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22/02/2010

Mythe n°6 : « Europê » est d’origine phénicienne - par Thomas Ferrier

Europa_on_bull_2.jpgDe manière récurrente, dans la plupart des ouvrages consacrés à l'histoire de l'Europe, revient tout à fait naturellement le mythe de la princesse Europê, à laquelle on associe systématiquement une origine phénicienne, alors que d'autres variantes lui en donnent une crétoise. A ce mythe on en ajoute généralement un autre, par le biais d'une étymologie fantaisiste rattachant le nom de la grecque Europê à un vocable d'origine sémitique.

Cette idée d'attribuer au nom qui désigne notre continent une origine étrangère, non-européenne et non-hellénique, n'est pas innocente, car elle est le reflet de l'idéologie dominante dans les media cherchant selon le mythe chrétien de la lux ex oriente, « la lumière venant de l'orient », à nier le génie propre à notre civilisation, qui serait nécessairement tributaire des autres. Il est ainsi exact que les écritures européennes modernes sont  issues de l'alphabet phénicien, ce qui ne signifie pas que d'autres signes spécifiquement européens n'aient pas été ajoutés, pour représenter les voyelles par exemple, et que l'Europe ait été sans écriture auparavant, puisqu'elle en a été vraisemblablement la créatrice, et que la Grèce possédait déjà l'écriture linéaire (le linéaire B) à l'époque mycénienne, écriture qui ne doit rien à l'orient.

Il est donc convenu de considérer le nom d'Europê comme venant du phénicien ereb, désignant le couchant. Voilà qui témoigne d'une méconnaissance profonde des bases mêmes de la linguistique. Il suffit de songer que le terme grec Erêbos, qui ressemble bien davantage à ce terme phénicien, vient par exemple de l'indo-européen *regwos, désignant le ciel intermédiaire (auroral et crépusculaire). De manière récurrente, et à quelques exceptions notables près, on a donc choisi de négliger l'étymologie authentique du nom d'Europê, qui signifie en réalité « au large regard ». Le terme est composé du grec εύρυς, « large », et όπη, « vue » (indo-européen *werus + *okw-).


De la même façon, Europê serait phénicienne, ce qui est exact dans l'une des versions du mythe. Cette origine phénicienne que les Grecs donnaient à certains personnages, comme Cadmos, fondateur de la cité de Thèbes selon la mythologie, ne signifiait pas grand-chose en vérité. C'était une forme de lieu commun, comme d'attribuer des origines égyptiennes à la philosophie, alors qu'en réalité, cette dernière a semble-t-il été davantage influencée par l'Inde lointaine. De la même façon, la guerre de Troie, cette cité étant placée en Asie, semble désigner en vérité, comme l'a montré Alexandre Tourraix en 2000 dans son ouvrage « L'Orient, mirage grec », une guerre archaïque entre Thébains et autres Grecs. En effet, le plus troublant dans le récit homérique, c'est le caractère fondamentalement hellénique des Troyens. Cela ne signifie pas pour autant qu'à l'époque mycénienne Troie n'ait pas subi de pillage. L'auteur indique ainsi que « les sources littéraires et iconographiques attestent d'une orientalisation de leurs mythes et de leurs épopées, contemporaine de la migration grecque en Ionie, et de leurs entreprises commerciales et coloniales en Asie Mineure et en Méditerranée orientale ».

Ainsi, attribuer à la thébaine Europê une origine phénicienne fut une invention ultérieure de la mythologie et ce cher Pausanias, dans sa description de la Grèce, rappelle au contraire le mythe originel. En effet, dans la cité de Lébadée (l'actuelle Livadia), en Béotie, non loin de Thèbes, existait un culte rendu à la déesse Dêmêter, la « terre-mère » (indo-européen *ðghōm *māter), honorée avec l'épiclèse d'Europê (Ευρώπη), épiclèse qu'on retrouve au masculin sous la forme d'Europôs (Ευρώπος) et attribuée alors à Zeus. Déméter « au large regard » était ainsi l'épouse d'un Zeus « au large regard » et il est plus que probable que cette épiclèse remonte à l'époque indo-européenne. Ainsi l'Europe désignait-elle la terre par excellence, symbolisée par sa déesse, et par extension la terre hellénique et le continent tout entier. De ce fait, Hippocrate parle des Européens (Europaioi), incluant les Grecs, comme d'un terme générique, comprenant les autres habitants de notre continent (Celtes, Thraces, Scythes d'Europe, Romains... etc). Selon lui, les caractéristiques principales des Européens sont le refus de la soumission, c'est à dire l'amour de la liberté, la bravoure au combat et la haine de la tyrannie. On songe alors à la haine bien connue des Romains pour les rois.

Thomas FERRIER (PSUNE)

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