Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/06/2015

La Turquie refuse à Erdogan sa super-présidence

http://thomasferrier.hautetfort.com/media/01/00/449511605.3.png

turk.jpegLes électeurs turcs ont rejeté Super-Erdogan, ce « héros » auto-proclamé de la Turquie islamique et néo-ottomane, nouveau calife en son luxueux palais. Depuis la fin du mandat d’Abdullah Gül, son vieux complice désormais marginalisé, et son élection, Recep Erdogan n’a cessé de jouer les autocrates et encore récemment fêtait devant ses troupes militantes la victoire de Constantinople en 1453.

Avec 40.93% des voix, et 256 députés (sur un total de 550), l’AKP réalise une contre-performance même si ce parti reste le premier du pays, perdant plus de huit points par rapport à 2011 et 72 sièges. Il est désormais bien loin de la majorité absolue et bien davantage encore du nombre de sièges nécessaires pour faire voter une révision constitutionnelle accentuant le caractère présidentiel du nouveau régime qu’il souhaite mettre en place, mais que 75% des Turcs selon les derniers sondages, et même 60% de ses propres électeurs, refusent.

Avec 25.08% des voix et 132 sièges, le mouvement kémaliste CHP ne progresse guère en nombre de voix. Le CHP échoue une fois de plus à représenter une véritable alternative aux yeux des électeurs, la réislamisation en cours de la Turquie que l’AKP a fortement encouragée depuis dix ans lui étant nettement défavorable, y compris à Istanbul et à Ankara.

Avec 16.38% des voix (+3.37) et 82 sièges (+29), démentant ainsi tous les sondages, les nationalistes du MHP réussissent en revanche un très bon score, même s’ils ne retrouvent pas leur résultat de 1999 (18%). Ils bénéficient de la perte de crédits d’Erdogan et de l’échec de la ligne néo-ottomane du premier ministre Davutoglu. A côté d’eux, les nationaux-islamistes du BTP avec 0.38% sont nettement marginalisés.

Le vainqueur indiscutable de ce scrutin est le DHP, ce parti démocrate représentant surtout les Kurdes mais aussi les minorités. Avec 13.1% et 80 sièges (+50), il fait une entrée fracassante au parlement et réussit surtout à empêcher l’AKP de bénéficier de la prime, car ses sièges auraient été au premier parti du pays en cas de score inférieur à 10%. Une part importance de l’échec de l’AKP s’explique par un vote massif en faveur du DHP dans le Kurdistan et même en dehors (10.6% à Istanbul, 11.5% à Izmir).

Enfin, le parti islamiste Saadet en revanche reste très faible avec 2.06% des voix (+1.06) même s’il progresse très légèrement. Les autres partis sont très faibles, à l’instar du parti de gauche radicale Vatan Partisi (0.33%), du DP nationaliste (0.15%), du Turk Parti (0.12%) ou encore des libéraux-démocrates (0.05%).

Ces résultats vont contraindre l’AKP à mettre en place une coalition qui limitera considérablement sa marge de manœuvre. On pourrait aussi imaginer une grande coalition contre lui au parlement, mais l’incompatibilité doctrinale totale entre le MHP (nationalisme turc) et le DHP (pro-Kurdes) rend cette hypothèse peu vraisemblable. Une grande coalition AKP/CHP est de même totalement inconcevable. Une coalition MHP/AKP, alors que le MHP est opposé à l’adhésion à l’UE du pays, est en revanche imaginable, de même qu’un gouvernement AKP minoritaire.

Du point de vue des Européens opposés au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, ces résultats électoraux ne sont pas nécessairement une bonne nouvelle. La dérive autoritariste d’Erdogan était un argument en or pour y mettre fin et en tout cas pour faire traîner les choses au maximum. Avec la montée du DHP, qui prône davantage de démocratie et de droits, cet alibi est affaibli. En revanche, une coalition AKP/MHP serait très positive car les nationalistes turcs sont de farouches opposants à l’adhésion à l’UE. De plus, mouvement d’extrême-droite lié au Bozkurt (« loups gris »), sa réputation en Europe occidentale est plutôt négative.

L’AKP a en tout cas connu son premier revers significatif, même si ce parti est loin d’être à terre. Perdre huit points en quatre ans alors qu’il est le parti sortant n’est pas lamentable. Et puis certains électeurs ont voulu mettre un frein aux ambitions du chef de l’Etat ou ont été révulsés par quelques scandales de corruption. Il y a enfin la croisade intérieure que mène Erdogan contre le mouvement Fetullah Gülen, après s’en être pris à l’opposition laïque au sein de l’armée et de la presse. Mais Erdogan découvre désormais que le peuple ne le suit plus aveuglément.

Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)

 

nota bene: la présence de la bannière européenne au-dessus de cet article indique qu'il intéresse les questions européennes. Néanmoins, à nos yeux, la Turquie n'a pas et n'aura jamais vocation à rejoindre la construction d'une Europe politique.

(Mise à jour le 08/06/2015)

Les commentaires sont fermés.