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16/06/2013

Les dieux de Shem

Baal_main.gifErnest Renan avait popularisé l’idée que le désert était naturellement porteur de monothéisme, et au XIXème siècle, il était courant à gauche de distinguer le polythéisme indo-européen du monothéisme sémitique, dans une opposition simpliste et au final factice. De la même façon, chez les chrétiens et les musulmans, on retrouve le mythe d’un « monothéisme originel », le passage au polythéisme s’apparentant à une déchéance en tombant dans l’idolâtrie (« veau d’or »). Abraham n’apparaît donc pas comme l’inventeur du monothéisme mais comme le restaurateur d’une tradition ancestrale perdue.
 
Or, avant même qu’il n’existe des cananéens et des assyriens, des arabes et des phéniciens, il existait un peuple préhistorique que par convention on a appelé « proto-sémitique » et dont la langue est mère des langues sémitiques anciennes (akkadien, assyrien, cananéen, araméen, phénicien) et modernes (hébreu, arabe). Ce peuple possédait une culture bien spécifique, avec un roi-prêtre (proto-sémitique *m’lku) et un panthéon possédant une dizaine de grandes divinités, masculines comme féminines. Il semble bien que ce soient les peuples ouest-sémitiques qui soient demeurés les plus fidèles à cette religion ancienne, alors que les Akkadiens ont très vite fusionné leur mythologie avec celle des Sumériens. Ainsi, le dieu sumérien du ciel An (devenu Anu en akkadien) était-il aussi appelé Ilu, de même que Bel Hadad était alors apparenté au sumérien Ishkur. Et la déesse Ishtar devint l’homologue de la sumérienne Inanna, déesse de l’amour, de la guerre et des enfers. Les Iluhim ou fils d’El et les Announaki sumériens ou fils d’An fusionnèrent assez naturellement.
 
Le dieu suprême du panthéon proto-sémitique était *Ilu, à la tête des *Iluhim (ou dieux) et des *Ilatim (ou déesses). Il était symbolisé par un taureau céleste et son nom pouvait signifier à l’origine « celui qui est en haut », donc le ciel souverain. Comme le *Dyeus indo-européen, *Ilu était un dieu assez distant qu’on l’on craignait davantage qu’on en attendait une assistance concrète. Néanmoins, l’El phénicien, l’Allah des Arabes païens ou encore El Elyon « le très-haut », dieu de l’acropole de Jérusalem, étaient fort honorés.
 
C’est son fils, le dieu de l’orage, *Adadu, généralement surnommé *Balu, « seigneur », qui bénéficiait de plus grands honneurs. A la différence de son divin géniteur, il était beaucoup plus proche des hommes puisque, dans un environnement semi-désertique, il était le seul à apporter la pluie bienfaitrice. Il était en conséquence également le dieu de la fertilité, capable de vaincre la mort, personnifié en Canaan par le dieu Môt. Il fut appelé Adonis par les Grecs, alors qu’il associait davantage les fonctions de Zeus et d’Arès, mais aussi de Dionysos.
 
Ces deux dieux disposaient d’une ou plusieurs épouses attitrées. *Ilu était l’époux de la déesse *Atiratu, elle-même surnommée *Ilatu, parèdre du dieu du ciel. On la retrouve sous les traits de l’Asherah cananéenne mais aussi de l’Allat arabe, même si les textes musulmans la présentent comme « fille d’Allah » et non comme l’épouse qu’elle était. Elle était la mère des autres dieux, mais n’avait visiblement pas le rôle d’une déesse chtonienne.
 
Quant à *Adadu, il possédait deux épouses aux rôles bien différents, mais qui n’étaient peut-être en définitive qu’une seule. Il était l’époux de la déesse de l’amour et de la fertilité, *Attartu (cananéenne Ashtoreth, akkadienne Ishtar, arabe al-Uzza), qui était également appelée *Balatu (« épouse de Baal »), mais aussi de la déesse vierge guerrière *Anatu, qui rappelle par certains traits l’Athéna des Grecs.
 
Le rôle principal de ce dieu de l’orage était, comme dans la mythologie indo-européenne, de combattre le dragon des eaux, sorte de monstre gigantesque entourant la terre de ses anneaux. Chez les cananéens, son nom était Lotan, qui a donné le Léviathan, mais son nom originel n’a pu être reconstitué.
 
ashtoreth.gifLes autres divinités importantes représentaient les astres et phénomènes célestes. Le soleil était vraisemblablement une divinité féminine, ce qui peut surprendre dans un premier temps, si on songe au dieu du soleil Shamash en Akkad et à l’idée que le soleil dans un environnement semi-désertique serait nécessairement un symbole de puissance. *Shamshu a en effet eu des héritières de sexe féminin, comme la déesse arabe Shams. Le caractère masculin de son incarnation akkadienne tient certainement à une influence sumérienne, Utu étant le dieu sumérien du soleil et le juge des hommes. Et de même, *Warihu était le dieu de la lune, que l’on retrouve sous les traits du Yarih cananéen, et qui correspond au dieu assyro-babylonien Sîn. *Warihu, en tant que dieu guerrier, et *Shamshu étaient visiblement un couple divin, au même titre qu’*Ilu et *Ilatu et que *Balu et *Balatu.
 
Ils avaient comme frère ou comme enfant le dieu de l’aurore, *Sharu. Contrairement à la mythologie indo-européenne, chez les Proto-sémites, l’Aurore était une divinité masculine. Il était le père de deux dieux jumeaux correspondant à l’étoile du matin et à l’étoile du soir, à savoir la planète Venus. En Canaan, les fils de Shahar étaient Helel, assimilé par les Latins puis par les Chrétiens à Lucifer, et Shelim. En revanche, chez les Grecs, Eosphoros et Hesperos étaient fils de la déesse Aphrodite, incarnation de l’aurore indo-européenne.
 
Enfin, il est possible que le peuple proto-sémitique ait eu au sein de son panthéon un dieu de la mer comparable au dieu cananéen et phénicien Yam, mais ce n’est pas certain. Il est absent dans la mythologie arabe comme dans la mythologie babylonienne. Et le dieu *Kottaru était probablement le dieu de la forge et du feu des anciens Sémites, de même que le dieu *Reshpu était vraisemblablement le dieu médecin.
 
Par la suite, les peuples sémitiques, une fois qu’ils ont quitté leur foyer d’origine, qui était probablement la corne est de l’Afrique ou le sud-ouest de l’Arabie (actuel Yemen), ont enrichi leur panthéon de divinités variées, et notamment divers Baalim préposés à telle ou telle mission.  Les formes « Baal » et « El » ont même pu devenir les surnoms du dieu du soleil chez les Phéniciens, comme Baal Shamin, « seigneur des cieux » ou El Gabal, finissant sous Aurélien par acquérir les traits d’un Sol Invictus.
 
Et de la même façon, certains peuples ont eu tendance à développer le culte d’un dieu ethnarque, un dieu spécifique à chacun. C’est ainsi que des divinités comme l’akkadien Marduk ou l’assyrien Assur ont pris les traits d’un dieu orageux, de la même façon que le Kemosh amoréen et que le Yahweh judéen. Dans ce dernier cas, la fusion est totale entre la dimension céleste d’El, d’où la récupération du culte d’El Elyon à Jérusalem, et la dimension guerrière et orageuse d’un Baal Hadad (Sabaoth). La monothéisation d’El aboutira en revanche chez les Arabes au Allah islamique, cet ancien dieu du ciel, époux d’Allat et père de Quzah [Baal] et de al-Uzza [Ashtoreth], devenu dieu unique.
 
Dans la tradition judéenne, Yahweh n’était pas à l’origine un dieu unique, mais un dieu protecteur du seul peuple d’Israël. Dans un environnement où les peuples voisins ont grosso modo les mêmes dieux, il devint important de se distinguer en religion. Les Phéniciens restèrent des polythéistes, y compris dans leur succursale carthaginoise, jusqu’à la christianisation de l’empire romain. Les dieux sémitiques continuèrent en outre d’être honorés dans ce sanctuaire qu’était Harran, en Syrie, jusqu’au XIème siècle.
 
Les polythéismes sémitiques sont enfin réapparus à l’époque moderne aussi bien au sein du courant sioniste (le mouvement « cananéen ») que des communautés juives d’Amérique (« judéo-paganisme »), et dans une moindre mesure chez certains intellectuels arabes (« wathanisme »).

Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)

08/07/2012

De Soler, d’Onfray et de leurs détracteurs. Sur le monothéisme.

moses.jpgJean Soler est un remarquable historien spécialisé dans l’étude des origines du monothéisme. Acteur engagé de la société civile, dans ses deux derniers ouvrages, « La violence monothéiste » et « Qui est Dieu ? », il s’attaque aux trois monothéismes abrahamiques, en insistant sur la violence et l’exclusion qui leur seraient naturellement associées. Sa thèse n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la plus pure tradition voltairienne, puis « néo-droitière », mais dans une version mise à jour à la suite des travaux novateurs d’archéologues israéliens (les auteurs de « La Bible dévoilée »). Ce n’est pourtant pas Soler qui crée le scandale mais l’éloge que Michel Onfray a prononcé dans Le Point à propos de son dernier ouvrage, reprenant en les vulgarisant les principales thèses de l’auteur dans son dernier opus.

Onfray nous a habitués à son combat contre l’obscurantisme religieux, lui-même professant un athéisme explicite et revendiqué, ce que nous ne partageons pas avec lui, partisans que nous sommes d’une vision bien au contraire ouvertement polythée. Il n’est pas étonnant que Soler lui ouvre de nouvelles perspectives, lui qui prend modèle sur le philosophe à coups de marteau, le démolisseur des idoles « galiléennes », pour reprendre l’expression de l’empereur Julien.

Depuis plusieurs jours, de nombreux intellectuels, notamment issus de la communauté juive, dénoncent Onfray comme un antisémite. Rien ne permet dans la pensée d’Onfray de le qualifier de tel puisque, très bon connaisseur de Nietzsche, il partage avec lui le refus absolu de l’antisémitisme, considéré comme d’essence chrétienne. Et son choix de privilégier Athènes à Jérusalem ne saurait en aucune manière être considéré comme une démarche d’hostilité mais comme un souci naturel de se relier à une tradition antique issue du génie européen propre.

Jean Soler, dans la conclusion de son pénultième ouvrage, annonce un retour à l’héritage grec, un peu comme Pléthon prédisant que la religion de l’avenir ne différerait guère de la religion grecque antique, déclarant qu’ « ils arriveront à cette conclusion, qu’en abandonnant le modèle gréco-romain pour le modèle judéo-chrétien, l’ère monothéiste aura été, avec ses ombres et ses lumières, ses ombres surtout, une erreur de parcours dans l’histoire de l’humanité ». Mais il ne pousse pas son raisonnement jusqu’au bout, évitant le choix courageux d’un Louis Ménard ou d’un marquis de Sade, celui de retrouver la matrice antique en renouant avec le polythéisme hellénique, avec l’olympisme. Et alors que dans quelques jours auront lieu de nouvelles olympiades, selon le vœu du baron de Coubertin de ramener à la vie ces jeux en l’honneur de Zeus, cela aurait été la cerise sur le gâteau. Car c’est un vœu pieux de croire qu’on pourrait retrouver la liberté de pensée des Grecs si on ne remet pas en cause et de manière absolue la marque que le monothéisme a laissée sur le visage lumineux d’Europê, si on ne renoue pas avec les dieux immortels qu’honoraient les philosophes grecs, au même titre que les simples citoyens.

Et pourtant Soler et Onfray commettent dès le départ une erreur de méthode, à savoir qu’ils se refusent à séparer le judaïsme du christianisme et de l’islam, et qu’ils ne perçoivent pas l’impact de l’universalisme comme vecteur de violence, contestant l’ethnocentrisme qu’ils prêtent aux Juifs, et s’indignant des lois hostiles à la mixité ethnique contenus dans les textes sacrés juifs, mais qu’on retrouve aussi bien dans l’Avesta iranien et dans les Lois de Manu en Inde. En effet, c’est bien l’universalisme, chrétien ou musulman, annoncée aussi à leur manière par Socrate et par l’empire romain, qui est la principale cause de violence, puisque l’autre n’est plus respecté en tant qu’autre mais se voit contraint de cesser de l’être et de se rallier à la nouvelle religion. Le caractère non-prosélyte (au sens moderne) du judaïsme, comme du zoroastrisme et de l’hindouisme, ce dernier étant une religion par ailleurs polythéiste et apparentée à l’hellénisme, change complètement la donne. Et Onfray, en ne renonçant pas à l’universalisme, se montre malgré lui disciple de Paul de Tarse pour qui il n’y a plus « ni juif, ni grec », déclarant ainsi la guerre religieuse tant à l’olympisme qu’au yahvisme.

Il y a eu certes, indéniablement, aux origines du yahvisme, une part de violence et de persécution. Mais c’est se méprendre que de prendre en compte le récit du VIIème siècle avant J.C selon lequel les Hébreux seraient venus d’Egypte et auraient décimé les Cananéens avant de s’installer dans une nouvelle terre promise. En vérité, non seulement nous savons aujourd’hui que ces récits de destruction des cités cananéennes n’ont aucune réalité historique, mais cela témoigne en réalité d’un conflit religieux au sein des Cananéens eux-mêmes.

C’est en effet au sein du peuple cananéen que va naître la scission yahviste, la mise en place d’un culte rendu à un dieu ethnarque reprenant les fonctions d’El Elyon, le dieu suprême du ciel, dieu honoré sur l’acropole de Jérusalem, et de Baal Adad, le maître de l’orage. Le panthéon cananéen était très riche en divinités masculines et féminines, parmi lesquelles des dieux souverains, ceux que je viens d’évoquer, mais aussi de grandes déesses, comme Elat Asherah, épouse d’El puis de Yahweh dans les premiers temps du judaïsme, la guerrière Anat, sœur et amante de Baal, et la merveilleuse Ashtoreth, celle-là même honorée à Babylone sous le nom d’Ishtar, toutes divinités remontant à au moins 6000 avant J.C, du temps où l’on parlait encore le proto-sémitique en Arabie.

Pendant des siècles, chaque souverain alternant philo-paganisme ou yahvisme intransigeant, prêtres de Yahweh et prêtres de Baal s’affronteront afin de convaincre les uns d’adopter la nouvelle religion, les autres de maintenir l’antique tradition. C’est en 620 avant J.C que le roi de Judée, Josias, prend position en faveur des yahvistes, ceux-ci se définissant comme hébreux et réservant désormais le terme tribal « cananéen » aux seuls païens. Lorsque la Bible dénonce les cananéens, elle dénonce uniquement les païens, de même qu’avec la christianisation de l’empire romain le nom ethnique d’ « hellènes » servit à désigner les fidèles des dieux de l’Olympe. Ainsi, le peuple juif n’est autre que le peuple cananéen devenu monothéiste et adepte du seul Yahweh, les autres dieux ayant été abandonnés et jusqu’à l’épouse même de Yahweh. Le mythe de la disparition des Cananéens doit se comprendre comme la conversion accomplie de l’ensemble de ce peuple.

Une fois que les cananéens sont devenus les judéens (yehudim), l’expansion du yahvisme s’arrête totalement, et à cette phase de prosélytisme violent succède une phase d’ethnocentrisme modéré, d’indépendance affirmée, jusqu’à ce que les empires voisins, aux appétits conquérants, s’intéressent à leur terre. Ce sera la domination des Assyriens, des Perses, des royaumes hellénistiques et de Rome. A aucun moment, les Judéens ne déclareront la guerre mais ils subiront ces jougs étrangers, rêvant d’un nouveau David libérateur, certains réussissant comme Judas Macchabée, et d’autres échouant lamentablement comme Simon Bar Koshba.

Si l’empire romain, à la différence d’un empire perse plus complaisant, s’oppose aux judéens, c’est parce que la Judée est une province romaine turbulente et révoltée. Du jour où la rébellion est totalement vaincue, avec la destruction de Jérusalem par Hadrien, cité transformée en une ville païenne, Aelia Capitolina, dédiée à Jupiter Capitolin et Zeus Olympien, le site du temple d’El Elyon puis de Yahweh étant désormais doté d’un temple de Zeus, la judéophobie des autorités romaines cessa rapidement. Les vexations sont supprimées par Antonin le Pieux. Et face au christianisme des Constantinides, païens et juifs combattront ensemble, au point où l’empereur Julien entamera la reconstruction du Temple, se révélant le premier sioniste.

Ainsi, si la phase de conversion des cananéens polythéistes a été de nature violente, comparable à la christianisation de l’Europe ou à l’islamisation du Moyen-Orient, le judaïsme cesse de l’être une fois ce processus accompli. Bien au contraire, au même titre que le paganisme, le judaïsme est persécuté, et notamment par les chrétiens et les musulmans, et ce n’est pas un hasard si le seul havre de paix dans l’Occident médiéval pour les juifs d’Europe a été la Lituanie païenne. Onfray et Soler, tout comme Voltaire, pensent qu’en s’attaquant aux racines juives du christianisme, et de l’islam, ils pourront triompher du monothéisme. Ils se trompent. C’est en renonçant à tout universalisme, en se recentrant sur l’Europe, qu’ils pourront redécouvrir les charmes de l’antiquité.

Mais il ne faut pas simplement choisir le camp d’Athènes, mais aussi celui de la Rome de Romulus, de Tara (sanctuaire druidique renommé), d’Uppsala (haut lieu de culte des dieux d’Asgard) et d’Arkona (sanctuaire slave). C’est en (re)devenant païens que cette haine stupide qui a pour nom « antisémitisme » cessera simplement d’exister. Elle était inconnue de nos ancêtres d’avant le christianisme, car ceux-ci ne se sentaient pas en religion des vassaux. Le judaïsme, lorsqu’ils étaient amenés, rarement, à le connaître, leur paraissait sans doute bien étrange, avec son absence de représentation de la divinité, comme Pompée entrant dans le saint des saints s’en étonnera, et les troupes romaines occupant la Judée, dans un contexte difficile, n’étaient pas nécessairement très judéophiles, à l’instar de Ponce Pilate. Il est vrai que, face aux nationalistes judéens, ils jouaient leur vie. Et si Jésus, à supposer qu’il ait réellement existé, a été exécuté par les autorités romaines, c’est parce qu’ils voyaient en lui, par sa revendication de « roi des Juifs » et de descendant de David, revendication qui avait aussi été celle de Judas Macchabée, un nationaliste rebelle, un indépendantiste menaçant la paix romaine dans la région. Ce n’est alors pas un hasard qu’il ait connu le sort des compagnons de Spartacus, ce dernier étant toutefois mort au combat et non sur la croix, contrairement à la légende.

C’est par le retour à ses (anciens) dieux que l’Europe, renouant ainsi avec sa plus longue mémoire, et Israël pourront renforcer leur amitié, malgré un passé douloureux difficile à faire passer. L’occupation romaine de la Judée puis le christianisme nous ont séparés, alors qu’Alexandre, César et Auguste étaient des amis du peuple juif, considérés comme tels, et étaient en même temps de solides polythéistes. Le judaïsme, parce que c’est une religion nationale, celle d’un peuple, n’est pas comparable au christianisme et à l’islam, même si ces derniers se sont appuyés sur le monothéisme israélite pour se bâtir. Les Juifs ne sont pas responsables de ce que leurs prétendus héritiers, qui les ont persécutés par ailleurs, ont pu commettre.

Par ailleurs, un courant idéologique original n’a jamais cessé d’animer le mouvement sioniste, au sein même de la Haganah par exemple, celui des « Cananéens », c'est-à-dire des Judéo-païens. Inspiré par l’œuvre du poète israélien Adyah Gurevitch (1907-1975), ceux-ci souhaitent le retour au polythéisme des anciens Hébreux, du temps où ils étaient encore des Cananéens. Il s’agit du sionisme le plus accompli, puisqu’il vise à un réenracinement total dans la terre de leurs ancêtres, jusqu’à retrouver les dieux des pères de leurs pères. Car, on oublie bien souvent que le judaïsme est l’héritier d’un polythéisme, et que les principales fêtes du calendrier juif remontent à une époque antérieure au yahvisme, même si ces fêtes ont été recouvertes, tout comme les fêtes « païennes » en Europe, d’un voile monothéiste.

La violence monothéiste nécessite une logique universaliste, celle du principe de conversion. Le païen, le kafîr, doit adopter la nouvelle religion ou périr s’il conserve son attachement aux dieux de ses ancêtres. Le christianisme, synthèse d’une dérive universaliste du yahvisme (celle de Paul) et de l’universalisme de l’imperium romanum, et l’islam, ne supportent pas l’altérité en religion. Et cette dimension semble échapper à l’analyse, habituellement brillante, d’Onfray, tout simplement parce que ce dernier n’a pas renoncé à tout universalisme et a du mal à concevoir qu’on puisse sérieusement revenir au polythéisme, tout comme le « païen » Alain de Benoist considère qu’il est « ridicule de croire en Jupiter ». Au cœur de tourments identitaires profonds, et alors que tout laisse à penser que l’Europe approche en ce XXIème siècle d’un abîme dans lequel elle risque d’être précipitée, et qu’Onfray fait tout pour ne pas voir, il suffit de songer à ses engagements politiques à l’extrême-« gauche », la religion européenne de l’avenir ne sera plus le christianisme, qui ne l’aura pas protégée, et ne sera pas non plus l’athéisme dont Onfray espère le succès. Mais le culte de ceux que les super-héros ont remplacé dans l’imaginaire contemporain, le culte des dieux immortels, qu’ils soient descendus de l’Olympe ou d’Asgard.

Thomas FERRIER