22/05/2011
De Gaulle contre les souverainistes
Au sein de l’histoire politique française du XXème siècle, la figure du général De Gaulle conserve une place à part, presque unaniment honorée par toute la classe politique nationale, désormais rejointe par l’extrême-droite, à l’exception peut-être de l’extrême-gauche. Toutefois, ceux qui s’en revendiquent explicitement, s’attribuant le terme de « gaullistes », divergent profondément des options politiques et philosophiques assumées ou défendues dans l’intimité par le général. Dupont-Aignan, à l’instar de Pasqua auparavant, ou encore du souverainiste Couteaux, voit dans De Gaulle une figure souverainiste, presque nationaliste, refusant toute idée d’une Europe unie au-delà d’une très vague « Europe des nations » basée sur une libre coopération. Certains autres au nom de De Gaulle proclament une certaine forme de germanophobie. Chirac ou Villepin se sont également revendiqués du grand homme, sans que cela n’apparaisse spécialement dans leur programme.
Or il apparaît que De Gaulle était un personnage beaucoup plus complexe, et controversé, que ses défenseurs officiels ne veulent bien le croire. Certains s’insurgent contre la revendication, récente, de Marine Le Pen d’être dans la continuité idéologique de De Gaulle. Ils ont raison de s’en insurger mais cette dernière se revendique du même faux « De Gaulle » que celui de ses adversaires de l’UMP. Alors, quel était donc le vrai De Gaulle, selon moi, et qui en est au final l’héritier légitime, s’il en est un.
De Gaulle est d’abord l’homme du 18 juin 1940, celui qui a dit non à la résignation face à la défaite et à l’occupation du territoire national par l’armée allemande. Son geste repose sur un pari selon lequel l’Allemagne ne pourra pas gagner la guerre et qu’il faut offrir à la France la meilleure place au sein de l’Europe future libérée par les alliés. Ce pari est dans l’autre camp le même qu’un Laval qui croit à la victoire de l’Allemagne et cherche de son côté à assurer à la France un sort meilleur. De Gaulle reconnaît explicitement cette parenté inversée, en affirmant dans ses Mémoires de guerre, « si j’ai eu tort, c’est que Laval et Déat ont eu raison ». En fait, c’est la position mi-figue mi-raison d’un Pétain qui insupporte profondément Charles De Gaulle, la position de celui qui ne choisit pas son camp, qui ménage l’occupant sans se rallier à lui, qui ménage aussi l’opposition à ce même occupant mais là encore sans s’y rallier. L’attitude d’un Mitterrand, qui fut son adversaire politique en 1965, était sensiblement la même que celle de Pétain, à savoir un ralliement à l’Etat français, dont il reçut la francisque, puis une évolution progressive vers la résistance.
De Gaulle, premier résistant. De Gaulle, qui réussit à épargner à la France l’AMGOT, une occupation gouvernementale américaine du territoire national, et à permettre à son pays de faire partie des vainqueurs de 1945, au grand étonnement des autorités allemandes présentes pour signer la capitulation. De Gaulle, qui a simplement fait un pari à partir de sa culture stratégique et géopolitique, un pari gagnant. Mais De Gaulle a toujours respecté son ennemi, et c’est tout à son honneur, et n’a jamais cédé aux ficelles grossières de la diabolisation. En Russie, il s’exclame ainsi « quel grand peuple ! ». Ses hôtes russes s’imaginent qu’il parle de leur peuple, alors qu’il évoque les allemands, dont il admire la volonté militaire qui les a amenés au cœur de la Russie d’Europe. Dans ses Mémoires de guerre, il évoque le défunt chancelier comme un « sombre Titan », usant même de l’expression de Nietzsche à propos de Napoléon, « mélange de l’inhumain et du surhumain ». Ce n’est pas une apologie, mais c’est encore moins une opprobre. Il évoque aussi la réconciliation franco-allemande, une nécessité évidente à ses yeux, même lorsqu’elle est prônée par un certain Heinrich H. dans un courrier que ce dernier lui fait parvenir.
De Gaulle a contribué à libérer l’Europe occidentale de l’occupant et à vaincre l’Allemagne qui voulait conquérir le continent et asservir les peuples non-germaniques. Il l’a fait avec lucidité, avec courage, avec ténacité, même alors qu’il était méprisé par les américains ou vu comme une sorte d’apprenti-dictateur.
Le second De Gaulle, c’est l’homme de 1958, c’est le tacticien politique, émule de Machiavelli, qui réussit à être appelé comme le sauveur, comme le recours, un peu comme son vieil ennemi Pétain dix-huit ans auparavant. Ce De Gaulle, celui des accords d’Evian de 1962, celui qui abandonne l’Algérie au FLN, alors que l’armée française avait triomphé sur le terrain, mais avait diplomatiquement perdu, c’est l’homme haï par l’extrême-droite, l’anti-Le Pen. Alors qu’en 1958 ce dernier voit les jeunes algériens comme une force neuve pour la France, De Gaulle veut redonner à la France sa dimension européenne dans tous les sens du terme. Pour lui, cette « force neuve » est un boulet qui détourne la France de son destin continental, au sein, je le précise, d’une Europe unie. Ainsi qu’il le déclare en 1949, le programme de De Gaulle c’est : « Moi je dis qu’il faut faire l’Europe avec pour base un accord entre Français et Allemands. (…)Une fois l’Europe faite sur ces bases, avec ses éléments africains et l’appui des États-Unis, alors, on pourra se tourner vers la Russie. Alors, on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l’Europe tout entière avec la Russie aussi, dut-elle changer son régime. Voilà le programme des vrais Européens. Voilà le mien. »
Alors, De Gaulle louvoie. En 1958, il arrive au pouvoir sur l’idée qu’il va apporter la paix en Algérie, par la victoire de l’armée, et que cette dernière restera « française ». Est-il sincère lorsqu’il fait son affirmation ou a-t’il déjà accepté l’indépendance ? Visionnaire, je le suspecte de savoir dès 1958 qu’il faut émanciper l’Algérie. Il attend simplement le bon moment pour révéler sa vraie démarche, même si on l’accusera de manipulation.
Car De Gaulle, et ses propos relayés par Alain Peyrefitte dans « c’était De Gaulle » en attestent, n’est pas un adepte d’une France aux origines multiples, à la tête d’un empire colonial bigarré. Il est le défenseur d’une France européenne dans une Europe qui ne l’est pas moins. Dès 1946, ainsi que le souligne Patrick Weil, De Gaulle s’oppose à la « gauche » concernant l’immigration de travail. Il veut la resteindre aux seuls européens, et il précise même qu’il s’agit des européens du nord. Il sera contraint de cèder sur cette question, qui continuera de le hanter lorsqu’il sera président. De Gaulle définit officiellement la France comme un pays de « race blanche », ce que même Marine Le Pen n’assumera pas, et il avait déjà précisé toujours en 1949 que : « Pour moi j’ai, de tous temps, mais aujourd’hui plus que jamais, ressenti ce qu’ont en commun les nations qui la peuplent. Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation. » On est loin de l’europhobie de la droite nationale, qui en vient à nier l’unité de l’Europe, à rejeter l’euro et l’UE. Les souverainistes qui se revendiquent d’un De Gaulle eurosceptique sont donc clairement dans l’erreur. Bien sûr, les mots sont datés et choqueraient nos contemporains. Mais De Gaulle n’a jamais méprisé les autres peuples, bien au contraire, et son souci de décoloniser est une volonté d’égalité.
De Gaulle n’a pas eu confiance dans la version « américanisée » de la construction européenne qu’on lui présentait devant les yeux. Un européiste pourra lui reprocher, à juste titre, d’avoir fait voter non à ses parlementaires en 1954 au traité de la Communauté Européenne de Défense. Mais la ligne du RPF était celle de renvoyer dos à dos atlantistes et soviétistes. De Gaulle ainsi avait le sentiment, à tort ou à raison, que la CEE serait à la botte des Etats-Unis, que l’adhésion du Royaume-Uni, contre laquelle il s’éleva, ne ferait qu’accroître cette situation, et que, réconciliés avec l’Allemagne d’Adenauer, il fallait aussi que les Français se réconcilient avec la Russie éternelle cachée derrière l’Union Soviétique.
Pour lui, la CEE se faisait contre une partie de l’Europe et au service d’une ancienne colonie émancipée depuis deux siècles, les USA. Il n’était pas dupe des manœuvres de Washington,mais à aucun moment n’a souhaité rompre avec ce pays, même lorsque la France a quitté l’OTAN. Il était bien trop réaliste pour cela. De Gaulle, j’en suis convaincu, souhaitait une Europe fédérale, mais une Europe libre et européenne. Ce n’était pas l’objectif qu’il condamnait, mais la méthode. Ce n’était pas l’unité européenne qu’il fustigeait, mais qu’elle se fasse sous le contrôle d’une puissance étrangère. Faut-il lui donner vraiment tort lorsque l’on constate les travers de l’Union Européenne actuelle ?
De Gaulle était l’homme qui avait affirmé : « je n’aime pas les communistes parce qu’ils sont communistes, je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes ». Cette phrase ne peut être que celle d’un vrai socialiste, ou de quelqu’un se considérant comme tel. La volonté de créer des syndicats gaullistes dans les entreprises l’illustre aisément. Aucun parti de droite n’a voulu créer des syndicats, à l’exception du PPF de Doriot, issu ceci dit d’une base ouvrière et mené par d’anciens communistes, et qu’on pourrait assimiler davantage à une gauche nationaliste. De Gaulle, si. Lui qui admirait le planisme néo-socialiste d’avant-guerre, dont il a été le promoteur à la libération, en mettant en place une politique de planification économique, est aussi l’homme de la sécurité sociale, de la nationalisation de grandes entreprises, certes dans le contexte du programme du CNR.
De Gaulle socialiste. De Gaulle européiste. On pourrait regretter qu’il n’ait pas eu une conception suffisamment démocratique de la politique. Bien qu’il ait fait élire le président de la république au suffrage universel direct, qu’il ait voulu mettre fin aux prérogatives du sénat, relégué en une forme de Bundesrat, ce qu’il n’a pas réussi, et bien qu’il ait soumis à la volonté populaire ses décisions par le biais de referenda où il était prêt à renoncer au pouvoir en cas de défaite, ce qu’il fit. Mais on sait que même Périclès, père de la démocratie, était accusé de « pouvoir personnel ». Or De Gaulle, lui non plus, ne s’est pas enrichi par la politique, et les cadeaux qu’il reçut en tant que président restèrent à la nation.
De Gaulle socialiste. De Gaulle européiste. De Gaulle démocrate. De Gaulle était… euro-socialiste !
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
18:56 Publié dans Analyses, Anti-mythes, Citations, Editoriaux, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : de gaulle, europe, thomas ferrier, souverainisme, psune |
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