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29/10/2016

Zeus et Europe, une hiérogamie cachée et l'annonce d'un destin européen

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95620996.pngZeus est qualifié d’Eurôpos, c'est-à-dire « au large regard », chez Homère. En sanscrit, dans le Rig-Veda, le dieu suprême Varuna est décrit comme Urucaksas, forme parallèle de sens exactement identique. De longue date, non sans raison, Varuna et le grec ont été comparés, l’un et l’autre venant alors de la forme originelle indo-européenne *Werunos, au sens de « dieu de l’espace » (c'est-à-dire le dieu vaste). En Inde comme en Grèce, ce surnom du dieu céleste *Dyeus est devenu une divinité en tant que telle.

Les Grecs, sous l’influence probable de la théogonie hourrite ou hatti, influence indirecte due vraisemblablement aux Hittites, ont multiplié les divinités jouant le même rôle. On peut ainsi souligner qu’Hypérion, Hélios et Apollon sont redondants, de même que Phébé, Séléné et Artémis (sans oublier Hécate). C’est aussi le cas du dieu suprême qui est ainsi divisé en trois dieux séparés que sont Ouranos, Cronos et Zeus. En réalité, tout porte à croire que Zeus est le seul et unique dieu du ciel, malgré Hésiode, et qu’Ouranos n’a jamais été à l’origine qu’une simple épiclèse de Zeus. De même, Varuna a sans doute été un des aspects de Dyaus Pitar, avant de se substituer à lui, et de ne plus laisser à son nom d’origine qu’un rôle très effacé dans la mythologie védique.

Ce Zeus Eurôpos, ce « Dyaus Urucaksas », a selon la tradition grecque de nombreuses épouses. Or une déesse est qualifiée d’Eurôpê à Lébadée en Béotie et à Sicyone dans le Péloponnèse. Ce nom d’Eurôpê, dont le rattachement à une racine phénicienne ‘rb est purement idéologique, et ne tient pas une seconde d’un point de vue étymologique, est nécessairement la forme féminine d’Eurôpos. Or ce n’est pas n’importe quelle déesse qui est ainsi qualifiée, elle et uniquement elle, de ce nom d’Eurôpê, indépendamment de la princesse phénicienne, crétoise ou thrace qu’on appelle ainsi, et qui n’est alors qu’une vulgaire hypostase. C’est Dêmêtêr, mot à mot la « Terre-mère », version en mode olympien de Gaia (ou Gê) et peut-être déesse d’origine illyrienne, même si non nom apparaît vraisemblablement dès l’époque mycénienne.

Il existe en effet en Albanie moderne une déesse de la terre, qui est qualifiée de Dhé Motë, ce qui veut dire la « tante Terre » car le sens de motë, qui désignait bien sûr la mère, a pris ensuite le sens de tante. De même, le nom albanais originel de la tante, nënë, a pris celui de la mère. Cela donne aussi une déesse Votrë Nënë, déesse du foyer analogue à la déesse latine Vesta et à la grecque.

Le nom de Dêmêtêr, qu’il soit purement grec ou illyrien, a le sens explicite de « Terre-mère » et remonte aux temps indo-européens indivis, où elle portait alors le nom de *Đγom (Dhghom) *Mater. Ce n’était pas alors n’importe quelle divinité mais sous le nom de *Diwni [celle de *Dyeus], elle était ni plus ni moins l’épouse officielle du dit *Dyeus (le « Zeus » indo-européen). L’union du ciel et de la terre, de Zeus Patêr et de Dêô (Δηώ) Matêr donc, remonte ainsi à une époque antérieure même aux Grecs mycéniens.

Il est donc logique qu’à un Zeus Eurôpôs soit unie une Dêmêtêr Eurôpê, l’un et l’autre étant des divinités « au large regard », l’un englobant l’ensemble du ciel et la seconde l’ensemble de la terre, à une époque où celle-ci était encore considérée comme large et plate, d’où ses deux noms divins en sanscrit, à savoir Pŗthivi (« la plate »), c'est-à-dire Plataia en grec et Litavis en gaulois, et Urvi (« la large »).

L’union de Zeus sous la forme d’un taureau avec Europe est donc une hiérogamie, une union sacrée entre le ciel et la terre, union féconde donnant naissance à trois enfants, Minos, Eaque et Rhadamanthe, chacun incarnant l’une des trois fonctions analysées par Georges Dumézil. La tradition grecque évoque d’autres unions de même nature, ainsi celle de Poséidon en cheval avec Dêmêtêr en jument, cette déesse ayant cherché à lui échapper en prenant la forme de cet animal. Dans le cas d’Europe, on devine qu’elle aura elle-même pris la forme d’une vache.

Le nom d’Europe qui désigne le continent qui porte son nom indique qu’elle est la Terre par excellence, mère nourricière du peuple grec vivant sur un continent béni par Zeus lui-même. Lui donner une origine phénicienne, à part pour des raisons poétiques bien étranges, est donc un contre-sens auquel même certains mythographes antiques se firent prendre.

Et que son premier fils se soit nommé Minôs, là encore, ne doit rien au hasard. Bien loin d’être en vérité un ancien roi de Crète, il était surtout un juge infernal et le plus important. Or Minôs n’est en réalité que le premier homme, celui que les Indiens appellent Manu, d’où les fameuses lois qui lui sont attribuées, et les Germains Manus. L’idée que le premier homme devienne à sa mort le roi des Enfers n’est pas nouvelle. Le dieu infernal Yama et son épouse Yami ayant été par exemple le premier couple mortel. Minôs est le « Manus » des Grecs, bien avant qu’Hésiode invente Deucalion. Et s’il juge les hommes au royaume d’Hadès, la seule raison en est qu’il est celui qui a établi les anciennes lois.

Ainsi l’Europe est-elle non seulement la Terre par excellence, l’épouse de Zeus en personne, dont Héra n’est qu’un aspect, celui de la « belle saison » et de la « nouvelle année » (sens de son nom latin Junon), mais elle est la mère des hommes, la matrice de la lignée des éphémères, ou du moins d’une partie d’entre eux.

Europa est ainsi la mère de Gallia et de Germania, de Britannia et d’Italia, d’Hispania et d’Hellas et désormais mère aussi de nouvelles nations comme la Polonia, la Suecia et la Ruthenia (Russie), depuis les fjords de Thulé jusqu’à Prométhée sur sa montagne, depuis la Lusitania jusqu’aux steppes profondes de Sarmatia.

Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)

04/11/2012

Du dieu de l’orage.

Arès,Mars,Thor,Perun,Martin,Indo-européens,paganisme,dieu de l'orage,dieu de la guerre,Thomas FERRIERLa civilisation crétoise, avant que les Achéens ne s’implantent dans l’île honorait un dieu du ciel associé à la figure du taureau. Ce dieu, dont le nom est probablement perdu, même s’il est possible que le nom du roi mythique Minos ait été son théonyme, était à la fois le dieu du ciel souverain et le dieu de l’orage. En revanche, les Grecs originels comme tous les peuples indo-européens, avaient séparé le ciel en deux divinités bien différentes, un dieu du ciel souverain d’une part, roi et père des dieux et des hommes, et un dieu de l’orage et de la guerre, le second étant fils du premier, Arès fils de Zeus.

Un dieu indo-européen.

Le nom du dieu indo-européen de l’orage et de la guerre, les deux fonctions étant associées par la synthèse symbolique entre la fureur de la tempête et la mêlée guerrière, est plus difficile à reconstituer que celui du dieu indo-européen du ciel diurne, *dyeus *pater (latin Dius Pater, grec Zeus Patêr), car il bénéficiait dès l’origine de plusieurs épiclèses le caractérisant. A la différence de son père *dyeus, c’était un dieu bien moins distant, davantage présent aux côtés des hommes, participant aux batailles et protégeant le royaume des mortels contre les forces de destruction, géants et dragons.

Ainsi était-il évoqué comme le héros par excellence, le *ner (qui a donné le dieu Indra en Inde), ou encore comme le brave, le noble, *aryos (qui a donné le dieu Arês en Grèce), mais sa fonction orageuse primait avant tout. Il était le dieu « tonnant », *tenros ou *tonaros, comme chez les Celtes (Taran), les Germains (Thor) et les Hittites (Tahruntas), mais aussi le « frappeur », sous le nom de *perkwunos, à la fois dieu du chêne (*perkwus) et dieu de la foudre qui l’abat (racine *perk-), et c’est sous cette forme que les Baltes (lituanien Perkunas, letton Perkons) et les Slaves (russe Perun) choisirent de l’appeler.

Pendant longtemps, les spécialistes des mythologies indo-européennes considéraient que *perkwunos était le nom de ce dieu de l’orage ou n’était qu’un aspect du dieu du ciel. Son nom originel semblait perdu pour toujours, et ce même si de bonne heure Georges Dumézil avait eu une intuition prometteuse en associant le dieu romain Mars avec les divinités de l’orage et de la tempête de l’Inde védique, les Maruts, avant d’invalider son hypothèse quelques années après.

La forme originelle du nom du dieu Mars romain, dont les fonctions orageuses avaient été considérablement diminuées par l’influence grecque, chez qui Zeus s’était complètement substitué à Arès dans ce rôle, était Mavors. On pouvait en déduire l’existence d’un dieu plus ancien du nom de *Maworts (génitif *Mawrtos), qui semble bien correspondre à ces Maruts de l’Inde ancienne. A ces deux exemples, il faudrait sans doute rajouter un exemple letton avec le dieu mineur Martins, frère d’Usins, en qui on reconnaît le nom de l’aurore, Martins ayant un rôle de défenseur du pays. Cela rappelle l’image d’un dieu Mars patronnant les champs de bataille aussi bien que protégeant les champs du paysan du Latium.

Tout porte à croire que *Maworts était le nom du dieu indo-européen de l’orage, et par extension de la guerre.

Le dieu de la virilité.

Arès,Mars,Thor,Perun,Martin,Indo-européens,paganisme,dieu de l'orage,dieu de la guerre,Thomas FERRIERCette figure divine se voit associée de nombreuses figures animales, à la différence des autres divinités, et chaque animal représente une fonction bien précise du dieu orageux et guerrier.

Il y a en premier lieu tous les animaux liés symboliquement à l’orage, ceux qui portent le foudre céleste. On retrouve ainsi le taureau, dont le son produit par ses sabots sur le sol résonne comme le tonnerre, mais aussi le pivert, dont on prête la capacité à abattre des arbres, tout comme la foudre, ou encore l’aigle, animal porteur de foudres bien connu, et associé dans notre imaginaire moderne, comme chez les Romains de la république et de l’empire, à Jupiter mais non à Mars.

En second lieu, il s’agit des animaux liés à la virilité et au pouvoir fécondant de l’homme. En ce sens, tous les animaux liés à la sexualité masculine relèvent du dieu orageux. C’est bien sûr le cas de l’ours, à qui au moyen-âge on prêtait des aventures avec des femmes, mais aussi des mâles des animaux d’élevage, le bélier, le taureau là encore, le bouc, comme ceux tirant le char de Thor en Scandinavie.

Enfin, tous les animaux liés spécifiquement au combat et au champ de bataille lui sont naturellement associés. C’est bien sûr le cas du cheval, animal d’une grande noblesse associé aux aristocraties guerrières, ainsi à Rome le noble était un equites, un « chevalier », et pas un homme du rang. C’est aussi le cas du corbeau et du vautour, fossoyeurs des morts à la guerre laissés sans sépulture. D’une manière générale, tous les animaux belliqueux, mais qui sont aussi bien souvent liés à la virilité préalablement évoquée, relèvent de ce dieu. C’est surtout le cas du loup, animal martial par excellence, dont les vertus de la meute inspiraient les troupes guerrières indo-européennes dans les temps les plus archaïques. Le char de Mars était ainsi, à l’origine, tiré par deux loups gigantesques.

Le tueur de dragons.

Arès,Mars,Thor,Perun,Martin,Indo-européens,paganisme,dieu de l'orage,dieu de la guerre,Thomas FERRIERUn des actes les plus héroïques accompli par le dieu de l’orage est son combat et sa victoire contre le serpent du monde, dragon monstrueux entourant la terre de ses anneaux, et créature primitive du chaos. Dans le cas grec, Arès est privé de cette victoire décisive au profit d’autres dieux ophioctones comme Apollon, vainqueur du dragon Python, Zeus qui triomphe du démon ophidien Typhon, ou Héraclès.

C’est bien sûr au dieu Thor dans toute sa splendeur que l’on pense, avec son marteau écrasant le crâne de Jormungandr, même si son combat final est un match nul, l’un et l’autre s’entretuant. J’ai par ailleurs analysé cette fin étrange comme la marque du poète chrétien pour donner d’un dieu ancestral fort respectable une mort héroïque, sans que son culte doive perdurer. Mais c’est aussi le combat céleste entre le dieu Indra et le serpent Vritra, comme celui entre Tarhuntas et le dragon Illuyankas chez les Hittites. Dans la version indienne, Indra est pris de terreur face à une créature extrêmement puissante au point où il est contraint de se réfugier dans les profondeurs. De même, face aux géants Aloades, le dieu Arès est impuissant, enfermé par les deux frères dans un tonneau. Dans les deux cas, c’est par l’intervention d’un autre dieu, le dieu du feu Agni dans le cas indien, le dieu Hermès dans le cas grec, que le dieu guerrier retrouve sa puissance et parvient à vaincre son ou ses ennemis.

Le dieu celte Taran est représenté en cavalier terrassant un démon anguipède qui correspond grosso modo au Typhon grec. Le dieu slave Perun n’est pas en reste, vainqueur de Zmiya, le « serpent », écrasé par sa hache. Ce mythe le plus ancien a été conservé après la christianisation sous la forme de différents saints, comme Elie en Russie, Michel et Georges en Europe occidentale. Pire, le serpent, ennemi des dieux, devint la figure du paganisme, à l’instar du Graouilly de Metz. On ne pouvait pas inventer d’inversion accusatoire aussi subtile.

Une généalogie complexe.

Arès,Mars,Thor,Perun,Martin,Indo-européens,paganisme,dieu de l'orage,dieu de la guerre,Thomas FERRIER*Maworts, comme tous les dieux antiques héritiers de ses fonctions, était un dieu particulièrement estimé de nos plus lointains ancêtres. Il le devait à son lignage autant qu’à son image. En tant que dieu de l’espace céleste intermédiaire, ciel rouge de l’aurore et du crépuscule mais aussi ciel noir de l’orage, sa puissance était entre le ciel et la terre, entre *dyeus *pater et *dhghom *mater, entre son père et sa mère.

Les fils de *dyeus, les « fils du ciel », étaient intimement liés à la lumière dont leur père était l’incarnation même. C’est parce qu’il a vaincu les ténèbres du chaos que *dyeus a forgé l’univers, dont il est le garant de l’ordre, *artus. *Maworts est le dieu du feu intermédiaire, celui de l’éclair, qui tombant du ciel sur la terre enflamme le sol. Il partage ce rôle igné avec ses frères, *Sawelyos, le dieu du soleil, astre flamboyant réchauffant notre planète, et *Wlkanos, le dieu du feu terrestre et de la forge. C’est ce dernier qui lui fabrique ses armes, son armure et son casque mais qui à l’occasion l’accompagne sur le champ de bataille, au même titre que le dieu du vent, *Weyus, dont Hermès est par certains aspects le digne descendant.

Mais *Maworts n’était pas un dieu célibataire, son rôle d’ancêtre des hommes impliquant qu’il ait eu une descendance nombreuse. Ses relations avec les mortelles se retrouvent dans les nombreux mythes où Zeus ou Jupiter s’unit à une humaine pour engendrer des héros et des rois. Mais son épouse est, on l’a vu précédemment, la déesse de l’aurore, *Ausos.

Au dieu Arès, on prête ainsi une relation amoureuse avec deux divinités spécifiques, que l’on peut associer aisément, à savoir Eôs, l’Aurore incarnée, et Aphrodite, l’Aurore amoureuse, mère d’Erôs. Le couple *Maworts/*Ausos remonte ainsi à l’aube des temps.

Lorsque l’on voulait insister sur la dimension juvénile et filiale de *Maworts, il était représenté comme un jeune guerrier imberbe. C’est l’Arès classique. En revanche, si son rôle paternel et protecteur primait, le dieu apparaissait comme un guerrier dans la force de l’âge et barbu. C’est le Mars Vengeur d’Auguste, à la barbe jovienne, mais aussi l’Arès archaïque et le dieu Thor à la barbe rousse, comme la couleur du sang que le combattant verse au combat.

Le dieu rouge.

Arès,Mars,Thor,Perun,Martin,Indo-européens,paganisme,dieu de l'orage,dieu de la guerre,Thomas FERRIERSurnommé Rudianos chez les Celtes, le « rouge », le dieu guerrier est associé de manière classique à la couleur rouge. Il est probable que le dieu indien Rudra, qui servira de base à Shiva, avait également ce sens et présentait alors la dimension la plus sombre d’Indra, qu’il remplacera à l’époque du brahmanisme. La cape du général romain était rouge, tout comme la barbe du dieu germano-scandinave Thor. Le rouge était la couleur du ciel intermédiaire, et aussi de l’amour, mais elle était tout autant associée à la guerre et à la deuxième fonction indo-européenne, le blanc et le noir étant les couleurs symboliques des deux autres fonctions.

Devenu le drapeau de la révolution puis de l’idéologie socialiste, le drapeau rouge remonte à une très longue histoire et ce n’est pas un hasard s’il a été brandi la première fois sur le Champ de Mars. Le rouge était déjà la couleur du drapeau de la république romaine (SPQR) et du royaume antique de Macédoine.

De cette symbolique vient l’expression « rouge de colère », à savoir que le dieu guerrier répand une aura de cette couleur lorsqu’il est courroucé. C’est aussi l’image de la lune de sang, du combat céleste contre les forces de destruction. Rouge sang. Sang principe de vie, lorsque l’enfant naît par l’action bienfaitrice de Venus, mais sang symbole de mort, lorsqu’il résulte de la victoire de Mars sur ses ennemis. Rouge symbole d’amour comme la pomme rouge que l’homme romain offrait à la femme qu’il aimait pour lui déclarer sa flamme. Rouge symbole du sang répandu sur le champ de bataille et offert aux animaux de proie.

Mars ou l’Europe incarnée.

Le dieu de l’orage a de manière évidente un lien étroit avec l’homme européen, et ce n’est pas un hasard si au moyen-âge, les Européens sont faits descendants de Japhet, fils de Noé, qui n’est autre selon l’interprétation de l’époque que le titan Japet, qui correspond fonctionnellement à l’olympien Arès. Les Européens sont alors les fils de Japet c'est-à-dire fils d’Arès, « japhétides » donc « aryens ».

Autre hasard qui n’en est pas un, le dieu guerrier est associé à la planète qui porte en Europe son nom, Mars, la planète rouge. La tradition veut que ce soit les Babyloniens qui aient associé cette planète à une sorte de dieu de la guerre et de la peste, Erra, dont certains ont voulu faire la base de l’Arès grec. En réalité, l’homologue sumérien de *Maworts n’était autre que le dieu de l’orage Ishkur, qui correspond au dieu amoréen Martu, dont le nom fut peut-être emprunté à des tribus indo-européennes venus s’installer en Orient.

Or la planète Mars est non seulement rouge, comme la couleur du dieu indo-européen de l’orage, mais possède deux satellites, tout comme Arès a deux fils jumeaux, Deimos et Phobos, tout comme Thor a aussi deux fils, Modi et Magni, et tout comme Mars a deux rejetons, Romulus et Rémus. On sait aujourd’hui que la connaissance astronomique dans l’Europe ancienne était loin d’être rudimentaire, et Stonehenge apparaît autant comme un télescope que comme un temple solaire, tout comme le disque de Nebra illustre la recherche de la connaissance du cosmos.

Ce désir de Mars, cette idée typiquement européenne d’une planète terraformée et colonisée par l’homme, se retrouve dans la science-fiction contemporaine. Les « martiens » sont nécessairement belliqueux, ce que découvre John Carter selon les romans d’Edgar Rice Burrough, et souhaitent envahir la terre, comme chez H.G. Wells. On dit que les hommes descendent de Mars, comme les femmes descendraient de Venus. Et Robert Kagan, géopoliticien américain, place l’Amérique sous le signe de Mars, de ce dieu fondateur de Rome, la cité conquérante par excellence, d’un dieu Mars qu’on retrouve sur la porte de Brandebourg à Berlin mais aussi au Capitole de Washington et même tout en haut de la porte Héré sur la place Stanislas à Nancy.

Mars et Christus, « dieu rouge » contre « dieu blanc ».

Arès,Mars,Thor,Perun,Martin,Indo-européens,paganisme,dieu de l'orage,dieu de la guerre,Thomas FERRIERLorsque le christianisme voulut s’implanter en Europe, il trouve naturellement le dieu de l’orage et de la guerre sur sa route. Le dieu rouge, comme le Raudhr Thorr de la Scandinavie du Xème siècle, s’oppose au dieu blanc qu’est Christus (Hvati Krist), qui a repris les traits d’Apollon et de Balder. Les valeurs héroïques s’opposent aux valeurs mielleuses d’une religion de l’après-monde.

Face à la croix, ce talisman magique qui enchaîne l’esprit européen, comme l’a expliqué à sa manière le poète Heinrich Heine, les anciens païens décidèrent de porter leur croix, à savoir le marteau de Thor (Þórshamar), l’épée de Mars, parfois remplacée par la massue d’Hercule, ou encore la hache de Perun (Cекира Перуна). Mais de ce conflit entre deux visions du monde si antagonistes, c’est le Christ blanc qui fut (momentanément ?) vainqueur.

Le christianisme n’a pas pu se séparer d’une figure aussi éminente mais à chercher à limer les dents de ce loup guerrier. Martin de Tours, dont le prénom signifie « petit Mars, Martinus, était un soldat de la légion qui déserte, jette sa toge au sol, pour se consacrer à christianiser la population. Le guerrier jette ses armes au sol, comme Vercingétorix vaincu face à César. Martin remplacera Mars lors de la fête guerrière, d’origine germanique mais romanisée, du 11 novembre, fête des Einherjars ou héros morts au combat et siégeant aux côtés de Wotan au Walhalla en l’attente de la bataille céleste décisive. Martin remplacera aussi le dieu letton Martins, tout comme Jean remplacera le dieu balte Jaanis, homologie du Janus romain.

Dans ce XXIème siècle où montent les périls, Mars le « rempart de l’Olympe » (Hymne homérique à Arès) fera son devoir pour protéger l’Europe. Et nous, fidèles au père de Romulus, nous serons présents à ses côtés. Son épée sera le bouclier de notre civilisation.

Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)

14/11/2011

Mythe n°8 : l’ « invasion indo-européenne »

2.jpgA l’occasion de la sortie de l’ouvrage, au demeurant excellent, de Georges Sokoloff, spécialiste de l’histoire russe, « Nos ancêtres les nomades. L’épopée indo-européenne », chez Fayard, je me propose ici d’évoquer un mythe que reprend l’auteur à propos de l’origine steppique supposée des Indo-Européens, selon la théorie dite « des Kourganes ».

Rappelons en premier lieu les données dont nous disposons. Après l’époque des intuitions selon lesquelles les langues d’Europe, de la Perse et de l’Inde, étaient apparentées, idée pressentie par l’humaniste italien Filippo Sassetti au XVIème siècle, ce qui devait devenir la théorie « scythique » défendue notamment par Leibniz, le XIXème siècle s’ouvre sur des certitudes. Tant dans le domaine linguistique (Franz Bopp après l’anglais William Jones et le français Anquetil-Duperron) que dans le domaine religieux (Max Müller après Friedrich Schlegel), de nombreux auteurs prouvent une parenté linguistique entre la plupart des langues européennes, les langues iraniennes et celles du nord de l’Inde dites langues « indo-aryennes », auxquelles au XXème siècle on pourra ajouter les langues anatoliennes (hittite, louvite…).

Cette parenté témoigne de l’existence d’une langue-mère préhistorique, dont nous n’avons a priori aucune trace écrite, à moins que l’écriture de Vinca n’en soit une des rares expressions, qui a été baptisée par les linguistes proto-indo-européen. De nombreux travaux scientifiques ont permis de reconstituer une grande partie de ce vocabulaire commun, même s’il y a débat sur tel ou tel mot ou verbe, ce qui nous donne de précieux renseignements quant à la géographie de ce peuple ancestral, quant à sa religion, quant à son mode de vie. A partir de ces données, certains archéologues ont tenté de déterminer le foyer originel de ce peuple indo-européen.

Certains, comme l’archéologue allemand Gustav Kossinna, ont imaginé un foyer germano-scandinave, une théorie qui a connu des dérives calamiteuses au cours du XXème siècle, et qui a ensuite été réactivée par Jean Haudry. D’autres ont imaginé un foyer steppique ukrainien, ce qui est la thèse de la lituanienne Marija Gimbutas, du français Bernard Sergent, du franco-ukrainien Yaroslav Lebedynsky, spécialiste des nomades iranophones, thèse que reprend lui aussi le russophile Sokoloff. Certains historiens albanais ont même imaginé, par un nationalisme autant excessif que dévoyé, que c’était de leur pays que provenaient les Indo-européens.

Dans le domaine de la mythologie comparée, Max Müller a ouvert le bal en se basant sur la reconstruction linguistique du nom des anciennes divinités indo-européennes. Georges Dumézil choisit une autre méthode comparatiste, structuraliste, en renonçant au cours des années trente, à la méthode comparatiste classique (« Varuna-Ouranos », « brahmane-flamine », « Mars-Marut »), qui fut fructueuse mais incomplète. C’est Dumézil qui mettra en exergue les trois fonctions indo-européennes (souveraineté, guerre et production), synthétisée dans la vieille triade romaine Jupiter-Mars-Quirinus.

Alors que les travaux indo-européanistes avaient été repris par les saint-simoniens, premiers socialistes, et par toute une tradition de gauche en général, présentant les Indo-européens comme des sortes de républicains romains, soldats-paysans d’une société plutôt égalitaire, inventeurs d’une forme archaïque de démocratie, ils sont par la suite réutilisés par une partie de la droite nationaliste, notamment en Allemagne, les présentant au contraire comme une aristocratie guerrière, nordique ou non, partie de l’Europe de l’Est et conquérant la vieille Europe à partir du Vème millénaire avant notre ère. Cette hypothèse, dans un sens inversé, fut exploitée par Gimbutas pour opposer une artificielle Europe méditerranéenne proto-féministe à des conquérants indo-européens violemment patriarcaux tout aussi artificiels. L’idée, inspirée de Bachofen, est que les Européens préhistoriques honoraient des divinités féminines, chtoniennes et lunaires, alors que les conquérants indo-européens honoraient des divinités masculines, ouraniennes et solaires.

Revenons donc à la source même de ces travaux, la linguistique. Et Sokoloff est ainsi contraint de reconnaître que certaines données ne cadrent pas avec l’hypothèse dont il se fait le relai, même s’il n’ose pas aller au bout du raisonnement. Présenter ainsi les Indo-européens comme un peuple nomade d’éleveurs paraît insolite et nous verrons qu’il n’en est rien.

Le vocabulaire indo-européen commun permet de retrouver un grand nombre de termes liés à l’agriculture, comme le champ, *agros, ou le soc, *wogwhnis, ainsi que le nom de la plupart des animaux fermiers, notamment le bœuf, *gwous, et le porc qui dispose même de deux termes pour le décrire, *sus et *porkos, ainsi que la volaille, *awis. Si le mouton est bien présent, *owis, rien ne permet d’affirmer qu’il était un animal spécialement respecté, au contraire de son ennemi traditionnel, le loup (*wlkwos), qui jouit au contraire d’une image très positive, ce qui ne devrait pas être le cas si les Indo-Européens avaient été essentiellement des éleveurs. En outre, ils connaissaient la plupart des arbres et des animaux sauvages peuplant les forêts de l’Europe occidentale, septentrionale et centrale. Les PIE connaissaient aussi a priori le lion, *singhos, qu’on sait avoir peuplé notre continent avant sa disparition définitive à l’époque de l’empire romain.

Pour résumer, ils connaissaient tous les animaux des forêts, comme le cerf (*elnos), l’ours (*arktos), le sanglier (*eperos), la loutre (*utros), le renard (*loupekos), le castor (*bhebhrus), mais aussi les animaux marins, comme le dauphin (*gwelbhos) et le requin (*skwalos), et disposaient de bateaux (*naus). La maison (*domos) existe, tout comme le village (*woikos), la citadelle (*pelis) et même la ville (*wastu), vocabulaire incompatible avec l’idée d’un peuple nomade. Les institutions indo-européennes qu’on peut reconstituer sont le roi, *regs, garant du droit et sorte de président de l’assemblée, et l’assemblée elle-même, *sebhos, composée des citoyens libres (*keiwos). Il existait des prêtres (*bhlagmen) dont on ne sait pas s’il s’agissait d’une caste sacerdotale comme les druides celtes ou de citoyens disposant d’une charge religieuse comme dans l’ancienne Rome.

charsoleil3716.jpgEn matière de religion, l’hypothèse de Gimbutas ne tient pas. Si les PIE possèdent en effet des divinités célestes importantes, à l’instar du dieu du ciel (*dyeus), du dieu de l’orage (*maworts ou *perkwunos) et du dieu du soleil (*sawel), ils possèdent également des divinités féminines de premier plan, comme la déesse de l’aurore (*ausos) et plus encore comme la déesse de la terre (*dhghom). Or l’existence d’une terre-mère était selon Gimbutas la caractéristique des populations proto-européennes et non-indo-européennes, ce qui est erroné. En fait, les Indo-Européens avaient les divinités classiques des peuples polythéistes, à savoir les forces de la nature incarnées et divinisées, et aussi quelques divinités conceptuelles (« le foyer », « les chemins »… etc). Le dieu cornu, que certains mythologues avaient considéré comme non-indo-européen, préhistorique, est lui-même une divinité d’origine indo-européenne, *kernunos (de l’indo-européen *kernu, « corne ») n’étant qu’un aspect d’un dieu des chemins et de la connaissance, *pauson (équivalent de l’Hermès grec, bien que son nom se retrouve dans celui du dieu Pan, fils du précédent).

L’homme indo-européen était donc à la fois citoyen, soldat et paysan, assurant ainsi les trois fonctions indo-européennes mises en exergue par Dumézil, mais qui n’étaient probablement pas séparées. Il vivait dans des villes ou des villages, comme les Européens modernes. Il maîtrisait l’agriculture et l’élevage en ferme des animaux domestiques, même si certains étaient bergers (*poimen). Il connaissait la roue et l’utilisation du cheval (*ekwos), dont la domestication est probablement ancienne, et du chien (*kwon). Enfin, il était également marin et/ou pêcheur à l’occasion. En revanche, on ignore s’il connaissait déjà le chat, même si on reconstitue péniblement un *katos, dont le nom pourrait ceci dit avoir été emprunté aux Egyptiens de très bonne heure.

Son foyer originel n’était donc pas spécialement l’Europe septentrionale, tout nom du renne par exemple étant inconnu, et encore moins l’Europe orientale, la région des steppes étant exclue pour les nombreuses raisons linguistiques évoquées. En outre, une école archéologique menée par l’italien Mario Alinei tend à démontrer qu’il n’y a eu aucune rupture civilisationnelle en Europe, invalidant l’idée d’invasion « indo-européenne », selon l’hypothèse de la continuité paléolithique européenne, qui est séduisante malgré certaines faiblesses, car on ignore comment le proto-indo-européen a pu demeurer intact pendant plusieurs millénaires sur une grande partie de notre continent et comment de nouveaux termes, désignant des découvertes technologiques, ont pu enrichir ce même vocabulaire.

Il faut donc admettre que, au contraire de cette théorie faisant des Indo-Européens de nomades de l’est de l’Europe envahissant le reste du continent en plusieurs vagues, et imposant leur langue, théorie qui a servi hier à justifier tous les extrémismes et aujourd’hui à rejeter l’héritage indo-européen pour les mêmes raisons, les Indo-Européens ont inventé la démocratie, la république (à la romaine) et une forme archaïque de socialisme. Ainsi les vieux Romains de la république, les Athéniens du temps de Périclès, les sociétés paysannes balto-slaves, les islandais du Xème siècle de notre ère, sont certainement restés les plus proches du modèle ancestral indo-européen que j’ai décrit. Les présenter comme une aristocratie guerrière venue de l’étranger ne tient donc plus.

Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE