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15/02/2011

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, deux socialistes nationaux

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Le dessin de Plantu en date du 19 janvier l’a magnifiquement illustré : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon tiennent le même discours. La première en sourit. Le second s’en offusque, parlant « d’odieux amalgame ». Depuis quelque temps, il cherche désespérément à se démarquer de son concurrent dans son discours, jusqu’à adopter une trajectoire erratique, mais nous allons voir qu’il ne fait que tromper son monde. En fait, les différences apparentes sont le seul fait de l’hypocrisie de l’un ou de l’autre, et la différence réelle est qu’en fait d’hypocrisie, ils ne sont pas égaux.

C’est d’abord un discours socialiste, au sens traditionnel voire archaïque du terme, que l’un et l’autre tiennent aujourd’hui. On savait que Mélenchon reprochait au PS d’avoir abandonné le socialisme du XIXème siècle, disant en substance que si ce parti était de gauche, cela se saurait. Le 6 février, sur la chaîne BFM TV, il est allé plus loin. Selon lui, par comparaison avec les mesures que Dominique Strauss-Kahn fait prendre au socialiste George Papandréou en Grèce, Nicolas Sarkozy serait « un doux humaniste ». Bien sûr il est revenu un peu en arrière sur ses propos après coup, mais tout était dit. Le 14 février, mis en difficulté par Madame Le Pen sur la même chaîne et agacé par l’annonce d’un sondage qui montrait que les ouvriers ne votaient pas pour lui, il vante sans aucune retenue les mérites des syndicalistes du monde ouvrier, lesquels sont "très représentatifs" comme chacun sait.

On est plutôt surpris de voir Marine reprendre les slogans de la gauche traditionnelle. Rappelons que le socialisme à la Française s’oppose à la social-démocratie par la place qu’il accorde au contrôle de l’état. Or, quand Mélenchon insiste sur la programmation étatique, Marine ne dit-elle pas que «l’Etat doit retrouver son rôle régulateur en matière économique et se réapproprier le contrôle de certains secteurs stratégiques comme l’énergie, les transports et si nécessaire, les banques insensibles aux injonctions d’éthique ». Le 14 février, elle annonce qu’elle procéderait à une augmentation de 200 euros des bas salaires. Elle avoue aussi avoir déjà chanté l’Internationale.

Dans les deux cas, c’est du socialisme à la Chavez ou à la Castro, les références de cœur de Mélenchon. C’est aussi le discours des communistes français du temps de leur grandeur, communistes qui ont conservé la nostalgie du socialisme étatique de l’Union soviétique et que veut maintenant représenter Mélenchon. On pensait que les modèles auxquels ils nous renvoient avaient échoué, qu’ils appartenaient au passé. C’est très justement que Marc-Philippe Daubresse, secrétaire général adjoint de l’UMP et européen convaincu, l’a fait remarquer lors d’un débat face à lui sur la chaîne préalablement citée.

Pour tenter de se démarquer, Mélenchon a sorti quelques idées. L’une consiste à faire payer les banques françaises, lesquelles détiennent la dette de la Grèce avec leurs homologues allemandes. C’est n’importe quoi. Il n’y a pas de banque vraiment française, mais le gouvernement peut les mettre en difficulté. Le fera-t-il sans inquiéter les banques dites allemandes, ou veut-il aussi sanctionner ces dernières ? Il a aussi proposé une loi limitant à 20 le rapport des salaires dans l’entreprise. C’est déjà beaucoup quand on sait que Michel Rocard avait proposé 6. C’est surtout beaucoup pour des PME du pays. Mais les grandes entreprises dites françaises, où l’écart dépasse allègrement ces chiffres, sont à l’abri de l’action du gouvernement ; rien ne les empêche de délocaliser leur siège. Ainsi Mélenchon ajoute-t-il à son discours la tromperie, laquelle le démarque effectivement. Quelle gloire !

Lundi 14 février, confronté à Marine Le Pen, il a trouvé une nouvelle façon, plus radicale, de se démarquer. Pour contrer le discours de son adversaire sur l’immigration, il se prononce pour la régularisation immédiate des sans-papiers, sans aucune exception. Il a été facile à Madame Le Pen d’expliquer que l’immigration, voulue par le grand capital et toujours soutenue par le MEDEF, tire vers le bas les salaires des ouvriers nationaux. D’ailleurs les artisans et commerçants s’intéressent aussi à lui, car ils ont grand besoin d’une main-d’oeuvre bon marché. Bref Mélenchon trahit sans vergogne ceux qu’il prétend défendre. Cela commence d’ailleurs à se voir. Et c’est la raison pour laquelle il dit que « la classe ouvrière organisée », celle des pseudo-socialistes dans son genre, « vomit » Madame Le Pen.


On peut rattacher à leur socialisme traditionnel l’attachement qu’ils affichent, l’un et l’autre, à la laïcité. Malheureusement, il ne faudrait pas trop leur demander de creuser le sujet. Par exemple Mélenchon n’a pas exclu par principe un rapprochement avec le NPA, lequel soutient ostensiblement l’islamisme. Surtout il clame haut et fort que l’Islam n’est pas un problème pour la France, que le vrai danger viendrait de quelques catholiques traditionalistes ou du statut de l’Alsace-Lorraine. Quant à Marine, il lui a été reproché de manifester une laïcité très chrétienne. Cela dit, quand elle parle de « christianisme laïcisé », elle n’a pas tort ; c’est bien cela la laïcité moderne.

En même temps, pour l’un comme pour l’autre, le socialisme est « national ». Marine n’a pas peur de se déclarer « nationale » et « socialiste » devant la presse. Elle prend le « ni droite, ni gauche, Français ! » de son ancien beau-frère Samuel Maréchal, qui l’avait lui-même repris de Jacques Doriot. Mélenchon se gardera certainement de tels excès, mais il n’est pas moins national pour autant.

Ici il faut être précis. Ce que l’un et l’autre entendent par nation est en réalité un état, l’Etat français précisément. C’est sur le retour à la souveraineté entière de la France qu’ils veulent fonder leur politique. On les comprend d’ailleurs fort bien. Quel autre pays voudrait de leur modèle éculé, prisonnier de quelques mammouths ruineux défendus par des syndicats décadents ?

D’ailleurs, lorsque Mélenchon se vante d’être un descendant d’immigrés, il fait bien évidemment référence à la France. Madame Le Pen se garde bien de le lui faire remarquer, de même que si elle lui rappelle qu’il a voté pour le traité de Maastricht, elle oublie d’ajouter qu’il a été, en un temps, un vibrant défenseur de l’idée européenne. Lorsque le premier veut régulariser les sans-papiers, c’est à une mesure strictement française qu’il pense, faisant fi des modestes efforts de l’Europe pour contrôler ses frontières.

L’un et l’autre n’ont de cesse de critiquer la communauté européenne et l’€uro. Mélenchon a voté pour le traité de Maastricht, mais il reconnaît son erreur et se repend. Le principal reproche que les deux ont fait à l’€uro est qu’il empêche de dévaluer. Partant de là, les discours diffèrent, mais seulement en apparence.

Sur ce point Marine tient un discours à la fois parfaitement clair et totalement délirant. Elle veut que la France abandonne l’€uro pour retrouver sa monnaie nationale. Elle conseille aux autres pays de la zone d’en faire autant. D’ailleurs, à son avis, la monnaie commune va de toute façon exploser. Elle n’a pas compris que l’€uro nous protégeait de la catastrophe, ni surtout qu’il restait possible à la France avec l’€uro de dévaluer sans danger. Il suffirait d’augmenter la TVA de 3 points, voire 5, en baissant les charges sur les entreprises. La droite le sait très bien, mais elle ne peut pas en prendre le risque politique avant les présidentielles.

Mélenchon, qui n’a rien compris à l’impôt, refuse aussi obstinément d’y penser. Il oublie que si la TVA n’est pas progressive, elle n’est pas plafonnée ; or les charges sociales le sont. Cependant, toujours pour tenter de se démarquer, il a modifié son discours. Il n’est plus question d’abandonner l’€uro. Il veut à la fois conserver les avantages de la solidarité européenne et retrouver la possibilité pour la France de tirer librement sur cette monnaie. Il revendique pour elle le droit d’emprunter à 0% ou 1% auprès de la banque centrale européenne. Admettons que l’Union, qui l’interdit aujourd’hui, laisse faire. La Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et d’autres se précipiteront dans la brèche. Peut-on croire que les Allemands paieront ? Ils ont intérêt au maintien de l’€uro, mais il y a des limites. Quand on a vu "l’ardeur" qu’ils mettaient à aider la Grèce, on peut être sûr qu’avec quelques autres ils sortiraient --- par le haut --- de l’€uro. In fine, on se trouverait dans la situation préconisée par Madame Le Pen.

Le 14 février, Mélenchon, perdant pied, balance entre la banalité et l’utopie, avec des propositions qui viennent comme des cheveux sur la soupe. Tout à coup, il se prononce pour un filtrage aux frontières de l’Europe, mais il vide la mesure de son sens en ne l’étendant pas aux personnes. Il veut lancer un grand projet écologique, en dehors de toute analyse économique. Il invente surtout un nouveau gadget. Il veut maintenant garder l’€uro pour construire un SMIC européen. Cependant ce SMIC serait fixé à 60% du salaire national moyen. Ce serait le SMIC des disparités européennes. Il n’y a absolument pas besoin de l’€uro pour cela.

Là aussi, la différence apportée par Mélenchon est juste de la tromperie. C’est tellement vrai que, lorsque Marine parle de revenir au Franc sur la base initiale de la parité avec l’Euro, il dénonce une insupportable surévaluation. De qui se moque-t-on ? Le passage au nouveau Franc a-t-il multiplié par 100 la richesse des Français ?

Par ailleurs Mélenchon se montre, à cette occasion, plus national, plus arrogant, que Marine. Là où cette dernière prône pour son pays une simple liberté de mouvement, il soutient que la France, qui est forte, qui a la plus grande superficie de l’Union, peut imposer ses vues à l’Allemagne. Il compare les attaques économiques éventuelles à une invasion par des chars. Pense-t-il envahir militairement nos voisins ?

Il existe aussi des points communs en dehors du domaine économique. Les deux candidats sont, qu’ils le veuillent ou non, des nationalistes nostalgiques de l’Empire colonial français. Cela se traduit chez Marine par la préférence qu’elle donne à l’Afrique francophone sur l’Allemagne voisine. Elle va jusqu’à dire que le FN voulait que tous les Algériens soient français. C’est pareil pour Mélenchon qui défend « l’égalité réelle pour les outre-mers », demande de « soutenir l'enseignement des langues et cultures d'outre-mer », de « mettre en valeur avec les populations la diversité des patrimoines culturels et linguistiques qu'apportent les outre-mers et renforcer leur place dans les programmes et les manuels scolaires en métropole comme outre mer ». Ni l’un ni l’autre n’ont entendu parler de décolonisation.

L’un et l’autre tiennent encore un discours libertaire. C’est évident pour Mélenchon, qui vante les avancées de l’époque de Mitterand et cite la reconnaissance de l’homosexualité. Marine, de son côté, a laissé de côté les valeurs morales de la droite. Tout juste fait-elle remarquer qu’il y a une contradiction entre abolir la peine de mort et à autoriser l’avortement.

Ils s’opposent tous les deux au communautarisme. On découvre à ce propos une divergence entre leurs programmes, mais elle est aussi superficielle que les autres. Marine est favorable à l’intégration forcée quand Mélenchon prône le métissage obligé. Il y a une incohérence évidente dans la stratégie de ce dernier. En effet la référence à la France a toujours été liée à la défense de quelques unes de ses traditions. Mélenchon voudrait représenter les communistes, dont il dit le plus grand bien alors qu’il sent moins le NPA d’Olivier Besancenot. Mais, depuis la guerre et la résistance, les communistes français ont beaucoup joué sur le patriotisme national. Georges Marchais n’était peut-être pas sincère quand il se plaignait de l’immigration. Au moins, aujourd’hui, sur ce point, Gérin ne mâche-t-il pas ses mots quand il regrette que son parti ait abandonné « à Le Pen la référence à la nation, la défense de l’identité de la France », tout comme il a exclu du débat « la régulation de l’immigration, l’insécurité ».

La force du discours de Madame Le Pen, par rapport à celui son concurrent est de lier la question sociale à l’immigration. C’est ce que fait Gérin qui aborde cette question avec « la souveraineté et l’indépendance nationale » et « le sentiment d’appartenir à un État protecteur et régulateur ». C’est ce que lui reconnaît Fabien Engelmann de Riposte Laïque quand il dit : « elle apporte des solutions contre la mondialisation, et donc contre les délocalisations, elle propose aussi de lutter contre la concurrence imposée de la main d’œuvre étrangère avec la main d’œuvre « locale » dans le but avoué de faire baisser les salaires quitte à jeter au chômage des Français ». Cependant Marine ne propose rien de concret pour résoudre le problème. Sur ce point, c’est elle qui joue la tromperie. Ce serait un problème si elle n’avait pas un immense avantage sur son concurrent. En effet, comme le sujet est tabou dans la classe politique et médiatique, elle ne risque pas d’être attaquée là-dessus.

Ainsi est-ce finalement Marine Le Pen la mieux placée, dans un premier temps, pour récupérer les voix ouvrières, dont celles des membres de familles de tradition communiste. Elle le doit surtout à l’hypocrisie de son concurrent, laquelle le disqualifie définitivement, alors que sa propre hypocrisie a beaucoup de chances de passer un temps inaperçue. En effet, Mélenchon a fort bien fait comprendre qu’il appellera à voter Strauss-Kahn au second tour. C’est de cela qu’on ne veut plus chez les laissés pour compte. La stratégie de Marine n’est certes guère constructive. Elle ne veut aucune alliance et ne penche ni d’un côté ni de l’autre. Cela ne débouchera sur rien. Cependant, si les partis de gouvernement partagent le même projet désastreux, au moins est-ce cohérent.

Peter Eisner (PSUNE/LBTF)

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