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29/12/2011

Une mauvaise loi au service d'une mauvaise stratégie

vahakn.jpgLes lois mémorielles relèvent d’une démarche politique fondée à la fois sur la démagogie politicienne, prenant en otage une communauté, et en même temps sur une attitude fondée sur une peur qui, même légitime, reste mauvaise conseillère, de la part de la dite communauté.

L’UMP a voulu provoquer la Turquie pour l’éloigner de l’Union Européenne, ce qui paraît réussi, tout en recevant l’appui pour d’autres raisons des élus « socialistes », toujours favorables au principe de lois mémorielles destinées à limiter la liberté d’expression des citoyens. Au lieu de se servir de ces biais détournés, en concoctant une bien mauvaise loi, le président Sarkozy aurait dû bien au contraire prendre ses responsabilités, dès 2007 d’ailleurs, et demander à nos partenaires l’arrêt immédiat, et définitif, du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE, entamé à tort et de manière irresponsable en avril 2005. Il aurait ainsi respecté ses engagements de candidat et aurait procédé à une clarification utile. En effet, ce processus n’est pas bon pour l’Europe, et d’ailleurs une majorité de citoyens européens sont opposés à cette adhésion, mais il n’est pas bon non plus pour la Turquie. Nous n’avons pas de destin commun, et d’ailleurs, bien qu’admirateur sincère de la civilisation européenne, Mustafa Kemal lui-même n’avait jamais eu l’intention de faire de la Turquie un pays européen, mais s’inspirait bien davantage du Japon, qui avait su adapter les acquis de notre civilisation tout en conservant son identité.

Pour des raisons stratégiques, l’AKP a souhaité affaiblir son opposition nationale, essentiellement incarnée par l’armée, en se servant de ce processus d’adhésion comme levier de réformes allant dans le sens de sa démarche politique. C’est pourquoi il serait bon que les nationalistes turcs laïcs, eux aussi opposés à cette loi française, mais également hostiles à l’intégration européenne, puissent retrouver des couleurs. Du peuple turc, nous n’exigeons rien et c’est à lui seul de choisir, de manière souveraine, ce qu’il souhaite ou non affirmer ou reconnaître.

Il n’y a aucun besoin, pour protéger les Arméniens de France comme d’Arménie, de se mettre la Turquie à dos, et ce même si nous sommes totalement opposés à son adhésion. Il vaudrait mieux, pour de bonnes raisons, que le gouvernement français renonce à cette nouvelle loi mémorielle et, courageusement, abroge aussi les lois mémorielles précédentes. En revanche, et dans le même temps, il convient de mettre fin de manière unilatérale au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, au profit d’une relation apaisée mais distincte.

Toutefois, cela ne signifie en aucune manière, bien au contraire, qu’il faille être inattentif aux légitimes angoisses arméniennes auxquelles nous, vrais européistes, devons apporter les bonnes réponses. Et cette loi mémorielle n’en est pas une. Il faut en premier lieu affirmer la reconnaissance pleine et entière des Arméniens comme un peuple européen, ce qu’ils sont à tous points de vue, n’en déplaise à certains nationalistes, en Russie ou ailleurs, un peuple européen aux frontières extrêmes de notre continent. Et il faut affirmer aussi que, parce qu’européenne, l’Arménie a vocation au même titre que la Géorgie voisine, mais aussi que la Russie, à rejoindre l’Union Européenne et à s’abriter derrière son bouclier géopolitique et économique. C’est avec nous, entre européens, que le peuple arménien retrouvera la sérénité et la splendeur passée. Ainsi, qui s’attaquerait demain aux Arméniens s’attaquerait en même temps à l’Europe toute entière. Et cette affirmation de l’européanité de l’Arménie, et ce qui devra en suivre logiquement, voilà la bonne réponse. Nous n’oublierons pas les fils d’Hayk dans l’Europe de demain, mais nous n’exprimerons notre sympathie à leur égard par une loi liberticide de circonstance.

Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE

26/12/2011

Du principe contesté des lois mémorielles et de la Turquie en particulier

themis.jpgLa proposition de loi n°3842 portant « transposition du droit communautaire sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l’existence du génocide arménien » a été adopté en première lecture par l’assemblée nationale la semaine dernière, suscitant une réaction extrême du gouvernement turc. Le texte de loi propose de transposer une directive communautaire en droit français, directive qui ne vise pas spécialement la question de l’arménocide de 1915 mais qui élargit les dispositions de la loi dite « Gayssot » antérieures, celle-ci étant dédiée exclusivement au judéocide commis par le régime national-socialiste allemand. Si cette nouvelle loi inclut de fait des sanctions accrues contre la « négation ou la banalisation grossière » de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, et si elle offre la possibilité à des associations de se porter partie civile, elle ne concerne qu’accessoirement le négationnisme turc. Il s’agit avant tout d’une nouvelle loi à vocation antiraciste, destinée à sanctionner pénalement l’expression de certaines idées et de certains propos.

A partir de ce constat, deux attitudes seulement sont cohérentes. Ou bien on est favorable par principe à la liberté d’expression, et alors non seulement il faut s’opposer à cette nouvelle loi mais il faut alors demander aussi l’abrogation de la loi précédente de 1993, même si le sujet est délicat à aborder. Ou bien on considère que la liberté d’expression doit être encadrée par la loi, et alors il n’y a aucune raison de ne pas traiter la négation de l’arménocide à égalité avec celle du judéocide, comme le fait à juste titre remarquer Caroline Fourest dans un article du journal Le Monde daté de samedi.

En vérité, lorsqu’on fait le choix de limiter la liberté d’expression des citoyens, et y compris leur droit à affirmer des contre-vérités, on se dote d’un mandat sans légitimité, au nom d’une conception du bien qui n’appartient qu’à vous. Le censeur, même animé des meilleures intentions du monde, ne doit pas exister en démocratie. Aussi, les européistes que nous sommes proposeront dans la constitution de la future république européenne que nous appelons de nos vœux l’affirmation de la liberté d’expression, la seule entrave étant naturellement la diffamation envers une personne en particulier, comme principe constitutionnel, à l’instar du premier amendement américain. Ce n’est pas au législateur de décréter ce qu’il doit être permis d’écrire ou de dire, et il n’est pas normal que des associations auto-proclamées légitimes puissent intervenir au tribunal pour faire taire tel ou tel.

En outre, ces lois mémorielles ne rendent pas service aux causes qu’elles prétendent défendre, puisque les contre-vérités s’appuient toujours sur un martyrat pervers, et condamner des gens pour ce qu’ils ont dit ou écrit, c’est les mettre en position de victimes de l’injustice, ce qui implique de donner d’une certaine manière crédit à leurs mensonges. Je ne souhaite pas que des falsificateurs puissent se donner l’image de martyrs, et c’est par le mépris et le travail historique qu’il faut leur répondre.

L’opinion française est manifestement majoritairement opposée à cette nouvelle loi, ce qui implique qu’elle est tout autant opposée à la loi précédente. Mais lorsque François Bayrou ou Dominique de Villepin rejettent cette nouvelle loi, sans remettre en cause l’autre loi évoquée, ils ne sont pas cohérents et manquent de courage dans l’affirmation de leur point de vue. Ou bien les deux lois, ou bien aucune. Cette loi contestée a en revanche le mérite de la cohérence, puisqu’elle est dans la continuité des principes du droit actuel, s’appuyant sur des conventions internationales signées par la France, sur des directives communautaires, et aussi sur la loi française, et complète et élargit les textes antérieurs.

Maintenant, puisque l’un des principaux arguments des opposants à cette loi étant qu’elle serait de circonstance, et purement électoraliste, interrogeons-nous honnêtement à ce sujet. Je ne crois pas qu’elle soit destinée à encourager le vote de la communauté arménienne envers Nicolas Sarkozy, cette dernière étant animée par bien d’autres considérations, comme tous les autres citoyens, que cette question certes liée à une immense et incontestable tragédie. Il serait extrêmement naïf de s’imaginer qu’une loi, qui ne concerne pas spécifiquement ce sujet, comme cela a été montré, amènerait des citoyens responsables à choisir leur président en conséquence.

En vérité, Nicolas Sarkozy avait une autre idée en tête, qui était de pousser le gouvernement turc à l’excès. Sarkozy étant incapable, alors qu’il s’y était engagé, de mettre fin de manière unilatérale au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, s’est servi d’une question sensible pour pourrir la situation. Lorsqu’on constate la réaction outrancière d’Erdogan et de ses amis, lorsqu’on assiste avant et après ce vote à des pressions inadmissibles, lorsqu’on apprend que la députée qui a proposé cette loi, Valérie Boyer, est menacée par des extrémistes, lorsque le gouvernement turc accuse la France de génocide en Algérie, passant sous silence trois siècles d’occupation coloniale ottomane antérieure, on voit la Turquie contemporaine sous un autre jour. Peut-on souhaiter que ce pays rejoigne l’Union Européenne une fois que tout cela a été constaté. Et je n’évoque pas les menaces turques sur Chypre, le discours radical d’Erdogan sur Israël, la mansuétude dont il témoigne à l’égard du gouvernement iranien voisin.

Un autre élément à rappeler, c’est que de tous les partis turcs, le seul à être opposé à l’adhésion à l’Union est le MHP (« mouvement d’action nationale ») nationaliste, qui oblige Erdogan à surveiller sa droite. C’est le MHP qui au final est le principal bénéficiaire de ce vote français, la fierté nationale turque outragée sachant qu’elle est défendue vigoureusement par ce parti, qui a obtenu près de 15% des voix aux dernières élections législatives.

La manœuvre de Nicolas Sarkozy est donc évidente, à savoir contourner le refus de ses partenaires de dire non à la Turquie en provoquant cette dernière par une loi de circonstance, une loi qui par ailleurs restreint la liberté d’expression selon un principe mémoriel, ce qui suscite un large débat en France, débat qui me paraît une excellente chose si cela permet de discuter de la préservation des libertés individuelles.

Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE