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02/02/2014

L’Ukraine prise en tenailles entre l’Occident et la Russie

ukraine,russie,union européenne,alliance euro-russe,thomas ferrier,psuneLa situation de l’Ukraine s’est profondément dégradée pendant le mois de janvier, alors que la résistance aux décrets liberticides votés par les parlementaires en catimini n’avait jamais été aussi forte. Des morts regrettables, des violences militantes autant que policières, ont entaché de sang un mouvement politique complexe, aux formes multiples, regroupant des libéraux occidentalistes aussi bien que des nationalistes radicaux.

La réaction du président Yanoukovitch est celle d’un pouvoir aux abois, sans la légitimité populaire d’un Poutine lui permettant de conserver son calme, et qui a été contraint de reculer. Il a contraint son premier ministre à démissionner, proposant l’ouverture à ses adversaires, à l’exception d’Oleh Tiahnybok, le dirigeant de Svoboda. Les députés ont aboli les lois qui restreignaient le droit de manifester. C’est un recul total ou presque, Yanoukovitch se refusant toutefois pour le moment à modifier le calendrier électoral et ainsi à prendre le risque d’être politiquement balayé, même s’il reste fort dans les zones russophones.

Yanoukovitch risque bien de subir le même désaveu que l’orangiste Sakashvili en Géorgie et pour les mêmes raisons, à savoir la volonté de mettre en place un régime restreignant les libertés. Or le souvenir de l’Union Soviétique n’est pas si loin. Poutine sait d’ailleurs ménager sa popularité en Russie en libérant ses adversaires, comme l’ex-milliardaire Khodorkovski ou les Pussy Riot, et en respectant en tout cas dans les formes les principes de la démocratie moderne. Mais il est vrai qu’il a le peuple derrière lui. Ce n’est pas le cas des tyranneaux des anciennes républiques soviétiques, qu’ils soient pro-USA ou pro-Russie.

L’Ukraine se trouve, on l’a dit, dans un positionnement géo-stratégique difficile, coupé en deux par un tropisme européen à l’ouest et par un tropisme russe à l’est, ravivant cette opposition, fondamentalement factice néanmoins, entre « occidentalistes » (zapadniki) et « slavophiles ». Entre volonté de rejoindre l’Union Européenne et crainte de perdre les avantages acquis de la relation ukraino-russe, le gouvernement en place n’a pas pu faire un choix clair entre deux options qui lui sont apparues comme incompatibles. La Russie a une part de responsabilité dans le sens où elle fait monter la pression vis-à-vis de l’Union Européenne, mais cette dernière a une responsabilité bien plus importante en se faisant le relai des intérêts américains dans la région. Poutine a très bien compris la politique de l’endiguement (« anaconda ») que les USA veulent mener contre la nouvelle Russie, comme ils l’ont fait dans le passé contre l’Union Soviétique.

Formé par le KGB, Vladimir Poutine sait très bien démasquer derrière des stratégies opaques les véritables chefs d’orchestre, ce qui ne veut pas dire qu’il faut tomber dans un autre piège qui est celui du « complotisme » et voir des plans ourdis par de mystérieux commanditaires derrière ce qui se passe aujourd’hui.

Tourner le dos à l’Union Européenne serait pour l’Ukraine une grosse erreur, mais cela en serait également de tourner le dos à la Russie. Ce serait comme tenter de s’unir en commençant par se couper en deux. Ces deux composantes, « europhiles » et « russophiles », ne devraient pas être opposées mais servir pour une synthèse originale, faisant alors de sa géographie une force et non plus une faiblesse.

Un gouvernement ukrainien digne de ce nom devrait se présenter comme un pont entre l’Union Européenne et la Russie, un espace intermédiaire d’échanges, un lieu où surtout Russes et (autres) Européens pourraient se parler et enfin s’entendre. Ceux qui sèment la division, là où les vrais européistes parlent d’unité, ce sont les USA et ceux qui leur servent de courroies de transmission. L’alliance Bruxelles/Moscou (ou Strasbourg/Moscou d’ailleurs) contre Washington, voilà qui aurait une autre « gueule », et dans un tel cadre, la situation de l’Ukraine serait nécessairement pacifiée et le pays en bien meilleure posture.

Yanoukovitch devrait s’en aller, comme Ioutchenko avant lui, et pour la même raison, qui est l’aliénation du pouvoir ukrainien à des intérêts étrangers, qui plus est des intérêts qui instrumentalisent le pays pour mener des manœuvres géopolitiques « conflictuelles ».

Car cette opposition que j’évoquais entre « occidentalistes » et « slavophiles » en Russie, comme en Ukraine, avec la mise en avant du courant « eurasien » qui relève de la seconde idéologie, est une idiotie conceptuelle totale. Les Slaves, et les Russes au premier plan, sont des Européens, tout comme les Français ou les Allemands. En affirmant leur slavité et leur orthodoxie, ils ne tournent pas le dos à l’Europe, mais ils s’y rattachent en vérité. Ivan Groznyi et Pierre le Grand ont toujours été du même camp, celui d’une Russie européenne dans une Europe européenne, une Russie qui certes s’étend à l’est de l’Oural mais toujours au nom d’une Europe expansive. Car si on gratte le russe, on trouve un varègue ou un bogatyr slave mais jamais un tatar.

L’Ukraine devra avoir l’audace de s’inventer un régime nouveau, avec une personnalité courageuse mais restant modeste, capable de maîtriser les dissensions et de susciter un « rêve ukrainien », celui d’une réconciliation entre l’ouest et l’est, mais aussi entre l’Union Européenne et la Russie. Cela implique de bien distinguer la volonté de rejoindre l’UE et tout lien avec l’OTAN. En clair, le gouvernement ukrainien devra veiller à rassurer le frère russe tout en orientant le frère européen (de l’ouest et du centre) dans le sens des intérêts strictement européens, qui sont ceux d’une grande alliance, en attendant une fusion, entre l’Union Européenne et la Russie. Et de la même façon, le tropisme atlantiste de Cameron, comme auparavant celui de Thatcher, de Majors, de Blair et de Brown, qui se cache derrière cette volonté de rupture avec l’UE, n’est pas au service du peuple britannique, ce dernier ayant vocation à restaurer son européanité au sein d’une Europe unie, en rompant avec le Commonwealth. C’est là où des mouvements comme UKiP servent manifestement la stratégie américaine en Europe, au nom d’une souveraineté britannique pervertie.

 

Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)