30/07/2017
La religion des Hellènes.
Que dire de plus de la religion qui a inspiré tant de génies européens, la Grèce étant par bien des aspects la matrice de l’Europe entière, dont elle tire son nom. Les statues d’Alcamène, de Scopas, de Praxitèle, le Parthénon aussi bien que les Jeux Olympiques, tous n’ont dû leur existence qu’à cette religion.
Le dieu suprême et sans égal est Zeus, le *dyeus indo-européen renforcé des pouvoirs d’un dieu de l’orage sans doute sous l’influence crétoise. A l’origine, il a pour épouse ou parèdre la terre-mère, qui est Gê Mêtêr ou Déméter, cette dernière portant bien d’autres noms comme Héra, « la déesse de la belle saison » ou Dionê, « celle de Zeus », et aux temps mycéniens *Diwiya (forme féminine de Zeus). Déméter était surnommée Europê en Béotie, ce qui nous rappelle qu’avant de désigner une princesse phénicienne ou crétoise, l’Europe désignait la terre-mère par excellence et notre continent en particulier.
Ce sont les poètes qui enrichiront ce panthéon de générations antérieures de figures divines, qui recoupent exactement les fonctions des dieux olympiens. Les titans Hypérion et Phébé ne sont qu’une variation d’Hélios et de Séléné, puis d’Apollon et d’Artémis. Prométhée est Héphaïstos, Japet est Arès. Le triplement du dieu céleste, entre Ouranos, Cronos et Zeus est sans doute lié à la mythologie hourrite. Le nom même d’Ouranos (sanscrit Varuna) a sans doute désigné Zeus aux temps archaïques.
Les fils et filles de Zeus composent ce panthéon, et toutes se retrouvent dès l’époque mycénienne. Il y a ainsi Arès, dieu de la guerre, qui à l’époque ancienne était au premier plan. Même s’il a conservé sa place parmi les douze olympiens, Arès a perdu de sa superbe, sauf chez les Spartiates. Il est possible que sa déchéance ait suivi la chute des palais mycéniens.
Il a surtout été concurrencé dans son rôle par d’autres figures divines, comme Athéna, protectrice des acropoles, comme Héraclès, qui accomplit une série d’exploits associés généralement au dieu orageux (Thor par exemple) et qui devaient initialement être attribués à Arès. Un vieux mythe narre également la capture d’Arès par les géants Aloades et sa libération par Hermès. Cela rappelle la déchéance d’Indra en Inde, pris d’effroi face au démon Vritra, et qui ne retrouva ses forces que par l’intervention du dieu du feu Agni. Enfin, lors des premiers jeux olympiques de la période mythique, avant leur recréation par Héraclès en 776 avant J.C selon la tradition, le dieu Apollon triompha ainsi d’Arès à la boxe et d’Hermès à la course de vitesse.
La déesse de l’aurore est présente sous différentes hypostases dans le panthéon grec. Si Eôs (« Aurore ») a un rôle mineur sous sa forme authentique, sous les traits d’Athéna et d’Aphrodite, son rôle est immense. Athéna, en tant que fille de Zeus, incarne la dimension guerrière et intellectuelle de l’Aurore, tandis qu’Aphrodite est l’Aurore sortie des eaux, qui annonce le printemps et réveille l’amour. Son nom est à rapprocher des Apsaras indiennes, nymphes célestes sorties des eaux et qui peuplent le paradis d’Indra. Le rapprochement avec la déesse ouest-sémitique Ashtoreth est fortuit. Si l’Aphrodite Ourania d’Hésiode s’inspire de cette déesse, il existe chez Homère une autre Aphrodite, fille de Zeus et de Dioné.
L’Aurore était à l’origine l’épouse d’Arès et d’ailleurs Athéna et Aphrodite sont parfois qualifiées d’Areia (« d’Arès »). La déesse Eôs elle-même est connue comme l’une des amantes d’Arès, suscitant la jalousie d’Aphrodite.
Héphaïstos est le dieu du feu et de la forge. Son rôle est très limité même si à l’origine il représentait le feu en général. Hestia est une timide déesse du foyer, limitée à son rôle originel, tout comme la Vesta romaine.
Zeus aura de nombreuses autres liaisons, aboutissant à la naissance de nouveaux dieux et de héros, comme Hermès (fils de Maia), le messager des dieux, Apollon et Artémis (enfants de Léto) et les Dioscures (enfants de Léda). Il faut notre rue Léto était une ancienne déesse de la nuit, comme Nyx, et son nom est identique à celui de la déesse indienne de la nuit Ratri. Léda de son côté était une déesse du désir, son équivalente indienne de même étymologie étant Rati. On la retrouve aussi sous les traits de la déesse slave Lada, épouse de Svarog. Léda était aussi la mère d’Hélène dont le nom signifierait « vengeance divine », tout comme les Erinyes, ce qui expliquerait son rôle essentiel dans le déclanchement de la guerre de Troie. Enfin, le nom d’Artémis rappelle celui de l’ours (*arktos) et désigne la déesse de la chasse. On retrouve son équivalente celte sous les traits de la déesse Artio.
Les frères de Zeus, avec qui il a partagé le monde entre ciel, terre et enfers, sont Poséidon et Hadès. Poséidon n’est pas « l’époux de la terre » selon une étymologie populaire mais « le maître des eaux », ce qui en fera ensuite naturellement le dieu de la mer. Hadès signifie « l’invisible » selon une étymologie proposée par les Grecs anciens eux-mêmes. Son nom véritable est devenu tabou, mais il est probable que la forme poétique Aidoneus ait été son théonyme originel.
Le personnage de Minôs, roi de Crète et qui deviendra juge infernal, fait indiscutablement penser à *Manus, le premier homme selon la mythologie indo-européenne (Manu en Inde, Mannus chez les Germains). Il était peut-être le premier dieu infernal aux temps de la Grèce mycénienne. Cerbère qui garde la porte des Enfers est l’héritier direct du chien infernal indo-européen (sanscrit Sarvaras, scandinave Garmr).
Hermès et Pan désignaient à l’origine la même divinité, préposée à l’élevage mais aussi conducteur des morts, dieu messager et dieu guide. Pan est le *Pauson indo-européen (sanscrit Pushan, lituanien Puskaitis, latin Faunus), que les Celtes appelleront Cernunnos et les Slaves Volos. Hermès, dont le nom fait penser au dieu messager scandinave Hermod, ne devait à l’origine qu’être un aspect spécifique de Pan. Tout comme le dieu Terminus à Rome, Hermès était associé aux frontières, voies et limites de propriété.
La religion des Grecs anciens, depuis l’époque mycénienne jusqu’à nos jours, n’a jamais cessé d’inspirer le génie européen. Le christianisme n’a jamais pu effacer de nos mémoires ces grandes figures, qui survécurent au moyen-âge (lire pour s’en convaincre « La survivance des dieux antiques » de Jean Seznec) et inspirèrent la Renaissance. Il suffit de songer aux œuvres de Rabelais, de Ronsard ou des poètes du Parnasse pour constater que l’antique foi, réfugiée dans les arts et la poésie, a survécu. Et de nos jours des Grecs entendent la rétablir, l’Olympe entendant à nouveau des chants en faveur de ses hôtes après des siècles de silence.
Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)
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08/07/2012
De Soler, d’Onfray et de leurs détracteurs. Sur le monothéisme.
Jean Soler est un remarquable historien spécialisé dans l’étude des origines du monothéisme. Acteur engagé de la société civile, dans ses deux derniers ouvrages, « La violence monothéiste » et « Qui est Dieu ? », il s’attaque aux trois monothéismes abrahamiques, en insistant sur la violence et l’exclusion qui leur seraient naturellement associées. Sa thèse n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la plus pure tradition voltairienne, puis « néo-droitière », mais dans une version mise à jour à la suite des travaux novateurs d’archéologues israéliens (les auteurs de « La Bible dévoilée »). Ce n’est pourtant pas Soler qui crée le scandale mais l’éloge que Michel Onfray a prononcé dans Le Point à propos de son dernier ouvrage, reprenant en les vulgarisant les principales thèses de l’auteur dans son dernier opus.
Onfray nous a habitués à son combat contre l’obscurantisme religieux, lui-même professant un athéisme explicite et revendiqué, ce que nous ne partageons pas avec lui, partisans que nous sommes d’une vision bien au contraire ouvertement polythée. Il n’est pas étonnant que Soler lui ouvre de nouvelles perspectives, lui qui prend modèle sur le philosophe à coups de marteau, le démolisseur des idoles « galiléennes », pour reprendre l’expression de l’empereur Julien.
Depuis plusieurs jours, de nombreux intellectuels, notamment issus de la communauté juive, dénoncent Onfray comme un antisémite. Rien ne permet dans la pensée d’Onfray de le qualifier de tel puisque, très bon connaisseur de Nietzsche, il partage avec lui le refus absolu de l’antisémitisme, considéré comme d’essence chrétienne. Et son choix de privilégier Athènes à Jérusalem ne saurait en aucune manière être considéré comme une démarche d’hostilité mais comme un souci naturel de se relier à une tradition antique issue du génie européen propre.
Jean Soler, dans la conclusion de son pénultième ouvrage, annonce un retour à l’héritage grec, un peu comme Pléthon prédisant que la religion de l’avenir ne différerait guère de la religion grecque antique, déclarant qu’ « ils arriveront à cette conclusion, qu’en abandonnant le modèle gréco-romain pour le modèle judéo-chrétien, l’ère monothéiste aura été, avec ses ombres et ses lumières, ses ombres surtout, une erreur de parcours dans l’histoire de l’humanité ». Mais il ne pousse pas son raisonnement jusqu’au bout, évitant le choix courageux d’un Louis Ménard ou d’un marquis de Sade, celui de retrouver la matrice antique en renouant avec le polythéisme hellénique, avec l’olympisme. Et alors que dans quelques jours auront lieu de nouvelles olympiades, selon le vœu du baron de Coubertin de ramener à la vie ces jeux en l’honneur de Zeus, cela aurait été la cerise sur le gâteau. Car c’est un vœu pieux de croire qu’on pourrait retrouver la liberté de pensée des Grecs si on ne remet pas en cause et de manière absolue la marque que le monothéisme a laissée sur le visage lumineux d’Europê, si on ne renoue pas avec les dieux immortels qu’honoraient les philosophes grecs, au même titre que les simples citoyens.
Et pourtant Soler et Onfray commettent dès le départ une erreur de méthode, à savoir qu’ils se refusent à séparer le judaïsme du christianisme et de l’islam, et qu’ils ne perçoivent pas l’impact de l’universalisme comme vecteur de violence, contestant l’ethnocentrisme qu’ils prêtent aux Juifs, et s’indignant des lois hostiles à la mixité ethnique contenus dans les textes sacrés juifs, mais qu’on retrouve aussi bien dans l’Avesta iranien et dans les Lois de Manu en Inde. En effet, c’est bien l’universalisme, chrétien ou musulman, annoncée aussi à leur manière par Socrate et par l’empire romain, qui est la principale cause de violence, puisque l’autre n’est plus respecté en tant qu’autre mais se voit contraint de cesser de l’être et de se rallier à la nouvelle religion. Le caractère non-prosélyte (au sens moderne) du judaïsme, comme du zoroastrisme et de l’hindouisme, ce dernier étant une religion par ailleurs polythéiste et apparentée à l’hellénisme, change complètement la donne. Et Onfray, en ne renonçant pas à l’universalisme, se montre malgré lui disciple de Paul de Tarse pour qui il n’y a plus « ni juif, ni grec », déclarant ainsi la guerre religieuse tant à l’olympisme qu’au yahvisme.
Il y a eu certes, indéniablement, aux origines du yahvisme, une part de violence et de persécution. Mais c’est se méprendre que de prendre en compte le récit du VIIème siècle avant J.C selon lequel les Hébreux seraient venus d’Egypte et auraient décimé les Cananéens avant de s’installer dans une nouvelle terre promise. En vérité, non seulement nous savons aujourd’hui que ces récits de destruction des cités cananéennes n’ont aucune réalité historique, mais cela témoigne en réalité d’un conflit religieux au sein des Cananéens eux-mêmes.
C’est en effet au sein du peuple cananéen que va naître la scission yahviste, la mise en place d’un culte rendu à un dieu ethnarque reprenant les fonctions d’El Elyon, le dieu suprême du ciel, dieu honoré sur l’acropole de Jérusalem, et de Baal Adad, le maître de l’orage. Le panthéon cananéen était très riche en divinités masculines et féminines, parmi lesquelles des dieux souverains, ceux que je viens d’évoquer, mais aussi de grandes déesses, comme Elat Asherah, épouse d’El puis de Yahweh dans les premiers temps du judaïsme, la guerrière Anat, sœur et amante de Baal, et la merveilleuse Ashtoreth, celle-là même honorée à Babylone sous le nom d’Ishtar, toutes divinités remontant à au moins 6000 avant J.C, du temps où l’on parlait encore le proto-sémitique en Arabie.
Pendant des siècles, chaque souverain alternant philo-paganisme ou yahvisme intransigeant, prêtres de Yahweh et prêtres de Baal s’affronteront afin de convaincre les uns d’adopter la nouvelle religion, les autres de maintenir l’antique tradition. C’est en 620 avant J.C que le roi de Judée, Josias, prend position en faveur des yahvistes, ceux-ci se définissant comme hébreux et réservant désormais le terme tribal « cananéen » aux seuls païens. Lorsque la Bible dénonce les cananéens, elle dénonce uniquement les païens, de même qu’avec la christianisation de l’empire romain le nom ethnique d’ « hellènes » servit à désigner les fidèles des dieux de l’Olympe. Ainsi, le peuple juif n’est autre que le peuple cananéen devenu monothéiste et adepte du seul Yahweh, les autres dieux ayant été abandonnés et jusqu’à l’épouse même de Yahweh. Le mythe de la disparition des Cananéens doit se comprendre comme la conversion accomplie de l’ensemble de ce peuple.
Une fois que les cananéens sont devenus les judéens (yehudim), l’expansion du yahvisme s’arrête totalement, et à cette phase de prosélytisme violent succède une phase d’ethnocentrisme modéré, d’indépendance affirmée, jusqu’à ce que les empires voisins, aux appétits conquérants, s’intéressent à leur terre. Ce sera la domination des Assyriens, des Perses, des royaumes hellénistiques et de Rome. A aucun moment, les Judéens ne déclareront la guerre mais ils subiront ces jougs étrangers, rêvant d’un nouveau David libérateur, certains réussissant comme Judas Macchabée, et d’autres échouant lamentablement comme Simon Bar Koshba.
Si l’empire romain, à la différence d’un empire perse plus complaisant, s’oppose aux judéens, c’est parce que la Judée est une province romaine turbulente et révoltée. Du jour où la rébellion est totalement vaincue, avec la destruction de Jérusalem par Hadrien, cité transformée en une ville païenne, Aelia Capitolina, dédiée à Jupiter Capitolin et Zeus Olympien, le site du temple d’El Elyon puis de Yahweh étant désormais doté d’un temple de Zeus, la judéophobie des autorités romaines cessa rapidement. Les vexations sont supprimées par Antonin le Pieux. Et face au christianisme des Constantinides, païens et juifs combattront ensemble, au point où l’empereur Julien entamera la reconstruction du Temple, se révélant le premier sioniste.
Ainsi, si la phase de conversion des cananéens polythéistes a été de nature violente, comparable à la christianisation de l’Europe ou à l’islamisation du Moyen-Orient, le judaïsme cesse de l’être une fois ce processus accompli. Bien au contraire, au même titre que le paganisme, le judaïsme est persécuté, et notamment par les chrétiens et les musulmans, et ce n’est pas un hasard si le seul havre de paix dans l’Occident médiéval pour les juifs d’Europe a été la Lituanie païenne. Onfray et Soler, tout comme Voltaire, pensent qu’en s’attaquant aux racines juives du christianisme, et de l’islam, ils pourront triompher du monothéisme. Ils se trompent. C’est en renonçant à tout universalisme, en se recentrant sur l’Europe, qu’ils pourront redécouvrir les charmes de l’antiquité.
Mais il ne faut pas simplement choisir le camp d’Athènes, mais aussi celui de la Rome de Romulus, de Tara (sanctuaire druidique renommé), d’Uppsala (haut lieu de culte des dieux d’Asgard) et d’Arkona (sanctuaire slave). C’est en (re)devenant païens que cette haine stupide qui a pour nom « antisémitisme » cessera simplement d’exister. Elle était inconnue de nos ancêtres d’avant le christianisme, car ceux-ci ne se sentaient pas en religion des vassaux. Le judaïsme, lorsqu’ils étaient amenés, rarement, à le connaître, leur paraissait sans doute bien étrange, avec son absence de représentation de la divinité, comme Pompée entrant dans le saint des saints s’en étonnera, et les troupes romaines occupant la Judée, dans un contexte difficile, n’étaient pas nécessairement très judéophiles, à l’instar de Ponce Pilate. Il est vrai que, face aux nationalistes judéens, ils jouaient leur vie. Et si Jésus, à supposer qu’il ait réellement existé, a été exécuté par les autorités romaines, c’est parce qu’ils voyaient en lui, par sa revendication de « roi des Juifs » et de descendant de David, revendication qui avait aussi été celle de Judas Macchabée, un nationaliste rebelle, un indépendantiste menaçant la paix romaine dans la région. Ce n’est alors pas un hasard qu’il ait connu le sort des compagnons de Spartacus, ce dernier étant toutefois mort au combat et non sur la croix, contrairement à la légende.
C’est par le retour à ses (anciens) dieux que l’Europe, renouant ainsi avec sa plus longue mémoire, et Israël pourront renforcer leur amitié, malgré un passé douloureux difficile à faire passer. L’occupation romaine de la Judée puis le christianisme nous ont séparés, alors qu’Alexandre, César et Auguste étaient des amis du peuple juif, considérés comme tels, et étaient en même temps de solides polythéistes. Le judaïsme, parce que c’est une religion nationale, celle d’un peuple, n’est pas comparable au christianisme et à l’islam, même si ces derniers se sont appuyés sur le monothéisme israélite pour se bâtir. Les Juifs ne sont pas responsables de ce que leurs prétendus héritiers, qui les ont persécutés par ailleurs, ont pu commettre.
Par ailleurs, un courant idéologique original n’a jamais cessé d’animer le mouvement sioniste, au sein même de la Haganah par exemple, celui des « Cananéens », c'est-à-dire des Judéo-païens. Inspiré par l’œuvre du poète israélien Adyah Gurevitch (1907-1975), ceux-ci souhaitent le retour au polythéisme des anciens Hébreux, du temps où ils étaient encore des Cananéens. Il s’agit du sionisme le plus accompli, puisqu’il vise à un réenracinement total dans la terre de leurs ancêtres, jusqu’à retrouver les dieux des pères de leurs pères. Car, on oublie bien souvent que le judaïsme est l’héritier d’un polythéisme, et que les principales fêtes du calendrier juif remontent à une époque antérieure au yahvisme, même si ces fêtes ont été recouvertes, tout comme les fêtes « païennes » en Europe, d’un voile monothéiste.
La violence monothéiste nécessite une logique universaliste, celle du principe de conversion. Le païen, le kafîr, doit adopter la nouvelle religion ou périr s’il conserve son attachement aux dieux de ses ancêtres. Le christianisme, synthèse d’une dérive universaliste du yahvisme (celle de Paul) et de l’universalisme de l’imperium romanum, et l’islam, ne supportent pas l’altérité en religion. Et cette dimension semble échapper à l’analyse, habituellement brillante, d’Onfray, tout simplement parce que ce dernier n’a pas renoncé à tout universalisme et a du mal à concevoir qu’on puisse sérieusement revenir au polythéisme, tout comme le « païen » Alain de Benoist considère qu’il est « ridicule de croire en Jupiter ». Au cœur de tourments identitaires profonds, et alors que tout laisse à penser que l’Europe approche en ce XXIème siècle d’un abîme dans lequel elle risque d’être précipitée, et qu’Onfray fait tout pour ne pas voir, il suffit de songer à ses engagements politiques à l’extrême-« gauche », la religion européenne de l’avenir ne sera plus le christianisme, qui ne l’aura pas protégée, et ne sera pas non plus l’athéisme dont Onfray espère le succès. Mais le culte de ceux que les super-héros ont remplacé dans l’imaginaire contemporain, le culte des dieux immortels, qu’ils soient descendus de l’Olympe ou d’Asgard.
Thomas FERRIER
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01/01/2012
ZEUS/ΖΕΥΣ (et son ancêtre indo-européen *dyeus)
Zeus Patêr, « père des dieux et des hommes », était le dieu suprême du panthéon grec, et il peut être intéressant de retrouver la vision originelle que les anciens Grecs avaient de lui. La méthode comparative a permis de le relier au dieu romain Jupiter, dans sa forme originelle Diespiter, et au dieu indien Dyaus Pitar, reconstituant un ancien *dyeus pəter (*dieŭs pəter), qui est mot à mot « le ciel diurne père ». En tant que dieu du ciel lumineux, il s’oppose en théorie à un dieu du ciel étoilé, qui serait *werunos, et qu’on retrouve sous le nom grec d’Ouranos et sous le nom indien Varuna, dont le sens signifierait « le dieu vaste », même si certains spécialistes pensent que *werunos n’était au final qu’un aspect de *dyeus.
Alors que l’image classique d’un Zeus foudroyant nous vient naturellement à l’esprit, comme pour son homologue latin Jupiter, Zeus était au départ, on l’a vu, un dieu du ciel lumineux, privé ainsi de la fonction orageuse qu’on lui connaîtra. Ainsi, son homologue indien Dyaus, mais aussi le hittite Sius, le lituanien Dievas, et enfin le dieu germano-scandinave Tius/Tyr, sont des dieux purement célestes, alors que la foudre relève du dieu de deuxième fonction, dieu à la fois de l’orage et de la guerre, à l’instar de l’indien Indra, du hittite Tahrunt, du lituanien Perkunas ou encore du dieu germano-scandinave Donar/Thor. En revanche, ni l’Arès grec ni le Mars romain ne semblent disposer d’une telle fonction, même si certains mythes italiques dédiés au second relient bien ce dernier, de manière discrète, à ce rôle.
La religion proto-indo-européenne témoigne ainsi d’une opposition entre le dieu du ciel lumineux et le dieu du ciel orageux, entre *dyeus et *maworts, opposition qui sur un plan symbolique distingue le père et le fils. En tant que dieu d’un ciel intermédiaire, *maworts est lié à la déesse aurorale *ausos et s’il a pour père le maître des cieux, il a pour mère la déesse de la terre, parfois représentée dans ce rôle par l’épouse officielle du dieu souverain, à l’instar d’Héra. Thorr est ainsi le fils d’Odhinn, qui a repris une partie des rôles de Tyr, et de Jörd, la Terre personnifiée. Indra apparaît aussi comme le fils du couple ciel/ terre, c'est-à-dire Dyaus/Pŗthivi.
Une explication possible est de considérer cette évolution de *dyeus par l’influence des populations pré-indo-européennes de la région, et en particulier des Crétois. En effet, il ne semble pas que chez ces derniers le dieu du ciel et le dieu de l’orage aient été deux divinités identiques, et qu’un dieu guerrier ait existé privé de ce rôle. Cela pourrait expliquer pourquoi Zeus possède la foudre mais qu’Arès est cantonné à un rôle strictement militaire. Une autre explication serait qu’Héraclès, dont le nom signifie « gloire d’Héra », peut-être épiclèse à l’origine d’Arès, et dont l’héroïsme et l’usage d’une massue le rapprochent du Thor scandinave, ait fait concurrence au dieu guerrier. Mais, à aucun moment, et dans aucun mythe, Héraclès n’apparaît lançant la foudre.
Dans la mythologie grecque, Zeus a eu plusieurs épouses successives, sans parler de nombreuses maîtresses parmi les déesses et les mortelles. En premier lieu, il a épousé Thémis, la Justice, puis Mêtis, la Sagesse, correspondant ainsi aux principales valeurs incarnées par Zeus, à savoir la sagesse infinie, « Ahura Mazda » en vieil iranien, et la justice divine. Parmi ses maîtresses, Léda et Léto ont eu du dieu des jumeaux, les Dioscures (Castor et Polydeucès) de la première, Apollon et Artémis de la seconde. Léda et Léto semblent correspondre linguistiquement à deux divinités indiennes, à savoir Rati, déesse de l’amour, et Ratri, déesse de la nuit.
Les autres épouses et maîtresses apparaissent comme autant d’incarnations de la déesse-mère par excellence, la Terre. C’est bien sûr le cas de Déméter, de l’indo-européen *dhghōm məter, « terre-mère », mais aussi de Maia (la « Mère »), et probablement d’Héra, si on relie cette dernière à la racine *er(t)a qui désigne également la Terre. Les Indo-Européens pouvaient nommer l’épouse de *dyeus par du nom de *diwnī, « celle de *dyeus », désignant cette déesse dans son rôle de parèdre du dieu. On la retrouve sous les traits de la grecque Dioné, mère d’Aphrodite, alors que Danaé en revanche provient du nom de la déesse indo-européenne des eaux, *Danu.
Dans la tradition grecque, Zeus est bien géniteur de plusieurs dieux de seconde génération (Arès, Héphaistos, Apollon, Hermès, Aphrodite) mais partage le pouvoir avec ses frères (Poséidon et Hadès) et ses sœurs (Héra, Hestia et Dêmêtêr) et par ailleurs n’est pour rien dans l’existence des dieux célestes (Hélios, Séléné et Eôs) qui semblent même préexister à sa naissance.
En fait, la mythologie grecque aime à dédoubler ces trois divinités en autant de versions. Le Soleil est ainsi Hypérion sous sa forme titanienne, Apollon sous sa forme olympienne, et Hélios en général. La Lune est Phébé sous cette première forme, Artémis sous la seconde, et simplement Séléné. Quant à l’Aurore, Eôs, elle apparaît sous une forme olympienne à la fois sous les traits de la déesse guerrière Athéna et de la déesse amoureuse Aphrodite. En effet, la déesse indo-européenne de l’aurore, *ausos, possède ces deux dimensions simultanément. Le lien entre la déesse aurorale et le dieu orageux est assuré par l’existence culturelle d’une Athéna Areia et d’une Aphrodite Areia, toutes deux en relation avec Arès, et par un mythe faisant d’Arès l’amant d’Eôs, comme il l’a été selon cette fameuse version odysséenne, d’Aphrodite elle-même.
Sous l’influence anatolienne en effet, Zeus lui-même n’est pas le premier dieu, même si la tradition indo-européenne évoque certes un dieu des commencements, qui serait *yanos, d’où viendrait le nom du Janus latin, dieu antérieur à *dyeus mais sans filiation avec ce dernier, et qu’on pourrait retrouver avec Chaos en grec. Le premier dieu du ciel est ainsi Ouranos, suivi de son fils Cronos et enfin de son petit-fils Zeus. Cela ne correspond pas à la tradition indo-européenne où *dyeus est bien *pəter au sens fort, la seule exception étant alors l’existence d’une épouse, parce qu’elle-même *məter, et engendre tous les autres dieux et déesses composant le panthéon. Maître de la lumière, c’est sous la forme de ses trois fils principaux que se partage la chaleur divine, entre le feu céleste (*sawel, « l’astre solaire »), l’éclair ou feu de l’espace intermédiaire (*maworts) et le feu terrestre (*egnis, « le feu »). Ainsi Zeus est-il bien père d’Apollon, d’Arès et d’Héphaistos, qui correspondent à l’origine à ces trois dimensions ignées.
Enfin, de toutes les filles de *dyeus, la plus estimée est celle qui est qualifiée de *dhughətêr *diwos (fille de *dyeus), à savoir la déesse de l’aurore *ausos. On retrouve cette dimension chez les Grecs puisque Athéna, déesse la plus estimée par son père, est qualifiée elle aussi de « Fille de Zeus ».
Thomas Ferrier
Addendum:
Certains affirment que "Dieu" viendrait du nom de Zeus, alors que c'est plus complexe. On l'a vu, Zeus vient du nom indo-européen du dieu du ciel, *Dyeus. Ce dernier nom a servi pour former le terme générique en usage pour désigner un dieu ou une déesse, *deywos et *deywi (ou *deywa). Le *deywos est une émanation de *Dyeus. Alors que le nom de *Dyeus a donné le grec Zeus et le latin Dies (nominatif de Ju-piter), le mot *deywos a donné le latin deus, le celte devos, le sanscrit devas, le mot *deywi/*deywa ayant de son côté abouti au latin dea, au celte deva, au sanscrit devi. Sous l'empire romain, le mot Dieu (avec d majuscule), latin Deus (en grec Theos, bâti sur un autre terme indo-européen pour désigner une divinité, *dhesos), a été employé par les "païens" pour désigner le dieu suprême, Zeus/Jupiter, parfois remplacé par Hélios Anikêtos/Sol Invictus par certains païens de l'antiquité tardive, et a aussi été repris par les chrétiens pour désigner leur dieu unique.
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