26/10/2013
Tchéquie : une victoire sociale-démocrate à la Pyrrhus ?
Vendredi et samedi se déroulaient les élections législatives tchèques anticipées, suite à la démission du gouvernement de centre-droit il y a quelques mois, empêtré dans des problèmes de corruption, et alors que l’ancien président Vaclav Klaus, issu du même parti ODS, a quitté ses fonctions avec une impopularité record.
Le parti social-démocrate tchèque (CSSD) remporte ses élections avec 20,45% des voix, soit une baisse de deux points environ par rapport à 2010. C’est donc un succès très relatif, même si son principal adversaire, le Parti Démocrate (ODS) réalise un score extrêmement bas, avec seulement 7,72% des voix, contre un peu plus de 20% il y a trois ans. Il n’est désormais plus le premier parti de droite.
Les conservateurs du mouvement TOP09, qui faisait également partie de la coalition sortante, et malgré l’opinion positive de nombreux électeurs pour Karel Schwarzenberg, sont sanctionnés avec 12% des voix contre 16,7% en 2010. Cette baisse est naturellement plus modérée que celle de l’ODS, mais elle témoigne d’un véritable rejet par les électeurs du gouvernement précédent. Le nouveau président de « gauche » Milos Zeman, dont les partisans (les Zemanovici) n’ont obtenu que 1,5% des voix, n’est pas non plus gagnant.
Ce sont de nouvelles formations politiques qui, sorties du néant, réussissent désormais une entrée fracassante au parlement. Des mouvements qu’on qualifiera hâtivement de « populistes » ont pris la place de la droite traditionnelle. Il y a notamment le mouvement démocrate de Tomio Okamura, d’origine tchèque et japonaise, qui obtient 6,88% des voix, et surtout la liste ANO 2011 du slovaque Andrej Babis, tribun de la plèbe à la rhétorique reconnue, avec 18,71% des voix, se plaçant second derrière la gauche.
Autre gagnant de ce scrutin, le parti communiste (KSCaM), issu de l’ancienne époque soviétique. Il réalise 14,91% des voix, en progression de plus de trois points. Il progresse notamment au détriment de la sociale-démocratie et limite également le départ d’un électorat ouvrier et populaire vers les vestiges de la droite nationaliste.
Alors que les Républicains ont disparu de la scène politique (le « Parti National » n’obtenant que 0,1% des voix aux élections précédentes) et que le Parti Ouvrier (Delnicka Strana), mouvement nationaliste radical, a été interdit, les partis souverainistes ne profitent pas de cet espace libre. La liste Hlavu Vzhuru (« Tenez la tête haute »), issue de la base du mouvement Suverinat, et soutenue par l’ancien président Vaclav Klaus, et qui avait obtenu plus de 2,5% des voix en 2010, s’effondre avec seulement 0,42% des voix, l’autre liste souverainiste (Suver.-Strana) n’obtient que 0,27% des voix. Le courant eurosceptique traditionnel est donc considérablement affaibli, même si le mouvement des Libres Citoyens (Strana Svobodnych Obcanu) obtient 2,42% des voix sur un programme de démocratie directe, avec proposition d’un référendum sur le maintien de la Tchéquie au sein de l’Union Européenne.
Dernier mouvement à passer la barre fatidique des 5%, ouvrant à des députés, l’union démocrate-chrétienne. Elle obtient 6,78% des voix et complète ainsi le tableau.
Les partisans d’un « socialisme national » à la tchèque, forme spécifique de sociale-démocratie, échouent à revivifier ce vieux courant national, brisé par cinquante de communisme. Ils n’obtiennent que 0,07%. Les monarchistes sont également réduits à un score extrêmement marginal (0,17%). Les Pirates obtiennent 2,63% ce qui démontre qu’un mouvement européen transnational est capable de s’organiser et de se présenter dans presque tous les pays de l’Union Européenne. Leur score n’est pas insignifiant même s’il sera difficile de capitaliser par la suite. Enfin, les Verts (Strana zelenych), beaucoup moins gauchistes qu’en France ou en Allemagne, restent à la marge avec 3,09% des voix.
Avec l’émergence de deux nouvelles formations politiques menées par des personnalités appréciées de nombreux électeurs, les deux partis principaux ne sont pas capables d’obtenir une coalition tenable. La plus logique reste l’alliance des communistes et des sociaux-démocrates dans une coalition de gauche plurielle, mais elle ne sera pas majoritaire. De même, une droite plurielle menée par TOP09 paraît extrêmement difficile à mettre en œuvre, du fait de l’effondrement total de l’ODS.
La Tchéquie ce soir est donc probablement une fois de plus ingouvernable, car de nombreux partis rentrent au parlement, en tout sept, deux de « gauche », trois de « droite » et deux inclassables. On retrouve par certains aspects un phénomène « Beppe Grillo » avec de nouveaux venus en politique, aux origines tranchant avec le tchèque de la rue. Elle peut au mieux espérer une coalition de « gauche » minoritaire, soutenue par exemple par ANO 2011, ou organiser une grande coalition d’où l’ODS serait probablement exclu.
Dans cette Europe en crise, l’électorat est fortement perturbé et ne sait plus à quel sein se vouer. Il peut tomber dans les bras de démagogues professionnels ou bien dans ceux de nationalistes obtus et d’europhobes de principe. Le résultat c’est l’effacement des différences entre la « gauche » et la droite.
Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)
21:13 Publié dans Analyses, Elections en Europe | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tchéquie, élections législatives 2013, milos zeman, vaclav klaus, ccsd, ods |