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23/07/2013

De la liberté d’expression comme fondement de la démocratie

RRC-433-1-Obverse.jpgEn France, une détestable « mode » consiste pour des associations, en s’appuyant sur l’existence de lois réprimant certaines opinions, à poursuivre pénalement toute personne tenant des propos qui tendraient à blesser ou à indigner la communauté dont l’association se prétend le porte-parole et le défenseur. Ces associations de nature communautaire, qu’il s’agisse de communautés liées à l’origine, à l’orientation sexuelle ou à un mode de vie, se portent partie civile pour un oui ou pour un non, pour l’expression maladroite d’un élu comme pour la provocation d’un extrémiste.

Cela permet ainsi à certaines associations, dont la légitimité est plus que douteuse, de s’arroger le « monopole de la souffrance » et en conséquence de toucher des tribunaux des sommes assez substantielles, sommes qu’elles n’arrivent pas à obtenir de leurs rares adhérents. Leurs plaintes à répétition surchargent en outre les tribunaux, qui devraient avoir mieux à faire que de condamner des personnes en raison d’un propos ou d’une idéologie, en s’en prenant notamment à des criminels.

Au départ, les lois restreignant la liberté d’expression sont parties de bons sentiments qui semblaient faire consensus. Mais toute dérive commence ainsi. Le législateur a voulu réprimer les propos racistes (loi Pleven de 1972) puis négationnistes (loi Gayssot), dans la suite de la loi Marchandeau d’avant-guerre. Si des historiens se sont émus de voir l’Etat se mêler des questions d’historien, peu les ont contestés, tant ce genre de propos fait horreur au plus grand nombre de nos concitoyens. Ce que ces derniers ignoraient, c’est qu’ils rentraient ainsi dans un processus dont ils finiraient eux-mêmes par être victimes.

En politique, c’est Jean-Marie Le Pen qui a été le plus souvent poursuivi pour des provocations sémantiques qui permettaient de faire parler de lui. En le condamnant, la justice faisait de lui la victime d’une répression politique, l’auréolant alors de la couronne du martyr. La classe politique toute entière, à l’exception de ses partisans, trouvait ces sanctions légitimes. Elle en paie aujourd’hui le prix car maintenant c’est toute la classe politique qui se retrouve sous la menace permanente des tribunaux. Or, ce sont des élus de la république, élus d’abord par le peuple, dont la liberté d’opinion et d’action se trouve désormais limitée.

En démocratie, l’expression populaire, le « pouvoir du peuple », ne saurait être restreinte ou limitée en quelque manière. Si un élu tient des propos qui semblent intolérables au plus grand nombre, il sera sanctionné aux prochaines élections par les électeurs de sa circonscription. Car c’est le peuple qui est juge des élus, et cela ne devrait pas être un tribunal.

En judiciarisant l’expression de l’opinion des élus, on judiciarise du même coup l’expression libre des citoyens. Or quels sont les régimes qui au XXème siècle ont réprimé, parfois d’une manière radicale, l’opinion libre ? Les régimes totalitaires. Eux aussi se sont prétendus être dans le « bon camp » et agir dans l’intérêt général. Tout le monde sait ainsi que dans les années 80 les humoristes avaient une bien plus large liberté d’expression qu’aujourd’hui. A partir de la plainte contre Patrick Timsit, au début des années 90, le ton a changé. L’humoriste peut se retrouver responsable devant un tribunal de ses jeux d’esprit, pour peu qu’ils aient offensé tel ou tel.

L’indignation de la classe politique envers un élu qui aurait « dérapé » est à la hauteur du laxisme dont elle fait preuve dans des affaires pénales bien plus graves. Si les propos d’un député UDI comme Bourdouleix sont inacceptables de l’avis d'un ministre de tout premier plan, alors leur expression est de même nature et de même gravité que les comportements jugés intolérables par ce même ministre à Trappes ou sur le Trocadero. Tout se vaut. Un propos imbécile d’un élu est alors de même rang que l’agression d’un policier, ou pire encore.

Le dit ministre réclame pour cet élu « une peine exemplaire » et même « des sanctions très lourdes ». Mais n’est-ce pas ce qu’il demande aussi lorsqu’un criminel s’en prend à un policier ou même commet un meurtre ? Un élu qui exprime une opinion choquante se comporte-t-il comme un émeutier qui brûle des voitures ou comme un voleur qui cherche à dépouiller les victimes d’un accident ferroviaire ? En mettant sur le même plan l’un et l’autre, en usant de termes répressifs extrêmes, pour l’un comme pour l’autre, n’est-ce pas banaliser de ce fait des actes criminels, en les plaçant au même niveau qu’un délit d’opinion ou qu’un délit de presse ?

En outre, en quoi la séparation des pouvoirs entre le politique et le judiciaire est-elle assurée lorsque des ministres prennent position et exigent de la justice qu’elle aille dans leur sens ? Cela a été notamment le cas dans l’affaire Méric.

Cette dérive judiciaire, qui est consubstantielle au principe de limiter la liberté d’expression, sous quelque prétexte que ce soit, et que les législateurs américains au XVIIIème siècle avaient craint, d’où le premier amendement à la constitution américaine sanctuarisant cette liberté, doit être combattue, et ce même si cela implique que des individus dont on désapprouve totalement les propos puissent les exprimer sans que la justice ne puisse intervenir.

La première mesure de bon sens, applicable dans le cadre français, serait d’interdire juridiquement à des personnalités morales, comme les associations, de se porter partie civile contre une personnalité physique, dont la libre expression les aurait heurtées. Seule la diffamation publique d’individu à individu devrait être poursuivie et condamnée.

La seconde serait, en conformité avec les différentes déclarations en matière de droits de l’homme, de sanctuariser en Europe cette liberté d’expression par l’équivalent d’un premier amendement intégré aux traités en vigueur et aux constitutions des Etats membres.

6814mus-agora.jpgEn outre, la politisation de la justice, par le lien maintenu entre le gouvernement et la magistrature en France, et par le poids d’une idéologie dominante intégrée à la formation des magistrats, est fondamentalement une atteinte aux principes démocratiques. Pour une justice au service des citoyens, et non au service du pouvoir ou de groupes de pression, il faut imposer l’élection des juges au suffrage universel (par circonscription). En conférant aux magistrats une légitimité démocratique égale à celle des représentants du peuple dans les assemblées, on leur assure d’office l’indépendance requise pour rendre la justice sans tenir compte de la pression gouvernementale ou des idéologies à la mode. C’est ainsi que la séparation des pouvoirs sera assurée.

La liberté d’expression apparaît donc comme le révélateur de l’état d’une société humaine. Lorsqu’on veut la limiter, c’est qu’on se méfie du peuple, et cette démophobie est la base de toute oligarchie, qui n’est autre que la tyrannie de quelques uns au détriment du plus grand nombre. En donnant le droit, même et surtout à ses adversaires, de dire ce qu’ils pensent, sans crainte, on défend ainsi les libertés fondamentales du peuple.

Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)

02/12/2012

Qui/que sont les dieux ?

paganisme,christianisme,islam,polythéisme,liberté,science,zeus,cosmosLes fondements du « paganisme », c'est-à-dire d’une vision multiple du divin (« polythée »), reposent sur la croyance en l’existence d’êtres supérieurs, de forme humanoïde, qu’on appelle « dieux ». Mais que sont donc ces dieux et quel lien ont-ils avec les êtres humains ?

A la différence du monothéisme qui postule l’existence d’un dieu démiurge, hors du monde, manœuvrant les hommes comme de simples pions sur l’échiquier cosmique, les dieux « païens » s’inscrivent strictement à l’intérieur de ce cadre qu’est le cosmos. Que l’univers naisse d’un œuf cosmique, du sacrifice d’un homme primordial, cela n’a pas d’importance. Il est un fait que si démiurge il y a eu, il était antérieur à l’univers. C’est « Chaos » personnifié qu’on retrouve dans la mythologie grecque, c’est sans doute Janus, le dieu des commencements et des fins dans la mythologie romaine. Mais désormais, au sein du cosmos, son rôle est désormais nul, s’il n’est pas mort en le faisant naître. Cela ne signifie pas que les forces de destruction, et d’involution, cherchant à ramener le monde à avant son existence, n’existent pas. Sa personnification classique est celle d’un serpent ou d’un dragon que combat le dieu de l’orage.

Les dieux sont les piliers de l’univers, ce qu’il faut comprendre dans l’expression indo-européenne *ansus, pour désigner une divinité, les garants de l’ordre. Ils incarnent les forces à l’œuvre au sein du monde pour protéger celui-ci de la destruction.

Ces forces du cosmos, et de la nature, sont en relation avec les différents éléments, à savoir en premier lieu les astres (soleil, lune, terre, étoiles, planètes), les phénomènes atmosphériques (ciel de jour, nuit, aurore, crépuscule, orage, arc en ciel) et les éléments (vent, eau, feu), et enfin les animaux et les végétaux. Si l’évolution des mentalités, et le progrès technique, enrichissent ces dieux primordiaux de fonctions nouvelles, en relation avec les activités humaines (guerre, industrie, science, économie, agriculture) ou même les concepts (amour, intelligence théorique, intelligence pratique) et les innovations (musique, sculpture, écriture), il ne s’agit que de variations sur un même thème.

Ainsi, le dieu de l’orage, du tonnerre et de l’éclair, s’est-il vu enrichi de fonctions supplémentaires, comme le fait de patronner la guerre, de protéger les combattants, de donner la victoire à ceux qui le méritent, et jusqu’à assurer la paix aux frontières. De même, la déesse de l’aurore est-elle devenue déesse de l’intelligence pratique mais aussi de l’amour, du tissage, du mariage et de la famille. La déesse de la terre est devenue déesse de l’agriculture. Le dieu de l’eau est devenu le dieu des lacs et des rivières, puis le dieu de la mer et des océans, et enfin le dieu des marins. Le dieu des bêtes sauvages est devenu le guide des troupeaux, puis le dieu des chemins, le dieu des chemins de l’esprit (science) et même le dieu du commerce. Enfin le dieu du soleil, astre de vie, est devenu le dieu de la justice, car il voit tout, le dieu des arts et de la beauté, le dieu de la médecine car les anciens connaissaient les propriétés bénéfiques des rayons solaires, et le dieu garant des contrats et des serments.

Si le rôle des dieux s’est accru avec le temps, leurs pouvoirs n’ont en rien été diminués, bien au contraire. Ils président même les institutions politiques des tribus, des cités puis des états, et jusqu’aux confréries professionnelles. En Grèce classique, Arès est le dieu des soldats, Aphrodite la déesse des hétaïres, Hermès le dieu des marchands, et des voleurs, Déméter la déesse des paysans, Zeus le dieu des responsables politiques, Héphaistos le dieu des forgerons et des ouvriers, Athéna la déesse des tisseuses mais aussi celle des savants et des sages.

Il y a donc différents niveaux de lecture de ce que les (anciennes) divinités peuvent représenter. Si le cœur historique et fondamentale d’un dieu est son lien avec une force de la nature spécifique, comme Silvanus protège les forêts, comme Pomona protège les arbres fruitiers, comme Vesuna préside à la production de biens, avec un animal emblématique (le loup pour Mars à Rome, l’ours pour Artémis, l’aigle pour Zeus, le cerf pour Cernunnos, le corbeau pour Apollon, la chouette pour Athéna), il est aussi un acteur de la vie publique, un acteur de la vie économique, de la vie sociale, de la vie culturelle. Le temple exalte le génie des architectes, et des mathématiciens. La nécessité d’une statue cultuelle excite l’imagination et la talent des sculpteurs. La religion inspire aussi le poète.

Les œuvres de Phidias, d’Alcamène, de Scopas, de Praxitèle nous rappellent à quel point l’ancienne religion a suscité la création d’œuvres d’art inestimables. La poésie d’Homère, d’Hésiode, de Pindare, de Virgile, en sont d’autres exemples, comme l’est la philosophie d’Héraclite, de Platon ou d’Aristote. La Renaissance a remis au goût du jour ces arts majeurs, sublimés par la musique, de même que le romantisme, qui au souffle gréco-romain y ajoutera le souffle hyperboréen. Lorsque Ronsard pense à l’amour, la figure d’Aphrodite lui apparaît immédiatement. Lorsque David s’apprête à peindre, il a à l’esprit les mânes de Romulus et de ses hommes face aux Sabins, les Horaces se préparant au combat, Brutus l’ancien levant le glaive vengeur en hommage à Lucrèce outragée.

Les dieux « païens » encouragent les hommes à être meilleurs, à user de leur intelligence, à faire preuve de courage. L’homme a été forgé doué de raison, animé par le doute, qui fonde la science. Son rapport avec les dieux est celui que l’on peut avoir avec un ami puissant et bien disposé à son égard, mais qui peut se fâcher et cesser d’apporter son appui, ou même aider celui qui aura été davantage méritant. Le Dieu monothéiste exige en revanche la soumission absolue à son égard, le rejet de la raison si celle-ci s’oppose à sa volonté, le renoncement à tout ce qui fait un être humain, et même à sa liberté. Les Grecs anciens pouvaient honorer un Zeus qualifié de Eleutherios, « libérateur » mais jamais le Dieu chrétien n’a reçu une telle épithète. Là où le Dieu des païens souhaite que l’homme accomplisse son destin, le Dieu monothéiste veut l’entraver. Si l’homme s’avise de vouloir manger de la pomme de l’immortalité, de l’éternelle jeunesse et de la sagesse suprême, il est puni et mis plus bas que terre. Héraclès au contraire terrasse le gardien du jardin des Hespérides, consomme ses pommes, et accède ainsi, après sa mort dans la souffrance sur le bûcher du Mont Oeta, à l’éternité.

Ce que Nietzsche appelle le surhomme, décrit comme un fil tendu entre l’homme et le dieu, entre l’inhumain et le surhumain, et pour qui à l’époque moderne l’incarnation idéale était Napoléon Ier, les anciens l’appelaient herôs en grec, divus (« divin ») en latin. Le bon empereur était fait divus par le Sénat, mais en revanche le mauvais empereur était maudit, son nom même était effacé, il subissait la damnatio memoriae.

Le dieu païen pouvait ainsi être qualifié de philos, « ami », ou même de comes, « compagnon ». Le jeune Constantin avait ainsi Sol Invictus Comes à ses côtés, tout comme le shah iranien avait Mithra. Et dans certaines traditions, comme dans le zoroastrisme, les héros avaient un rôle bien plus décisif pour l’avenir de l’univers que les dieux eux-mêmes. De même, Wagner ne lie-t-il pas le crépuscule des dieux à la mort de Siegfried ?

Il n’y avait pas d’athées dans l’antiquité « païenne », même si Lucien de Samosate se moque des bigots, même si Evhémère présente les dieux comme des rois et des héros devenus « divins » par leurs actions. Les savants évoquaient les dieux comme un objet de recherche comme un autre. Ils étaient même des « objets philosophiques ». Les dieux d’un paysan du Latium étaient pourtant les mêmes que ceux d’un grand philosophe athénien. Celtes, Romains, Grecs, Germains et Slaves ne s’affrontaient pas au nom de dieux différents. Les Varègues suédois et les Slaves, qui formeront unis la Rus’ de Kiev, considéraient leurs dieux comme identiques sous d’autres noms, ainsi Thor et Perun, Odin et Volos, Balder et Dazbog. A Torsberg, « colline de Thor », au Danemark, on a même retrouvé un bouclier dédié au Mars romain, comme si les deux divinités n’en formaient qu’une.

L’antique religion fut ainsi au service de la science, de la liberté, de la prospérité économique, du courage des combattants, de l’honneur des hommes et des femmes. Elle ne constituait pas un frein au développement mais l’accompagnait avec bienveillance et l’encourageait même. Lorsque le christianisme, puis l’islam, se sont abattus sur le monde « païen », la science recula, le doute céda la place à la foi aveugle, la liberté sombra face à un esclavage d’une nature nouvelle, non plus l’asservissement du seul corps mais aussi celui de l’âme. Même si tout ne fut pas ténèbres, même si la lumière perçait grâce à la ténacité de penseurs, de savants, de chefs et d’aventuriers, même si en plein Occident chrétien et à Byzance des écoles philosophiques de haute tenue existaient, c’était une Europe bridée, une Europe ralentie dans sa marche vers le progrès par le fanatisme. La Renaissance fut le coup le plus dur, et le plus salutaire, porté à cette civilisation obscurcie. Elle n’était que le début d’une remise en cause complète d’une tutelle devenue à nouveau insupportable. C’est ainsi que certains penseurs en vinrent à se souvenir avec émotion de l’époque où on honorait des dieux multiples, de cette époque de liberté où science et religion s’accordaient au service de l’humanité.

Lorsque l’homme accomplit son rôle au sein de la nature qui l’a vu naître, lorsqu’il se place au service de la raison et de l’ordre en toutes choses, lorsqu’il cherche à comprendre le vivant et les lois de l’univers, lorsqu’il fait preuve de raison et de modestie, de mesure et d’amour de la vérité, son être résonne avec le monde. C’est le principe platonicien remis à l’honneur par Léonard de Vinci de l’homme microcosme, reflet à petite échelle de l’harmonie cosmique. C’est ainsi qu’il est au sens strict un écologiste, un défenseur de son environnement, et œuvre aux côtés des dieux à la préservation de ce monde qui est nôtre, de cette richesse et de cette diversité.

Le « paganisme » a su unir science et conscience, progrès technique et respect de la nature. Les religions modernes, même celles dont l’extrémisme a été durablement émoussé par la liberté scientifique, n’ont pas ces vertus. L’athéisme moderne est hémiplégique, il n’a fait que la moitié du trajet. Se détourner du Dieu qui opprime amène à se tourner vers ce Dieu qui libère et non à nier le caractère sacré de la nature. L’Europe retrouvera la maîtrise de son destin lorsqu’elle ira au bout de cette révolution mentale qui lui est si nécessaire, car « l’homme de l’avenir sera celui qui a la mémoire la plus longue » (Nietzsche).

Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)