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05/02/2011

Michel Rocard ou la "gauche" turcophile

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akp_logo.jpgAlors que le Parti Républicain du Peuple turc (CHP), membre de l’Internationale Socialiste, s’oppose à l’AKP, le parti de Recep Erdogan, défendant l’héritage kémaliste, le Parti Socialiste français est un fervent partisan de l’intégration turque à l’Union Européenne, à l’instar de Martine Aubry, Ségolène Royal ou Dominique Strauss-Kahn, ce dernier étant même partisan de l'adhésion du Maghreb à l'Union Européenne.

Début septembre 2008, Michel Rocard a sorti un nouvel ouvrage intitulé « Oui à la Turquie », ce qui a le mérite de la franchise. Il est intéressant de se demander quels sont les arguments avancés par l’ancien premier ministre pour défendre cette intégration, et les leçons qu’il faut tirer de cette prise de position. L’argumentaire de Michel Rocard intègre l’ensemble des paramètres, politiques et religieux, sociaux et économiques, du problème.

En premier lieu, pour Rocard, l’intégration d’un pays musulman serait une bonne nouvelle car elle montrerait que l’Union Européenne n’est pas un club chrétien ou judéo-chrétien, l’auteur employant les deux termes. On pourrait lui rétorquer qu’il n’y aurait pas besoin de la Turquie pour cela, puisque l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine, sans parler du Kosovo, sont des pays européens et musulmans. Rocard dit même que l’appartenance de la Turquie à l’islam et à la Conférence des Etats Islamiques sont deux qualités nécessaires. Il s’agit d’une ouverture à l’islam et de la construction d’un « islam européen ». En outre, Rocard évoque le caractère non monolithique de l’islam turc, avec la présence de 15 millions de musulmans hétérodoxes, les Alevis, que l’auteur présente comme pro-européens, et avec l’existence de communautés soufies. Enfin, Rocard considère l’AKP d’Erdogan, qui a toujours présenté son discours pro-européen et pro-démocrate comme une tactique, relevant de la fameuse taqija, comme un mouvement pro-européen, musulman et démocrate, faisant preuve d’un sain tropisme européen. Rocard réussit l’exploit de vanter l’héritage de Mustapha Kemal, présenté comme une volonté d’européaniser son pays, ce qui est plus que discutable, la preuve étant le choix d’une capitale au cœur de l’Anatolie, Ankara, en même temps que ses pires ennemis, les islamistes de l’AKP.

A aucun moment, Rocard ne réalise que le choix de l’AKP par les électeurs turcs est une preuve de rejet de l’Europe comme modèle civilisationnel, et que les plus européens des Turcs sont ceux-là même qui refusent cette intégration, car ils y voient à juste titre le moyen de détruire toutes les barrières freinant la réislamisation du pays.


Rocard à plusieurs reprises évoque le fait que la Turquie depuis 1959 a postulé pour une adhésion à la CEE, puis la réponse positive d’un Conseil des Ministres européen de 1963 reconnaissant la vocation de la Turquie à intégrer la structure européenne. Cette parole n’engage que ceux qui l’ont faite, et qui n’ont jamais été mandatés pour cela. Or seul l’assentiment populaire doit compter dans une démocratie digne de ce nom. Dans le même registre, Rocard rappelle l’adhésion de la Turquie au Conseil de l’Europe en 1949, son appartenance à l’OTAN, la Turquie étant « présente face à l’URSS », et explique que la Turquie est l’un des berceaux de la culture hellénistique et des débuts du christianisme. Il oublie de dire que les descendants des Anatoliens hellénisés ont été islamisés de force ou expulsés pour la plupart, et que l’empire ottoman, sauf dans les rêves de Mehmed II, ne s’est jamais considéré comme l’héritier des Rumî (c'est-à-dire des « Romains »).

Enfin, l’argument le plus surprenant chez Michel Rocard est son abandon de tout européanisme authentique. On se souvient qu’il avait expliqué que l’Europe fédérale étant un rêve impossible, il fallait se contenter du Traité Constitutionnel et il appelait donc à voter « oui ». Pour la question turque, Rocard redit la même chose. Il considère que l’idée d’une Europe fédérale et politique rêvée est une chimère, que l’Europe politique est morte en 1972. En ce sens, il reconnaît que l’intégration de la Turquie rendrait plus difficile une telle Europe, mais ce n’est plus son problème puisqu’il ne se bat plus pour l’Europe unifiée. Puisqu’il ne croit plus à l’Europe, alors pourquoi dire non aux Turcs.

Rocard dit tout haut ce que le PS pense tout bas, à savoir que le principe d’Europe fédérale n’est pas faisable, voire pas souhaitable. Les « socialistes » du oui comme ceux du non ne sont donc en aucun cas des européanistes. Seule la vraie gauche, aujourd’hui incarnée par le PSUNE, est l’héritière authentique du socialisme européen, que ce soit celui des années 30 ou celui des années 50. Le Mouvement Socialiste pour les Etats-Unis d’Europe (MSEUE) d’André Philip, fondé en 1948, et qui défendait le socialisme dans une Europe unifiée, a été bel et bien trahi par les sociaux-démocrates contemporains (PS, SPD et Labour Party en tête). Que ce soit le MSEUE ou le MSE, nous avions là deux visions bien différentes de ce que devait être le socialisme européen, mais deux visions qui allaient au moins dans un même sens, l’avènement d’une Europe socialiste et unifiée.

Aussi, si pour Michel Rocard, l’Europe fédérale est une chimère, ce qui implique qu’on peut dire oui à la Turquie, oui au Traité Constitutionnel Européen ou au nouveau Traité de Lisbonne, nous qui combattons justement pour démontrer que la Nation Européenne est non seulement possible mais absolument nécessaire, nous ne pouvons qu’adopter la position exactement contraire, à savoir le refus de la Turquie dans l’Union Européenne et le rejet du Traité de Lisbonne. Mais c'est une démarche qui est également radicalement différente de celle des eurosceptiques, ennemis de toute Europe politique, et qui finalement ne sont pas si éloignés au final des positions de Michel Rocard et des partis du Système.

Car tous ceux qui croient que l’Europe Politique est un rêve impossible, une « chimère » comme le dit Rocard, sont en vérité les ennemis, conscients ou inconscients, des Européens. Que ce soit par un pseudo-socialisme, comme à l’extrême-gauche, ou par un nationalisme rétrograde, comme à l’extrême-droite, que ce soit par un libéralisme globaliste ou un pseudo-socialisme altermondialiste, à l’arrivée c’est la mort de l’Europe.

Face à son déclin, l’Europe n’a qu’un seul chemin, c’est celui du socialisme européen. Puisque la « gauche » ne veut pas l’arpenter, c’est à une nouvelle gauche, nouvelle par rapport à celle d’aujourd’hui bien que fidèle à la gauche éternelle, celle de Saint-Simon et de Jaurès, celle de Paul-Henri Spaak et d’André Philip, de prendre le relai. C’est notre héritage, notre devoir politique.

Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE

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