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04/04/2016

Réflexions hebdomadaires (semaine du 28/03/2016)

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Palmyre.

La cité antique de Palmyre a été reprise par les forces syriennes gouvernementales aux fanatiques de Daesh, et ce avec l’appui militaire décisif de la Russie. Malheureusement le site a été considérablement dégradé, le temple de Baal n’est plus qu’un amas de pierres. Cette victoire bien trop tardive nous révèle un formidable gâchis. La responsabilité, ou plutôt l’irresponsabilité, des dirigeants occidentaux, est colossale. Le premier réflexe face aux « printemps arabes » qui fut par exemple celui de Mme Alliot-Marie, apportant un bref soutien à Ben Ali en Tunisie, avant que la presse n’en dise pis que pendre, était le bon. On se souviendra de l’attitude lamentable des occidentaux dans l’affaire iranienne en 1979, lâchant lamentablement le shah avant de réaliser leur méprise, ayant fait de Khomeini un défenseur des libertés avant de découvrir son vrai visage.

L’acharnement de certains dirigeants européens à vouloir à tout prix la tête de Bachar-El-Assad, et prêts à des alliances contre-nature pour obtenir sa chute, est incompréhensible. Qu’avons-nous gagné au final ? Une crise migratoire sans précédent contre laquelle le laxisme de l’actuelle Union Européenne, et de chacun des Etats membres, nous désarme. Des destructions sans doute irréparables du patrimoine antique de la Syrie et de l’Irak. Et un cancer islamiste au cœur du Proche-Orient qui nous envoie ses métastases se faire exploser dans nos capitales. Au final, avec l’aide de la Russie, c’est le régime baasiste qui reprend petit à petit le terrain. Et maintenant celui dont on souhaitait contre tous bon sens la déchéance devient le seul interlocuteur sur le terrain. Tout ça pour ça. Il eut mieux valu soutenir dès le départ Assad dès le premier fumigène de contestation. Combien de vies auraient ainsi été épargnées ?  Combien de sites antiques sauvés ? Et surtout cette brèche migratoire n’aurait pas existé.

Désormais tout le monde est perdant. Mais les dirigeants aveugles qui nous ont emmenés une nouvelle fois à ce désastre ne rendront aucun compte.

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De la déchéance de la nationalité en France.

François Hollande ce mercredi a annoncé renoncer à sa mesure phare, qu’il avait annoncé à grand fracas au lendemain des attentats de Paris, divisant ainsi sa propre majorité. Il accuse la droite d’être responsable de son propre échec puisque, modifiant le texte initial afin de ne pas trop déplaire à la gauche, il devait s’attendre à ce que la droite refuse, ce qu’elle a fait au Sénat, rétablissant le texte d’origine proposé par Hollande lui-même.

Cette mesure n’aurait pas été efficace et serait restée de l’ordre du symbolique, nous dit-on. Mais les symboles sont importants. Ils démontrent notre volonté de résister ou notre faiblesse. Certes ils ne suffisent pas. Ils ne sont qu’un premier pas. Mais si « nous sommes en guerre », comme le dit Manuel Valls, alors il est important de démontrer que nous sommes déterminés à gagner. Cette « déchéance » existait déjà dans le droit français, sans besoin de légiférer davantage, mais jamais aucun gouvernement n’a eu vraiment le courage de l’appliquer sans ménagement, sans atermoiement.

Ceci étant dit, la question n’a jamais été tant de déchoir quelqu’un d’une nationalité dont manifestement il n’aurait jamais dû disposer que de s’interroger sur les critères qui ont fait qu’il l’a obtenue. C’est bien au moment de l’attribution de la nationalité française qu’il faudrait se poser les bonnes questions mais on ne l’a jamais fait puisque ce sont des décisions administratives opaques qui sont à l’œuvre. La « gauche » notamment a ouvert largement l’accès à la nationalité, en France comme dans le reste de l’Europe, et la droite n’a jamais osé revenir en arrière. Lorsqu’elle a tenté de le faire, sous Giscard ou sous Kohl, la « société civile », c'est-à-dire en réalité les différents lobbies, églises aussi bien que loges, syndicats gauchistes ou grand patronat ultra-libéral, s’y est opposée. Voilà ce que la France, et l’Europe, récolte à avoir dévoyé depuis plusieurs décennies ce bien qui appartient au seul peuple et sans bien sûr jamais lui demander son avis, redoutant ou devinant que celui-ci serait le contraire du leur.

Les nationalités des Etats d’Europe occidentale ont perdu objectivement toute valeur, à force d’avoir dévoyé leur sens en la donnant à tout un chacun, oubliant que le principe démocratique de la nationalité, et ce depuis Périclès, c’était le « droit du sang » dont un Giscard prônait encore le rétablissement en 1991 sans être écouté. Schröder en 2000 fut de la même façon un irresponsable, tout comme Papandreou en Grèce ou Rienzi en Italie, en le sabotant. Le résultat est connu.

De la crise russo-ukrainienne.

Beaucoup de fantasmes sur la Russie de Poutine, que certains parent de toutes les vertus mais que nombreux au niveau médiatique accusent de méfaits ou de projets imaginaires. La Russie de Poutine joue en mode défense depuis 2003. Une fois que Poutine a mis fin au pillage de son pays organisé par les oligarques, même s’il en toléra certains, pour peu qu’ils se rallient à son régime et cessent toute activité politique, et qu’il a mis de l’ordre en Tchétchénie, au prix d’un compromis détestable avec un islamiste « modéré » qui devait se révéler pas si modéré que ça, il s’est trouvé en opposition avec les USA. Ceux-ci ont rapidement réactivé la doctrine Brzezinski qu’ils avaient abandonnée lorsque la Russie d’Eltsine gisait à terre. Poutine a essayé de jouer la carte de l’Europe contre les USA, mais l’Europe a été incapable de répondre à son appel. Alors il a fini par se lasser de tendre la main sans que personne ne la prenne en retour.

La Russie se retourne sur elle-même et s’isole, nous dit-on. Mais à qui la faute ? Quand elle s’est tournée vers l’Union Européenne, cette dernière était aux abonnés absents ou au téléphone avec Washington. A partir de 2006, Poutine a considéré que l’Europe ne ferait rien pour lui, qu’elle était incapable de s’émanciper de cette tutelle dont elle a héritée en 1945. La Russie se sent comme une citadelle assiégée, entourée d’ennemis, à part le Belarus de Loukachenko et l’Arménie. La Géorgie puis l’Ukraine ont voulu se rapprocher des USA, s’émancipant de l’influence russe pour se jeter dans les bras de l’atlanto-mondialisme. Ils s’imaginaient sans doute l’ours russe trop affaibli pour réagir. Au contraire, cela a provoqué chez lui un regain d’orgueil. L’ancien président géorgien Sakashvili, désormais membre du gouvernement ukrainien, et atlantiste déclaré, a subi une amère leçon.

La Russie joue en mode défense et pas en mode attaque, contrairement à ce que prétendent les dirigeants polonais et lituaniens, valets serviles de Washington, trahissant ainsi les intérêts de leur pays et les intérêts de l’Europe. Les sanctions économiques absurdes que l’Europe fait peser contre la Russie, obligeant cette dernière à rendre coup pour coup, sont une victoire à la Pyrrhus. Les USA nous font porter le poids d’une division du continent qu’ils attisent.

Reste la question de la Crimée. Celle qui est la cause de toute cette excitation en Europe de l’Est. Celle qui fait croire que la Russie de Poutine jouerait le jeu de l’Allemagne d’Hitler, prête à dévorer ses voisins à la moindre occasion. Celle qui fait qu’une division de chars américains sera installée en Europe de l’Est, au nom de cet OTAN qu’il aurait fallu dissoudre dès 1991. La Crimée a été rattachée arbitrairement à l’Ukraine par Khroutchchev en 1954. Pourquoi donner de l’importance à un acte fait par le despote d’un régime totalitaire ? La Crimée n’est pas plus ukrainienne qu’elle n’était tatare du temps des Ottomans. Elle n’est pas plus russe d’ailleurs en soi. Mais elle abrite depuis le XVIIIème siècle la flotte russe et sa population est majoritairement russophone par ailleurs. Où est donc le drame que de revenir sur la décision absurde d’un hiérarque soviétique ?

Le premier acte que Porochenko aurait dû faire, dès le début de sa mandature, c’est d’aller à Moscou. Rassurer les Russes sur ses intentions. Ce qu’aurait dû faire l’Union Européenne lorsqu’elle a proposé son partenariat à l’Ukraine. Pourquoi exclure la Russie de cette question ? La politique européenne à l’est étant dictée par les USA, elle a sciemment écarté les Russes du jeu. Qu’ils réagissent mal peut logiquement se comprendre. Quand on provoque un ours, il ne faut pas s’étonner de recevoir un coup de patte. Mais quand on lui présente un pot de miel à partager, il devient aimable. Bâtir l’Europe sans exclure la Russie. L’associer au contraire à sa construction. Voilà la saine politique. C’est entre Européens que la solution à la crise ukrainienne se trouve. En écartant les puissances étrangères qui appuient sur nos plaies, hier au Kosovo, aujourd’hui en Ukraine. En réconciliant ceux que l’histoire a divisés.

J’admets parfaitement qu’on puisse considérer que la Russie dans cette affaire n’a pas eu la réaction la plus avisée, mais les dirigeants ukrainiens ont été de véritables irresponsables. La Russie neutralise ses adversaires par la division (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du nord, Donbass) de leur territoire. Les USA font un jeu semblable mais de manière beaucoup plus subtile en Europe occidentale, et ce avec la pleine complicité de nos dirigeants. Mais si la Russie n’avait pas agi de la sorte, l’OTAN serait à ses portes. Ce qu’elle ne peut pas accepter, sachant la russophobie qui règne à Washington, cas de Trump excepté, un Trump qui a d’ailleurs souligné la nocivité de maintenir l’OTAN. Poutine n’est pas la Russie mais un instant de la vie de sa nation. On le devine suffisamment pragmatique pour changer son fusil d’épaule si l’Union Européenne devait enfin prendre son destin en main. A ceux qui veulent que la Russie change, je leur dis de changer d’abord. Songeons à ce monument de propagande américaine, Rocky IV, à l’époque où les relations russo-américaines commençaient à se détendre : « If I can change and we can change, everybody can change ». (Si je peux changer et si nous pouvons changer, tout le monde peut changer.)

Que l’Union Européenne converge vers la Russie, au lieu de s’en défier sous mauvaise influence, et ainsi la Russie convergera vers l’Union Européenne. Ainsi (re)naîtra la « maison commune ».

Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)

06/09/2015

Les causes de la déstabilisation durable de l’Irak et de la Syrie.

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islamisme,atlantisme,Occident,déstabilisation,Irak,Syrie,HusseinLe Proche-Orient de l’après-1945, sortant à peine de l’époque coloniale, était partagé entre deux traditions laïques, le modèle kémaliste d’une part et le modèle « baasiste » d’autre part. Ce « socialisme arabe », librement inspiré des fascismes européens, reposait sur l’unité politique des Arabes et sur le refus de l’état israélien, son laïcisme relatif laissant une grande place culturelle à l’islam. Le « baasisme » en Irak et en Syrie finit par mener à l’arrivée au pouvoir de dictatures relativement éclairées et assez peu islamiques, recevant ainsi le soutien des communautés chrétiennes, et dont l’opposition principale justement était islamiste.

Entre des dictatures tenant le pays et un régime inédit de terreur dont EI nous donne un aperçu actuel très significatif, il fallait admettre les premières comme un mal nécessaire. On oublie souvent que la démocratie en Europe a mis presque deux siècles à s’établir, même si la caricature actuelle qu’elle est devenue nous sidère.

La guerre froide a amené les Américains à choisir le pire des deux. Dès 1979, ils promeuvent ainsi face aux soviétiques une rébellion islamique, incarné par le commandant Massoud mais aussi par l’embryon de ce qui allait devenir le mouvement taliban, et bien sûr en utilisant les services de Ben Laden. Après le chaos qui fit suite au départ des troupes soviétiques en 1985, les islamistes allaient pouvoir s’imposer en toute tranquillité, favorisés par leur grand voisin du sud, autre allié des USA d’ailleurs, avant que ce cancer n’émerge médiatiquement à partir du 11 septembre 2001.

En déstabilisant le régime du shah d’Iran et en faisant le jeu de Khomeiny, présenté alors comme un démocrate face à un tyran par une presse occidentale complaisante, les USA se trouvèrent face à un golem , la République Islamique d’Iran. Ils jouèrent alors la carte de l’Irak baasiste de Saddam Hussein, soutenant son pays, ainsi que le firent la France et le Royaume-Uni, face à son ennemi de l’est. Alors même que les baasistes étaient en général honnis en raison de leur rapprochement avec l’URSS et de leur hostilité envers Israël, ce n’était pas le cas en Irak.

C’est donc se pensant autorisé que Saddam Hussein en 1991 décida de s’emparer du Koweït, ayant reçu des signaux contradictoires en provenance d’Occident. Or si le chat irakien avait été implicitement encouragé, en tout cas pas découragé, pour dévorer la souris Koweït, dès qu’il avança sa patte, le chien américain le mordit. La première guerre d’Irak, perdu par Hussein, amena son régime à jouer la carte de l’islam. C’en était fini d’un Hussein se revendiquant de Sargon et du passé pré-islamique de la Mésopotamie. Il y eut donc une réislamisation relative du pays, même si la tolérance à l’égard des chrétiens, mais pas des Kurdes, fut maintenue.

Le 11/09 changea dramatiquement les choses. C’est à ce moment que les USA décidèrent d’écraser les Talibans d’Afghanistan, après les avoir laissés prospérer pendant 16 ans. Leur intervention militaire lourde, puis leur occupation, n’ont rien résolu. L’islamisme radical continue d’y prospérer, un talibanisme « soft » s’étant imposé. Les mini-jupes dans les rues de Kaboul dans les années 70 avaient disparu d’ailleurs depuis bien longtemps.

Profitant de l’effet 11/09, l’administration Bush en profita pour mener une seconde guerre d’Irak, sur des motifs plus ou moins arbitraires. Cette fois, ils eurent la peau de Saddam Hussein, mais sans rien proposer pour le remplacer. La « démocratie » en Irak finit en bain de sang. Si le partie chiite, victime d’attentats de temps en temps, contrôle désormais sa zone, de même que les Kurdes, le pays sunnite est dans un véritable chaos. La réislamisation entamée par Hussein après 1991 amena à un nouveau terrorisme islamique et né de ses entrailles à Daech/EI.

Avec les printemps arabes, que personne en Occident n’avait prévus, les dictatures laïques arabes furent mises à mal. Là encore, les occidentaux jouèrent la carte des islamistes, contre tout bon sens. Les chutes de Kadhafi en Libye, de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte les amenèrent au pouvoir, même s’ils reculent en Tunisie et ont perdu la seconde manche au Caire. Ainsi la Syrie de la dynastie Assad fut-elle à son tour malmenée, alors que nous aurions dû soutenir le régime, malheureusement allié à l’Iran et à la Russie, « malheureusement » car c’est la seule raison pour laquelle les USA et l’Occident prônent la fin de ce régime. Pire, la Turquie mais aussi les Occidentaux ont armé la rébellion dont la composante islamique est essentielle.

De la déstabilisation de l’Irak sunnite et d’une partie de la Syrie est donc née l’EI et son organisation Daech, dont on constate les actions de manière quotidienne, avec la destruction du magnifique site antique de Palmyre, qui avait résisté à 1500 ans de christianisme et d’islam. Et plus récemment, conséquence aussi de tout cela, des centaines de milliers de migrants, motivés par des raisons économiques avant tout, sinon ils iraient dans les pays arabes alentours, sous réserve que ceux-ci fassent preuve du même laxisme que les pays de l’UE, arrivent massivement en Europe.

En clair, les USA et l’Europe occidentale, qui lui est soumise depuis 1945, ont favorisé un islamisme qu’ils prétendent déplorer ensuite, alors qu’ils ont contribué à ses succès. Mais seule l’Europe subit le coût migratoire en retour, et pas les USA. En favorisant Erdogan en Turquie, par le biais d’un absurde processus d’adhésion à laquelle personne ne croyait vraiment, qui a ainsi pu mettre à bas des pans entiers de l’héritage de Mustafa Kemal, en faisant tomber le shah d’Iran pour de bas calculs pétroliers, en favorisant les plus obscurantistes en Afghanistan (et au Pakistan), et aujourd’hui en souhaitant le départ de Bachar El Assad, l’Occident a créé un monstre qui naturellement s’est retourné contre son créateur.

Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)

23/08/2014

« Doctrine » Chauprade vs « doctrine » Ferrier

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Marine-Le-Pen-et-Aymeric-Chauprade_scalewidth_630.jpgSur son site Realpolitik.tv, il y a plusieurs semaines, le géopoliticien souverainiste Aymeric Chauprade, fraîchement élu député européen FN, a proposé une profonde réorientation de ce qu’une politique étrangère « nationale » devrait être, compte tenu de l’évolution de la situation en France mais aussi au Moyen-Orient. Cette rupture stratégique a fortement déplu à un certain nombre de représentants de la « mouvance nationale », mais a en revanche davantage séduit ceux de la « mouvance identitaire », et sans que le FN n’apporte dans un sens ou dans une autre des éclaircissements. Ce texte qui se veut fondateur de Chauprade mérite mieux que des analyses à l’emporte-pièce, même si on peut objectivement penser qu’il n’aura pas de suite. L’article traite de deux sujets en même temps, la politique internationale d’une part et la problématique migratoire et ses conséquences d’autre part. Je limiterai ma réflexion au premier thème.

En premier lieu, Chauprade affirme la disparition du nationalisme arabe, c'est-à-dire du baasisme. Il n’en reste en effet que des vestiges, et ce par l’action depuis maintenant deux décennies des Etats-Unis. Même si le baasisme n’a jamais été exempt de convergences islamisantes, sa dimension laïque, évidente en Syrie et dans l’Irak d’avant 1991, était explicite. Elle était essentielle dans des pays où plusieurs religions cohabitaient ainsi que plusieurs ethnies. L’Irak était ainsi divisé entre chiites, sunnites et chrétiens, entre arabes et kurdes. La Syrie était de même divisée en sunnites, alaouites, chiites et chrétiens. Irak comme Syrie ont également mis à l’honneur les cultures ancestrales de leur peuple, l’héritage d’Ugarit comme celui de Sumer et d’Akkad. Non seulement le nationalisme arabe est moribond, la Syrie étant son dernier refuge, mais le nationalisme turc lui-même est en recul, au profit d’un islamisme néo-ottoman désormais dominant à Ankara. La victoire d’Erdogan, élu président avec 52% des voix, et qui vient de prendre Davutoglu, le créateur de cette nouvelle doctrine, comme premier ministre, l’illustre remarquablement.

Le nationalisme arabe hors jeu, son vieil adversaire islamiste a pris le relai. C’est lui qui pose problème notamment à Chauprade et toute sa géopolitique tourne désormais autour de cette question.

Une doctrine centrée sur l’opposition à l’islamisme sunnite.

Chauprade dans son article, et même s’il s’en défend, vise à la mise en place d’une stratégie d’alliances déterminée à s’opposer principalement, si pas exclusivement, à la montée de cet islamisme sunnite en qui il voit une menace non seulement pour la région mais aussi pour la France, du fait de la présence d’une communauté sunnite importante par le biais de l’immigration post-coloniale.

Dans ce cadre, tous ceux qui pour une raison ou une autre s’opposent à cet islamisme ont vocation à travailler de concert. Son article ne fait qu’inviter à cette « grande coalition ». Les « alliés » sont donc selon lui la Syrie et l’arc chiite (Iran), la Russie et Israël, et dans une moindre mesure les Etats-Unis. La Russie est confrontée à l’islamisme, en Tchétchénie notamment, même si pour le moment la situation est stabilisée par le « règne » sans partage de Kadyrov. Israël l’est évidemment, de même que la Syrie. Quant à l’Iran chiite, même si Ahmadenijad a joué la carte « panislamique » lorsqu’il était au pouvoir, un extrémisme sunnite à ses portes ne saurait lui plaire, et les persécutions contre les chiites d’Irak le laisser impassible.

C’est bien sûr sa position sur Israël, en même temps que son soutien aux chrétiens du moyen-orient, par « solidarité civilisationnelle », qui lui a valu les critiques les plus dures. Il s’y attendait visiblement, dénonçant par avance les tenants d’un « antisémitisme obsessionnel ». Il n’aura donc pas été déçu.

Si le schéma général se tient, on peut reprocher à cette démarche de cibler un seul ennemi, alors que le jeu est multipolaire et donc beaucoup plus complexe. En réalité, la civilisation européenne est confrontée à trois menaces, qui sont la politique américaine, dont on voit les méfaits en Ukraine, l’islamisme certes et aussi l’émergence de la Chine.

On peut aussi lui reprocher une stratégie fondée sur des hypothèses et non sur des réalités tangibles. Adepte moi-même de la prospective, je ne lui ferai pas ce reproche sur le principe, mais son article ne se veut pas une simple réflexion. Il a pour but de mettre en place une autre stratégie dans le contexte actuel, non dans une situation idéale qui verrait demain le jour.

La première hypothèse est qu’Israël va réorienter sa politique en s’éloignant des Etats-Unis. Or même si on peut penser que tôt ou tard les USA lâcheront Israël, ce n’est pas le cas. En outre, à part Lieberman, qui joue la carte russe, une telle stratégie est très minoritaire, et Netanyahu ne la défendra pas. Il est impossible aujourd’hui de mettre à la même table la Syrie et Israël, encore moins avec l’Iran. Seule une grande puissance, que n’est pas la France, pourrait le faire, et jamais les USA ne le feront. En clair, cette stratégie est actuellement impossible car les acteurs ne le voudront simplement pas.

Quant à l’Iran chiite, lui faire confiance est déjà un objet de débat. Avec un Iran post-islamiste, avec ou sans restauration de la dynastie Pahlavi, l’Europe aurait une carte à jouer. Mais cet Iran n’existe pas encore. Le régime islamiste, même sous forme chiite, de l’Iran n’est pas un allié acceptable et ses déclarations extrémistes contre Israël, que Khameneï n’a jamais désavouées, rendent l’ensemble de cette stratégie impossible.

Enfin, la rupture avec les USA est absolument indispensable pour avoir la Russie de son côté. On ne peut plus imaginer aujourd’hui une stratégie ménageant les deux camps. La doctrine Brzezinski d’encerclement de la Russie, d’endiguement, celle dite de l’anaconda, est à l’œuvre. On le voit en Ukraine.

Il manque en outre un partenaire dans l’équation, et non des moindres, qui est l’Inde, en première ligne face à l’islamisme sunnite du Pakistan voisin, sans oublier le fait que l’Afghanistan est progressivement en train de régresser vers sa situation d’avant l’intervention américaine. Or Chauprade n’évoque pas cette situation, et néglige la menace de l’islamisme centre-asiatique. Par ailleurs, la victoire de Narendra Modi, candidat du BJP, aux élections législatives indiennes, est fondamentale et change la donne.

L’absence de raisonnement européen.

Le principal reproche que l’on peut faire à l’article d’Aymeric Chauprade est le refus d’une analyse continentale, européenne donc, de la situation. Cela tient à son souverainisme, qu’il a conservé du MPF au FN, et donc au postulat de principe selon lequel la « nation » classique reste la référence. C’est une doctrine « nationale » et pas « civilisationnelle ». Or c’est selon moi une erreur.

Certes, il évoque la nécessité d’une Europe Puissance en bonnes relations avec la Russie voisine. Mais il ne peut y avoir d’Europe Puissance si celle-ci est dominée par les forces centrifuges que sont les nationalismes anti-européens dont son nouveau parti, qui a axé toute sa rhétorique sur le refus d’une Europe politique. Pas d’Europe Puissance si Europe « des nations », qui n’est après tout que l’Europe actuelle, vue l’impotence, voulue par les chefs d’état et de gouvernement, de l’Union « Européenne ».

Or l’absence d’une Europe politique forte rend toute la démarche de Chauprade extrêmement fragile si ce n’est impossible. Seule une Europe forte pourrait neutraliser la nocivité de l’Iran, obliger la Syrie et Israël à se mettre autour d’une table, mettre fin à la dictature otanienne, par le biais de la création d’une armée européenne, seule alternative crédible, et donc pacifier avec la Russie la situation en Ukraine ou en Géorgie.

Une géopolitique de l’Europe unie est nécessaire et une géopolitique « nationale » restera une impasse ou un vœu pieux. Le schéma proposé par Chauprade, qui n’est pas inintéressant, et qui rejoint certaines des mes idées, notamment quant à la liste des « alliés », ne peut être pertinent sans une Europe politique forte. Le FN, je le rappelle, n’en veut pas.

Pour une contre-doctrine européenne.

Eur.jpgA la doctrine « Chauprade », voilà ce que je lui oppose. Cette opposition n’est pas fondamentale, et en réalité elle aboutit presque au même schéma directeur que le sien, mais sur une autre base. « Ma » doctrine implique un raisonnement européen, à savoir que tout, y compris les solutions à la problématique migratoire qu’il évoquera ensuite, passe par l’unification politique du continent européen, y compris en admettant sérieusement la possibilité d’élargir l’Union Européenne à la Russie, ce qui changerait naturellement la nature profonde de l’Union et l’amènerait à une rupture beaucoup plus nette avec les USA.

Dans ce cadre, l’Europe politique « puissance » pourra mettre un terme au néo-ottomanisme qui monte en puissance en Turquie, et effectivement proposer une nouvelle alliance, qui comprendrait en plus de la Russie, la Syrie (et le Liban), l’Iran, une fois et une fois seulement le régime en vigueur à Téhéran par terre, l’Inde et pourquoi pas Israël. Le nationalisme « arabe » pourrait ainsi renaître sous l’influence bénéfique de l’Europe et repousser l’islamisme dans les ténèbres du passé.

Mais la clé de tout, la clé de voûte, reste la nécessité d’une Europe politique forte, que Chauprade n’est pas prêt à défendre, étant même dans une structure qui en combat l’idée. Une politique internationale de la France ne peut être qu’européenne sinon elle n’est qu’une illusion et n’aboutira à rien de positif.

 

Thomas FERRIER