07/02/2010
Mythe n°1 : La France est née avec Clovis - par Thomas Ferrier
Les nationalistes et souverainistes français le répètent en cœur, la France naît avec la conversion au catholicisme du chef franc Ludwig (Chlodoweg), plus connu sous son nom latinisé de Clovis, à la fin du Vème siècle de l'ère chrétienne. Ce profond anachronisme, mis en particulier en avant au XIXème siècle, a la vie dure et constitue le premier lieu commun auquel nous allons nous attaquer.
Il convient en premier lieu de rappeler certaines données de l'équation, à savoir que le terme de « Gaule », Gallia en latin, est une invention romaine apposée à une réalité celte beaucoup plus complexe. Lorsque Jules César décide de conquérir les territoires celtiques indépendants, il n'est pas le premier romain à s'opposer aux tribus « gauloises ». Les Celtes d'Italie du Nord (Gaule cisalpine) et d'Espagne (Celtibères) mais aussi ceux du sud-est de notre territoire actuel, la Narbonnaise, sont déjà tombés sous les coups des légions romaines, parfois depuis plusieurs siècles. César sera ainsi confronté non seulement aux Celtes indépendants du continent, comprenant notamment les Belges et les Helvètes, mais aussi aux Celtes des Iles Britanniques, qui soutiennent leurs compatriotes d'au-delà de la Manche.
Ainsi, l'idée d'une Gaule éternelle, avec son unificateur Vercingétorix, ne résiste pas à l'analyse historique élémentaire. De même, les druides, prêtres représentant le polythéisme celtique, étaient formés hors de la « Gaule » pendant une partie de leur apprentissage.
La « Gaule » romanisée du Vème siècle regroupe un ensemble de provinces occidentales sous contrôle romain. La langue celtique continental, qu'on appellera par simplification « gauloise », résiste difficilement à l'ascension du latin dans les couches élevées de la société gallo-romaine. En revanche, la religion chrétienne, implantée dans la plupart des grandes villes, demeure minoritaire dans la population. Le « gaulois » Rutilius Namatianus rappellera ainsi les mérites de la cité éternelle de Rome, de la Rome polythéiste, dans sa célèbre œuvre « Sur le retour », en 416 A.D. Mais la Gaule connaît comme le reste de l'empire une crise politique sans précédent. Avec la construction de Constantinople par Constantin Ier, la Rome historique est abandonnée à une inévitable tragédie. En 410 puis en 455 A.D, la ville de Romulus tombe aux mains de barbares germaniques, dont certains sont déjà chrétiens. Mais fidèles à l'empire, fidèles à la vieille Rome des Scipions et des Césars, les Francs restent debout. En 394 A.D, le général franc Arbogast combat jusqu'à la mort en compagnie des vrais romains, l'empereur grammairien Eugène et le pieux Flavien Nicomaque, face aux troupes bigarrées du bigot Théodose.
Mérovée, Clodion et Childéric, les ancêtres de Clovis, sont des dignes héritiers d'Arbogast. Bien que germains, ils appartiennent à ces combattants du nord qui constituaient la garde personnelle de l'empereur Auguste quatre siècles auparavant. Les Germains ont toujours admiré la civilisation romaine, à laquelle ils cherchaient davantage à s'amalgamer qu'à s'opposer, et ce même si l'amour de la liberté amena le chérusque Arminius à trahir Rome et à écraser dans le sang les légions de Varus. Aux côtés d'Aetius, les francs ont vaincu Attila et repoussé les envahisseurs asiatiques hors d'Occident.
Clovis, fils de Chilpéric, arrive au pouvoir à la tête du peuple franc, dans une Gaule encore majoritairement païenne, et alors que son peuple l'est encore davantage, partagé entre la religion romaine ancienne et la religion germanique traditionnelle, sans négliger les fortes influences celtiques. Mais Clovis constate rapidement que la situation de l'empire a radicalement changé et sa mission sera d'unifier les royaumes divisés afin de refonder un empire romain occidental. Or, dernier prince païen entouré de royaumes germaniques chrétiens, Clovis a l'intuition politique que seul son ralliement au christianisme orthodoxe de Constantinople lui ouvrira les portes d'un grand destin, alors que ses confrères germaniques ont généralement choisi l'hérésie arienne.
Pour ce faire, Clovis met fin au dernier royaume romain encore indépendant, celui de Syagrius, puis petit à petit il triomphe de ses adversaires burgondes et alamans. La conversion est alors indispensable pour qu'il puisse bénéficier de la reconnaissance officielle de la seconde Rome. Il hésite. Son attachement à la foi de ses pères ne peut être effacé par une simple décision. Ayant fait baptiser son premier né, celui-ci ayant succombé quelques jours après son baptême, il s'inquiète de la réaction des dieux. Serait-ce un avertissement envoyé par Wotan, dont il tire sa légitimité, selon le principe germanique de placer comme descendance du dieu borgne tous les rois ?
Pourtant, l'homme politique prime sur l'homme de foi, et « Lutèce vaut bien une messe ». Il franchit ce Rubicon spirituel et emmène avec lui, par le serment qui les lie au roi, tous ses soldats. Le geste sera imité par le roi Vladimir de Kiev cinq cents ans plus tard. Ainsi, Constantinople le reconnaît comme consul romain, garant de la continuité romaine de l'empire en Occident, car il ne faut jamais oublier que les « byzantins » entendent pouvoir reconquérir la partie occidentale de l'empire, ce à quoi Justinien passera sa vie, s'emparant du sud de l'Hispanie, de l'Afrique vandale et de l'Italie ostrogothique, au début du VIème siècle.
Faire de Clovis le créateur d'une nation appelée France ne tient pas une seconde face aux faits historiques. Les rois mérovingiens comme les souverains carolingiens qui les remplaceront, se placent dans la filiation romaine, et Charlemagne, envisageant d'épouser Irène, reine de Constantinople, espère un temps réunir le vieil empire. Pour inventer une nouvelle nation, Clovis aurait dû renoncer au rêve de refonder la « nation » romaine, et rien ne permet de dire qu'il y aurait songé.
La France comme nation émerge à la chute de la royauté carolingienne de Francie occidentale, avec le couronnement d'Hugues Capet, dont le siège est la région parisienne, l'Ile de France. C'est à partir de ce foyer que les rois capétiens, via des alliances, des victoires et des mariages, vont petit à petit unifier des provinces et forger une nouvelle nation, la France, sur la ruine du rêve romain. La langue française, c'est-à-dire le franco-provençal, n'est-elle-même présente que sur une moitié du territoire de la France actuelle, et encore est-elle divisée en de multiples patois. Avec la guerre de cent ans, l'opposition entre Anglois et François amène les uns et les autres à prendre conscience de leurs différences. C'est pourquoi les nationalistes français du XIXème et du XXème siècles donneront tant d'importance à la geste johannique. Ces différences néanmoins étaient plus que relatives, le français étant ainsi la langue de la cour d'Angleterre. La guerre ainsi a créé des divisions, à l'instar de l'opposition entre Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion au XIIIème siècle, entre deux entités dont les différences au final pesaient bien peu au regard des similitudes. L'Angleterre, qui s'était unie au Pays de Galles sans aucun problème, se montra désormais impérialiste vis-à-vis de l'Ecosse et de l'Irlande. Songeons que le Pays de Galles, uni au XIIIème siècle à l'Angleterre, est celui dans lequel la population a la plus grande part de locuteurs celtes.
Avec la guerre de cent ans naissent deux impérialismes, l'un anglais et l'autre français, sur une opposition artificielle entre deux souverains et non entre deux peuples, et le nationalisme dans toute sa dimension impériale et coloniale y prend racine. L'anglais colonise territorialement et linguistiquement l'Ecosse et l'Irlande, et le français s'attaque à la langue bretonne ou à la langue basque.
Alors, Clovis a-t-il créé la France par sa conversion au christianisme et par ses conquêtes territoriales ? Non. Tout comme Charlemagne, Friedrich II Von Hohenstaufen et Napoléon, il voulait unir l'Occident romain et rêvait de ressusciter l'empire d'Auguste.
Thomas FERRIER (PSUNE)
16:21 Publié dans Anti-mythes, Billets, Culture, Histoire, Religion | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : histoire, europe, religions |
Commentaires
L'apport celte et germanique en Espagne a toujours été minoritaire,car le gros de la population(85% des cas) est méditerranéen.
Écrit par : Thegaulishthroat | 26/08/2012
@ Thegaulishthroat
Ca ne veut rien dire en soi, "méditerranéen". Les espagnols ne sont pas différents des autres européens, à savoir un apport pré-indo-européen (basque, ibère) et indo-européen (tartessien, celt"ibère", romain, germanique). L'apport celte semble dans certaines régions déterminant.
Écrit par : Thomas FERRIER | 26/08/2012
Possible,mais l'élément méditerranéen(ibèrique,basque ou autre) est majoritaire(85% des cas).Donc,oui les espagnols sont des européens,mais ce ne sont pas des Français(sauf la partie méridionale cela va de soit),des suisses,des belges et encore moins des Allemands,car ce sont des méditerranéens,comme les italiens,les portugais,les grecs ou les Français méridionaux(provence,sud-ouest).
Écrit par : Thegaulishthroat | 27/08/2012
Le qualifier de "méditerranéen" reste inadapté. Je ne sais pas si l'élément basque et ibère est si dominateur que cela, car l'indo-européanisation très précoce de l'Espagne, bien avant les Celtes, semble aujourd'hui établie.
Si vous parlez de "race méditerranéenne", cette terminologie ne correspond pas non plus à des réalités tangibles, et la parenté génétique profonde entre européens s'oppose à une telle grille de lecture.
Cordialement.
Écrit par : Thomas FERRIER | 27/08/2012
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