15/06/2015
Quatre mythes « fondateurs » de l’europhobie contemporaine
L’Union Européenne est éminemment critiquable et ce avant tout parce qu’elle donne le sentiment qu’il y a tromperie sur la marchandise. Loin d’être l’embryon d’une véritable Europe politique au service des Européens, elle apparaît comme un organisme technocratique éloigné des citoyens, une gouvernance d’esprit mondialiste (ou globaliste) alignée sur les intérêts américains, brisant les anciennes nations d’un côté sans se doter des moyens d’être une nation de l’autre. Ainsi, si les pouvoirs nationaux sont affaiblis, ce n’est pas en faveur d’un pouvoir européen qui reste encore à bâtir. Au contraire, on assiste à une neutralisation mutuelle.
En réalité, l’Union Européenne est un nain politique, un alibi des gouvernements « nationaux » pour appliquer leur programme libéral et atlantiste mais sans l’assumer devant les peuples. Ils s’attribuent toute initiative communautaire qui irait dans le bon sens mais en revanche rejettent sur elle des politiques impopulaires dont pourtant ils sont les promoteurs zélés. L’Union Européenne n’est donc pas vraiment « européenne » et en tout cas elle n’est pas l’Union Européenne qu’elle aurait dû être, qu’elle devrait être et qu’il est bon qu’elle finisse par devenir.
Cette introduction est nécessaire pour bien faire comprendre que dénoncer les mythes europhobes ne signifie pas pour autant perdre tout sens critique sur l’actuelle construction européenne. Il convient d’en dénoncer les travers, non en fonction de fantasmes idéologiques, mais de faits.
Mythe n°1 : l’Union Européenne est la nouvelle Union Soviétique.
Il est assez drôle de voir des anti-libéraux dénoncer en l’UE une « UERSS », notamment lorsqu’ils se revendiquent du PCF. En réalité, le dernier Etat soviétique d’Europe est plutôt l’Etat français, avec sa bureaucratie tatillonne et ses apparatchiki d’ENA. L’URSS était un régime totalitaire centralisé où tout le pouvoir était détenu par un politburo et qui envoyait ses opposants dans des camps puis dans des asiles. Ses dirigeants avaient un réel pouvoir, alors qu’un Van Rompuy hier ou un Tusk aujourd’hui n’en ont aucun. Quant aux commissaires, ils sont choisis par chaque Etat membre de manière souveraine, même si le parlement européen a en théorie le pouvoir d’en refuser certains. En réalité, comme ce parlement est tenu par les grands partis nationaux au sein de coalitions fictives, les députés se couchent systématiquement devant les décisions des chefs d’Etat. Hollande a ainsi pu imposer Moscovici malgré les fortes réticences de Strasbourg.
Pour renforcer leur équation, certains souverainistes et/ou europhobes font appel aux « prédictions » d’un ancien dissident soviétique en la personne de Boukovski, qui est un atlantiste acharné et un ennemi déclaré de Poutine, que ces mêmes europhobes souvent adulent de manière parfois excessivement servile.
L’UE est accusée d’ultra-libéralisme alors que l’URSS était communiste. L’UE finance ses opposants, ainsi les députés européens du FN ou de UKIP, alors que l’URSS les enfermait. La direction de l’UE n’a aucun pouvoir alors que celle de l’URSS était dictatoriale. Par ailleurs, si les adversaires de l’UE se réclament souvent du nationalisme, ils oublient que l’URSS était dès Staline sur une ligne nationaliste grand-russe, réprimant les minorités linguistiques, dont les Ukrainiens. Là encore l’URSS rappelle davantage le centralisme jacobin à la française, avec les Bretons ou les Corses dans le rôle des Ukrainiens ou des Biélorusses.
Mythe n°2 : l’Union Européenne est un IVème Reich.
L’Union Européenne serait une création « nazie », affirment sans rire certains souverainistes. Le nazisme était pourtant une synthèse de socialisme et de nationalisme, deux idéologies qu’ils chérissent à leur manière. L’UE est au contraire à la fois libérale et internationaliste. Ses dirigeants prônent l’ouverture des frontières notamment à une immigration incontrôlée.
Pour appuyer cette comparaison sans fondement, certains évoquent la figure de Walter Hallstein, un président de la commission parmi d’autres, sous le prétexte qu’il a été membre de la NSDAP à une époque où en Allemagne à peu près tout le monde en était membre. Il n’y a pourtant eu aucune responsabilité de premier plan ni même de second plan. Dans ce cas là, on peut aussi bien affirmer que Boris Eltsine était un communiste. Rien par ailleurs ne laisse penser qu’il soit arrivé à la place de président par le biais d’une internationale noire qui œuvrerait dans l’ombre.
Et puis ceux qui affirment que l’UE serait nazie sont aussi ceux qui la comparent à l’URSS et/ou dénoncent une « Europe » américaine, les deux puissances qui ont justement écrasé sous les bombes le dit Reich. Tout cela n’est guère sérieux et cette dénonciation n’est qu’un postulat de principe à base complotiste et non une critique fondées sur une analyse sérieuse.
Mythe n°3 : les Français ont voté non à la construction européenne en 2005.
Avec près de 56% des voix, les électeurs français ont refusé le projet de « traité constitutionnel » soumis à leur vote par décision de Jacques Chirac, alors président de la république. Les raisons de ce refus sont multiples, à l’issue d’une campagne efficace des opposants – refus de l’adhésion turque, refus de la concurrence déloyale intra-européenne symbolisée par la directive Bolkestein, rejet du gouvernement et d’un président usé par dix ans de pouvoir, et rejet de la construction européenne, mais ce pour une toute petite partie des électeurs. Les Français ont répondu à la question posée, qui était oui ou non, à un texte médiocre, technocratique, et qui n’était constitutionnel que par son nom, ceci pour flatter la « convention » Giscard. En réalité, le « TCE » corrigeait légèrement Nice et synthétisait le droit communautaire de plusieurs décennies. C’était donc un document technique, fondamentalement illisible, qui ne pouvait que susciter le rejet par les électeurs.
Les Français ont voté non au TCE. Ils n’ont pas voté non à la construction européenne, non à l’idée même de « constitution » européenne. Ils n’ont pas voté contre l’euro ou contre l’UE. J’ajoute pour être clair avoir fait partie des votants « non » car souhaitant une véritable constitution européenne, issue d’une assemblée constituante européenne élue en ce sens, je ne voulais pas que le terme soit usurpé et il l’était.
Mythe n°4 : l’Union Européenne est responsable de l’immigration.
Alors que l’Europe subit depuis plusieurs mois un flux massif et ininterrompu de migrants clandestins venus notamment d’Afrique, il est de bon ton d’en accuser Schengen et l’UE. Il est clair que l’actuelle UE ne nous protège en rien contre ces flux mais, comme toutes les autorités « morales », y compris le Vatican, elle encourage l’accueil des migrants. Mais à part la Hongrie d’Orban, quel gouvernement prône leur rejet ?
Schengen a aboli les frontières à l’intérieur de l’Union Européenne. La Roumanie et la Bulgarie ne font d’ailleurs toujours pas partie de son espace, à la différence de l’Islande, qui n’est même pas dans l’UE. A l’exception du cas « rom », qui n’est pas nouveau en France et n’a pas attendu l’ouverture des frontières (leur première arrivée en France date de 1340), l’immigration en Europe est due à la volonté des gouvernements nationaux. Les travailleurs turcs sont arrivés en Allemagne en 1963 suite à un accord bilatéral Allemagne-Turquie. Dès 1946, la France a fait appel à des travailleurs issus de son ancien empire colonial, et notamment maghrébins, malgré l’opposition de De Gaulle. De la même façon, le Royaume-Uni a ouvert dès les années 50 sa porte à des immigrés venus du Commonwealth, ce qui a amené un célèbre conservateur du nom de Powell à s’en émouvoir et à être alors marginalisé de la scène politique pour cette raison.
Il est d’ailleurs assez ironique d’entendre le premier ministre britannique David Cameron s’émouvoir de l’immigration, essentiellement européenne (polonaise notamment), alors que son parti n’a jamais rien fait contre l’immigration extra-européenne issue de l’ancien empire, et continue de ne rien faire contre. De même, la France s’est faite une spécialité de reconduire à la frontière des Russes ou des Moldaves, alors qu’elle ne fait rien (ou en tout cas pas grand-chose) contre les migrants clandestins venus de son ancien espace colonial.
Il faut savoir que la loi française permet par exemple à tout algérien né avant 1962 de bénéficier de la nationalité française au titre de la « réintégration ». C’est l’Etat français qui est aussi responsable de l’appel d’air migratoire par son assistanat de masse doublé d’un égalitarisme lui interdisant de réserver ses aides à ses seuls concitoyens. L’Allemagne et le Royaume-Uni sont beaucoup plus raisonnables en la matière. C’est la propre constitution de la France qui lui interdit de s’opposer efficacement à ces flux, pas des directives européennes, alors que la gestion de l’immigration est une compétence nationale. Et enfin, nous devons la départementalisation de Mayotte au seul Etat français, sans que l’UE ait eu la moindre influence en ce sens.
Thomas FERRIER
00:31 Publié dans Analyses, Elections en Europe, Mes coups de gueule | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : europhobie, mythes, union européenne |
Commentaires
Les souverainistes français ne chérissent guère que la variante du "socialisme" résultant de la jonction complexe réalisée par celui-ci avec le faisceau d'idées issu des Lumières et de la Révolution française, contre les excès duquel protestaient radicalement aussi bien le nazisme que la variante plus "primitive" de l'idée socialiste. Nul n'est donc besoin de recourir à de pareils arguments douteux (nazisme = synthèse de nationalisme et de socialisme) pour récuser cette analogie dépourvue de fondement historique entre la construction et l'unification économique, politique (et culturelle ?) européenne et l'idée d'un IV ème Reich.
Le type de nationalisme pathologique, mortifère et messianique professé par le nazisme n'était pas quant à lui exempte d'universalisme globaliste et expansionniste, et l'ouest européen culpabilisé continue tout entier aujourd'hui encore à en subir les conséquences tragiques, comme autant d'ablations des organes vitaux de ses "organismes nationaux". Qui songerait par exemple aujourd'hui en France, dans les milieux politiques sérieux et responsables, à faire publiquement sienne la conception gaullienne de la nation française ? Certainement pas les gaullistes...
Écrit par : anton Cusa | 16/06/2015
Ça me parait donc un peu pousser le bouchon que de nier la variété raciale européenne, elle est tout à fait vérifiable tant par la science génétique que par l'observation visuelle qui n'échappe à personne, en outre aucun peuple d'Europe et du monde ne se sont jamais définis par l'unité biologique, en somme d'une manière ou d'une autre baser tout simplement une soi-disant "identité européenne" sur l'unité raciale tient pas la route.
Écrit par : Benoit | 17/06/2015
La division mythifiée de l'Europe est un postulat de principe alors personne d'avant l'obsession nationaliste du XIXème siècle ne niait la profonde unité des Européens.
Et pour reprendre votre accusation implicite de "reductio ad hitlerum", c'est vous qui ici reprenez les schémas de Günther. Rien que de parler de type slave, notion strictement linguistique qui n'a aucun sens dans le domaine anthropologique, est du plus haut comique. Un tchèque et un russe diffèrent aussi nettement. Tout cela me fait penser à ces savants français du XIXème siècle qui avaient décrété selon leurs théories linguistiques que les Finnois étaient de race asiatique...
Même chose concernant les Celtes "alpins", alors qu'on les décrit dans les textes souvent comme de grands blonds. Par ailleurs, l'origine celtique des Anglais "germains" dit bien ce qu'il faut en penser. Et bien sûr, même remarque que pour les Slaves, la notion de "celte" est linguistique et culturel. Comme le disait Max Müller, il n'existe pas de "grammaire dolichocéphale".
La génétique a juste invalidé dans le cas de l'Europe ces différences parfaitement relatives par ailleurs. Il y a entre Européens moins de 0.004% de différences. Cela interdit de parler de subdivisions au sein de la commune européanité.
Qu'il y ait des adaptations de l'homme européen a son environnement climatique est évident. Que ces différences se limitent à quelque colori... est aussi évident.
Enfin, je n'ai jamais limité l'Europe à la seule unité anthropologique, qui dépasse par ailleurs ses frontières. Je me limite à dire qu'il y a cette parenté, parmi d'autres parentés (de langue, de culture, de religiosité... etc).
Écrit par : Thomas FERRIER | 17/06/2015
Il apparaît que la péninsule européenne est un véritable lasagne de populations déversées d'Asie et d'Afrique pendant plusieurs millénaires, même celles autochtones en sont issues étant donné que lors de la dernière glaciation seul l'extrême sud de l'Europe était habitable. Le domaine caucasien blanc recouvre outre l'Europe, également toute l'Afrique du nord ainsi que toute l'Asie occidentale et centrale jusqu'à l'Inde, tous ces peuples blanc subdivisés en sous-groupes raciaux ont tous une origine préhistorique commune. En remontant encore plus en arrière les généticiens sont parvenus à cerner l'origine commune de la race blanche, noire et asiatique, tous trois appartenant à l'espèce homo sapiens dont sont issus la quasi totalité des peuples du monde, cependant certains chercheurs tentent de dénicher chez les sapiens un apport génétique néandertalien, ce dernier s'étant séparé du groupe sapien il y a 500000 ans.
Écrit par : Benoit | 17/06/2015
Fétichiser la division de l'Europe, la graver dans le marbre par incapacité à penser son unité, idée maladive qui domine la droite nationale en France et ailleurs, ce qui amène "paradoxalement" à une plus grande tolérance vis à vis de la "diversité" post-coloniale, est aberrant et nocif. C'est le sens de ce que je dénonce aussi dans cet article.
Cordialement.
Écrit par : Thomas FERRIER | 17/06/2015
Écrit par : Benoit | 17/06/2015
La volonté ambiguë et naïve de diffuser massivement cette méta-ethnicité française chez des populations trans-méditerranéennes et subsahariennes très lointaines culturellement et historiquement ne trouve pas non plus du reste son pendant dans l'histoire russe.
Cette méta-ethnicité républicaine et universaliste française, naguère si stimulante, n'est peut-être plus un atout d'ailleurs dans un monde actuel caractérisé de plus en plus par des lignes de divergences culturelles, civilisationnelles et identitaires.
Écrit par : Anton Cusa | 17/06/2015
La comparaison France/URSS (je dis bien URSS et non Russie) est logique, le marxisme-léninisme ayant un fort côté jacobin. L'interdiction faite en France de la langue bretonne à certaines époques est hautement significatif.
Par ailleurs je suis de ceux qui considèrent que cette "acculturation" au modèle francien, souvent contrainte, a été négative. Nous y avons perdu au niveau de notre richesse identitaire.
Écrit par : Thomas FERRIER | 17/06/2015
Écrit par : Benoit | 17/06/2015
Une Europe centripète mettra fin pour l'Espagne à sa religion avec ses anciennes colonies, comme pour le Royaume-Uni avec le Commonwealth, comme la France avec la "Françafrique" et comme la foutaise eurasienne en Russie.
Oui nous devons surmonter les délires colonialistes et universalistes. Oui nous devons susciter à nouveaux chez les Européens la solidarité qui leur fait défaut. Oui nous devons les aider à redevenir ce qu'ils sont.
Écrit par : Thomas FERRIER | 17/06/2015
il apparaît que beaucoup de peuples européens ne se parlent pas mais entretiennent des liens avec des peuples non européens selon des critères historiques, linguistiques, religieux, politiques ou ethniques, mais aucunement sur un critère européen.
Écrit par : Benoit | 17/06/2015
Un strict eurocentrisme s'impose donc par nécessité. Rupture avec le monde entier pour sauver l'Europe !
Écrit par : Thomas FERRIER | 17/06/2015
Pour ce qui est de l'analogie avec la Russie, je fais observer que la différence symbolique entre les Grand-Russiens et les autres composantes des Etats multinationaux russes (Moscovie, Empire russe, URSS et Fédération de Russie ) est toujours demeurée significative, aussi bien dans la balance des forces symboliques que dans la balance des forces matérielles. La place, le statut, la condition ou la fonction assignés à ses membres par la société et l'Etat français ne tiennent absolument pas compte en revanche de l'ancienne ascendance "francienne" de tel ou tel par rapport aux autres anciennes composantes régionales et ethno-linguistiques. Je me répète, mais tout ceci relève aujourd'hui davantage du folklore. L'ethnie romane francienne s'est diluée et hypostasiée historiquement dans un nouveau peuple d'un type particulier, la nation meta-ethnique française indivisible. Des extrémistes déconnectés comme Cambadelis ont beau clamer, avec l'énergie du désespoir, que la nation historique française s'est à son tour diluée dans une République radicalement abstraite, mythifié, dévoyée et qui fait potentiellement siens tous les peuples de la terre, il demeure pourtant que celle-ci semble de moins en moins disposée à tolérer l'imposture.
Ce que nous avons perdu en matière de diversité a été en revanche acquis en matière d'unité et de cohésion nationale. Sans ce processus d'assimilation, l'hexagone serait demeuré divisé en au moins deux grosses entités stato-nationales bien distinctes.
Benoit, ne posez-vous pas encore des questions auxquelles vous avez reçu maintes et maintes fois des réponses très précises ici-même ? La plus faible variabilité intra-européenne par rapport à la variabilité intra-africaine, infra-asiatique, ou même infra-américaine, est une évidence absolue à un point de vue culturel, historique, ethnique, anthropologique, linguistique, etc. L'unité politique de l'Europe est encore un très vaste chantier incertain et parsemé d'obstacles, mais la négation de ce fort substrat commun préexistant relève de la rhétorique la plus pénible. A bon entendeur, salut !
Écrit par : Anton Cusa | 17/06/2015
Écrit par : anton Cusa | 17/06/2015
Écrit par : anton Cusa | 07/07/2015
Écrit par : Thomas FERRIER | 08/07/2015
Vous devriez peut-être la citer comme contre exemple cette relecture souverainiste radicale qui voit en la France surtout une structure étatique et politique irréductible et inaliénable, et non pas vraiment une inscription anthropologique dans une tradition, une civilisation et une culture plusieurs fois séculaires, reliés par des liens profonds et multiples aux pays voisins européens. Il le dit lui même : rien d'anormal dans ces conditions de s'allier par exemple au grand Turc contre ces Etats germaniques d'outre-Rhin profondément dissemblables et antinomiques géopolitiquement avec les destinés de l'Etat français.
Écrit par : Anton Cusa | 08/07/2015
Écrit par : anton Cusa | 08/07/2015
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