception étrangère à sa nature propre. Si la mythologie en conserve l’existence, une mythologie de souche indo-européenne certes mais qui s’inspirera aussi des légendes de Phénicie ou de Mésopotamie, l’histoire perd vite leur trace.

Chez les Celtes, le rix est un chef de tribu, même si l’Ardri irlandais ou « grand roi » dispose d’un pouvoir plus conséquent. Brian Boru, brillant chef de guerre, fut Ardri, avant de mourir au combat face aux Vikings. Mais il avait été élu pour cette fonction. Le rajah indien n’était guère différent même si un maharajah les commandait, comme le fameux ami d’Alexandre, le roi Chandragupta.

Chez les Germains, les Slaves et les Baltes, le terme désignant un roi au sens moderne du terme est toujours d’inspiration étrangère. Le « kuningaz » germano-scandinave n’était qu’un « chef de lignée » et chez les Baltes et Slaves, c’est l’image du roi chrétien de l’Occident médiéval, le « Carolus » Magnus, qui servit à former le terme de « souverain ».

Les Indo-Européens avaient une conception politique beaucoup plus proche de la démocratie, où le « roi » n’était qu’un président élu. Alexandre le grand lui-même dut obtenir le soutien de l’assemblée avant de pouvoir succéder à Philippe. Et lorsqu’il exigea de ses troupes qu’elles se mettent à genoux devant lui, celles-ci refusèrent avec fierté, alors que les soldats de Perse ou de Babylone le firent en revanche sans discuter.

Hippocrate et Aristote eux-mêmes avaient constaté que les hommes d’Europe aimaient la liberté et refusaient de se soumettre au pouvoir d’un seul, alors que l’orient post-sumérien était coutumier de l’autocratie. Le pharaon égyptien et le melekh sémitique étaient en revanche représentants de Dieu ou des Dieux sur terre, et leur personne était sacrée.

La monarchie chrétienne, victoire de l'Orient.

Mais avec l’ascension des religions orientales dans l’empire romain, la conception non-européenne du pouvoir qu’était la monarchie s’empare de l’Europe. C’est avec Constantin que le pouvoir change véritablement de nature, même si Dioclétien le païen avait déjà exigé des citoyens de l’empire qu’ils plient le genou. Constantin met fin à la tétrarchie, rétablissant le pouvoir d’un seul homme. Un seul empereur, un seul Dieu. Naturellement, Constantin perçoit la parenté profonde entre le polythéisme et la polyarchie ou « république ». Ne voulant plus avoir affaire à des citoyens mais à des sujets, non plus à des hommes libres mais à des esclaves, il s’appuie naturellement sur une religion qui exige la soumission, de même que les gros propriétaires terriens préfèrent des paysans officiellement libres mais soumis aux prêtres à des esclaves ayant conscience de leur valeur.

Si la monarchie chrétienne a aboli l’esclavage physique, c’est pour introduire l’esclavage moral, beaucoup plus efficace. Alors que dans la république, l’empereur n’est qu’un citoyen parmi d’autres, tout comme Romulus n’était qu’un romain parmi d’autres, il devient au IVème siècle un seigneur qui exige qu’on lui obéisse, qu’on soit simple paysan du Latium ou sénateur.

C’est bien pourquoi l’empereur Julien va échouer à restaurer l’antique tradition car, aussi humble soit-il, il n’est pas en mesure de rétablir la res publica. Ce n’est pas un hasard si les Prétoriens, la garde d’honneur de Rome, combattront le christianisme et les empereurs qui en feront promotion. Et ce n’est pas non plus un hasard si la première action de Constantin en tant qu’empereur unique sera de dissoudre leur corps.

Le roi païen et indo-européen n’est que le représentant du peuple, qui peut en changer s’il l’estime nécessaire, et même le faire mettre à mort, comme dans la Scandinavie viking. Avec la christianisation de l’Europe, partout avance cette monarchie orientale que Constantin établit d’abord à Rome. Le roi viking en a assez de devoir rendre des comptes devant la Thing. Le duc lituanien ne veut plus que la Seimas lui dicte sa conduite. Alors il se fait chrétien. Il fait rentrer les prêtres dans son pays, ceux-ci prêchant la soumission non seulement à la « sainte Eglise » mais aussi au roi devenu un « berger » pour son peuple, traitant ainsi les citoyens comme des moutons. Ce n’est pas Romulus ou Ménélas, Mérovée ou Celtillos qui serviront de modèle au roi « très chrétien », mais Salomon et David.

De l’Irlande à la Lituanie, les démocraties traditionnelles s’effaceront devant l’autocratie. Les hommes libres deviendront des serfs ou au mieux des vassaux. La Thing islandaise devra se soumettre aux diktats des rois chrétiens, de Norvège puis du Danemark. Mais la tradition européenne survivra, comme avec ces Etats généraux que la monarchie capétienne avait conservés, et qui seront la base d’un renversement du système.

Si les anglais auront mauvaise conscience pour avoir décapité leur roi, aidés en ce sens par la tyrannie de Cromwell qui le leur fit regretter, les français prendront le relai et, dans des conditions parfois détestables, introduiront à l’époque moderne le doux nom de « république ». Napoléon voudra en quelques années nous faire passer de Brutus l’Ancien à Auguste puis à Louis XIV, mais il se heurtera aux peuples. La monarchie survivra mais si elle ne sera plus que symbolique. La naissance d’un « Royal baby » enflammera encore les foules, comme quand Télémaque sortit du ventre de Pénélope, mais pas plus que les enfants de certaines actrices ou chanteuses américaines.

Contre les tyrannies, pour une Europe vraiment démocratique.

A Rome, on cultivait l’odium regni, la haine de la royauté, et les Athéniens rejetaient de leur mémoire la tyrannie de Pisistrate. Socrate, pour avoir été trop proche des trente tyrans établis par Sparte après la mort de Périclès et la chute de la cité pendant les guerres du Péloponnèse, en paiera le prix.

Et maintenant que la religion chrétienne n’est plus assez forte pour maintenir le pouvoir sacré des monarques, nous avons pu restaurer l’antique démocratie, mais le pouvoir du peuple est encore trop souvent détourné par des politiciens et oligarques qui entendent nous soumettre sous prétexte d’avoir été élus sur des mensonges. La démocratie européenne est un combat quotidien contre les tyrans, qu’ils apparaissent sous leur vrai jour ou sous de prétendus traits « républicains ».

Il est temps de bâtir la république européenne sur la ruine des monarques et des chefs d’état. Par le peuple. Pour le peuple. Voilà quelle est la conception européenne du pouvoir ! Voilà ce qui fait de nous des épris de liberté, des Europaioi, comme l’écrivait Hippocrate il y a 2500 ans. Debout, Européens et à bas les tyrans !

Thomas FERRIER (PSUNE)

Terra Mater

Terre-mère,Déméter,écologie,natureLa plupart des spécialistes de la mythologie comparée, s’ils évoquent parfois l’existence de déesses indo-européennes, en oublient constamment une, et sans doute la plus importante. Il est vrai que pendant longtemps un mythe récurrent était de présenter la religiosité indo-européenne comme essentiellement céleste, solaire et masculine. Puis ils ont fini par accepter de reconnaître l’existence d’une déesse de l’aurore, présentée comme la fille du dieu du ciel (*diwos *dhughater), et Gregory Nagy dans son ouvrage « Le meilleur des Achéens », a consacré une étude remarquable sur ses avatars grecs, à savoir Athéna et Aphrodite.

Or, de toutes les déesses, celle qui est primordiale, l’épouse de *Dyeus et la mère des autres dieux ou « célestes » (*deywos), est négligée. Pourtant, sous la forme dyavapŗthivi, l’Inde védique a voulu mettre à égalité le dieu du ciel et la déesse de la terre, au point que ce couple ne forme plus qu’une seule entité fusionnelle, comme si Ouranos n’avait pas été séparé de Gaia par la serpe de Cronos.

La terre-mère indo-européenne était *Dhghom *Mater, mais ce nom était un parmi d’autres, même s’il était le seul véritable. Elle se retrouve sous les traits de la Dêmêtêr grecque, qui était Dêô Mêtêr, celle qu’on surnommait Europê à Lébadeia près de Thèbes, l’épouse d’un Zeus Eurôpôs omniscient et omnipotent. De ses amours avec Zeus, elle eut d’ailleurs une fille, qui devint la reine des Enfers. Elle est aussi la Dhë Motë, « terre sœur » albanaise, mais aussi la lituanienne Zemyna, la lettone Zemes Māte, l’iranienne Zamyat et la phrygienne Sémélê. Sous le nom composé Mat’ Syra Zemlija, parfois réduit en Mokoch’, elle est enfin une déesse de premier plan chez les Slaves.

Son nom se retrouve aussi sous celui de la déesse grecque primitive Gê ou Gaia, dont le rôle se confond avec celui de Dêmêtêr, même si cette dernière apparaît davantage comme une déesse de l’agriculture que comme la terre incarnée, et dans des mots comme le grec χθων, l’hittite tekom et le sanscrit kșam.

En raison de la dimension sacrée qui était la sienne, certains peuples hésitèrent à l’appeler par son nom authentique et préfèrent avoir recours à des épiclèses la désignant. Ainsi, était-elle *peltawi, « la plate », à une époque où notre astre était vu comme un disque et non comme un globe. La déesse celte Litavis et la déesse indienne Pŗthivi en résultèrent. Mais elle était aussi *werui, « la large », ce qui donna la déesse indienne Urvi et la grecque Europê préalablement évoquée. Parfois, la terre elle-même se résumait au sol, à partir d’une racine indo-européenne *ter- ou *tel- comme dans *telom, « le sol ». Elle fut ainsi Tellus, épouse de Jupiter, ou Terra Mater à Rome, mais aussi Cérès en tant que déesse du blé mûr. Les Germains en revanche ne considéraient la terre que cultivée. L’Erda germanique, la Jörd scandinave, était la déesse de l’*era ou « champ cultivé », et devint l’épouse de Wotan / Odhinn, ce dernier s’étant substitué à l’antique dieu du ciel, Tius ou Tyr, relégué au rôle subalterne de dieu de la guerre juste.

La Terre-mère était considérée en outre comme la seule véritable épouse du Ciel-père, dont les autres épouses ou maîtresses n’étaient généralement qu’un aspect particulier. A l’époque indo-européenne, sous le nom de *Diwni, qui donnera le concept indien de Devī, « la Déesse », elle est l’épouse de *Dyeus, « celle de *Dyeus » au sens strict, sa parèdre. Dans le monde grec, Héra, déesse de la terre au printemps et en été, durant la « belle saison », ce qui est le sens étymologique de son nom, mais aussi Dêmêtêr, Sémélê et Dionê, ont partagé la couche du dieu du ciel. Elle est en Inde l’épouse de Dyaus Pitar, en Lituanie celle de Dievas.

De l’union du ciel et de la terre sont nés les dieux et les hommes et l’univers tout entier. C’est par la fusion des contraires, d’un principe masculin et d’un principe féminin, réunis parfois par l’entremise d’un Amour primordial, l’Erôs né de l’œuf cosmique, que le cosmos fut.

Les mythologues du monde grec ont voulu faire d’elle l’épouse d’un Poséidon, dont le nom aurait signifié « époux de la terre », se souvenant du jour où un Poséidon Hippios, sous les traits d’un cheval, voulut s’unir à une Déméter changée en jument. Il est vrai qu’un tel époux a existé dans la mythologie balte avec le Zemepatis letton, époux en titre de Zemes Māte, mais c’est un cas isolé. Poséidon était probablement en réalité le « maître des eaux », du fait du double sens du terme *potis, « époux » et « maître », et d’une confusion avec la déesse des rivières, P.I.E *Donu, qu’on retrouvera ultérieurement sous les traits de Danaé, d’où l’image du « tonneau des Danaïdes », cette idée de fleuves se déversant en un seul puits mais sans jamais parvenir à le remplir.

La Terre était aimante pendant presque les trois quarts de l’année et se rendait détestable au dernier trimestre. Pour expliquer sa nature changeante, passant de l’extrême générosité à la pire rigueur, les Grecs inventèrent l’enlèvement de sa fille Korê par son oncle, le dieu des Enfers arborant la tête de loup comme Arès son casque, une tête qui lui permettait de devenir invisible non seulement aux mortels mais aussi aux immortels. Comme elle était aussi la fille de Zeus, Hadès dut négocier âprement et user de mêtis, convainquant celle qui devait devenir son épouse à manger les pépins d’une grenade cultivée en Elysion, afin que cette dernière ne puisse plus le quitter. Mais Zeus était au-dessus de ces ruses et, s’il admit l’union de ces deux divinités, exigea de son redoutable frère qu’il consente à libérer sa femme pendant une moitié de l’année afin qu’elle puisse rejoindre sa mère. Les Slaves préfèrent invoquer la terrible Morena, déesse de la mort et de l’hiver, que seul le maître de l’orage Perun parvenait à tenir en respect.

Il est possible qu’à l’origine la Terre-mère indo-européenne partagea son temps entre le ciel et les enfers, entre le Zeus céleste et Zeus souterrain, Hadès étant parfois appelé le « Zeus d’en-dessous ». Cela expliquerait le changement de saison, la Terre étant à la fois pourvoyeuse de vie et déesse de mort. Si l’homme du commun, le « terrien », P.I.E *ghemon, retournait « à la terre », les héros et les sages en étaient en revanche dispensés car, ayant acquis la gloire impérissable, ils se voyaient ouvrir les portes du paradis, île aux pommes ou vaste plaine verdoyante.

Le respect de nos ancêtres pour cette déité bienveillante, même si elle pouvait parfois se montrer impitoyable, était une réalité. Ce ne fut pas le cas chez tous les peuples, et au sein des polythéismes du Proche-Orient, dans des pays où le sol était aride, et où la pluie devenait une bénédiction, la Terre-mère disparut du culte. C’est le seul dieu du ciel qui eut les plus grands honneurs, au point de servir de base à la religion du dieu unique, un dieu qui offrit la terre aux hommes, sans se soucier du risque qu’ils finissent par la détruire. La Terre n’était plus qu’une « vallée de larmes », ses seins nourriciers étant rejetés par des peuples qui se croyaient être émancipés.

Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)