31/10/2011
Le fondateur de la République !
250 ans environ après la fondation de Rome par Romulus, le roi mythique et fils du dieu Mars en personne, Rome vit sous la tutelle d’un souverain étranger, un prince du nom de Tarquin, Tarchon en étrusque, dont le nom rappelle une ancienne divinité hittite de l’orage, Tahrun[tas], étayant l’hypothèse d’une origine anatolienne du peuple étrusque et base peut-être du mythe des origines troyennes de Rome.
Contrairement à son ancêtre Tarquin l’ancien, qui avait conservé dans le cœur des Romains une image plutôt positive et avait su se faire accepter, ce Tarquin se montre irrespectueux des institutions anciennes de la cité, et la tradition le qualifie de tyran. Il est qualifié tout particulièrement de l’adjectif superbus, qu’il convient de traduire dans son sens strictement latin, « orgueilleux ». La superbia latine correspond très exactement à l’hybris grecque, « la démesure » consistant à se prendre pour un dieu. La religion grecque estimait qu’il n’y avait pas de plus grande impiété, et même les héros n’étaient pas à l’abri d’une sanction divine, à l’instar de Bellérophon qui voulait rejoindre l’Olympe, monté sur le cheval Pégase, ou encore d’Icare qui voulait aller aussi haut que le soleil. La déesse Némésis, la « vengeance divine », se chargeait d’exécuter la sentence contre les fautifs, si ce n’était pas Zeus en personne, foudroyant le mortel imprudent.
Lucius Junius Brutus, frère de la belle Lucrèce, serait donc l’instrument de la colère des dieux. Rappelons les faits qui mirent le feu aux poudres et amenèrent les romains à fonder la première république de l’histoire, à la même époque à peu près où les structures de la démocratie athénienne voyaient le jour. Lucrèce, épouse fidèle et digne, contre-modèle féminin de Tarpeia, est violée par Sextus, fils du roi Tarquin, en l’absence de ce dernier parti guerroyer. Souillée, bien que contrainte, Lucrèce met fin à ses jours en se poignardant.
A la découverte du drame, Brutus s’empare du poignard recouvert de sang avec lequel sa sœur s’est tuée, et levant le poignard vers le ciel, en appelle au dieu Mars, le père des Romains, mais aussi un dieu réputé comme son homologue grec Arès pour sa férocité, afin que ce dernier par son intermédiaire venge son honneur et chasse de Rome les tyrans étrangers. Il s’appuie sur les Comices, l’équivalent de l’assemblée des citoyens, bien davantage que sur le sénat, au sein duquel demeurent des soutiens au souverain déchu. C’est donc bel et bien une révolution populaire afin de rendre à Rome sa liberté mais c’est aussi un choix politique nouveau, en rupture avec la royauté traditionnelle indigène, celle des quatre premiers rois de Rome. Ainsi naît la Res Publica, c'est-à-dire « l’Intérêt Général » incarné, qu’on pourrait traduire en grec par Demokratia, en 509 avant notre ère.
Cette révolution amène les Romains à combattre les Etrusques, alors maîtres du nord de la péninsule italique, que Tarquin ramène avec lui pour reprendre le pouvoir. Cela nous rappelle les royalistes en 1789 partis chercher du secours au sein des monarchies voisines et la tentative avortée de Louis XVI de s’y réfugier. Tarquin ne reverra pas Rome et les Romains sauront conserver leur indépendance les armes à la main. Ses biens seront saisis, et notamment sa propriété foncière, qui sera donnée au peuple romain. Cette dernière deviendra le Champ de Mars (Campus Martius) où se rassemblent les armées citoyennes à l’ouverture de la période militaire, prêtes à conquérir au nom de Rome de nouvelles terres et à soumettre les peuples voisins.
C’est donc au dieu Mars, en remerciement de son secours, et pour avoir permis à Brutus d’accomplir son serment, que ce domaine sera consacré. Mais le blé récolté, frappé d’impureté, sera offert à la divinité du fleuve Tibre et ne sera pas consommé. Le temple de Jupiter sur le Capitole, dont Tarquin avait commencé la réalisation, ne fut pas abandonné mais c’est désormais à un Jupiter Liberator, en plus d’être « très bon et très grand » (optimus et maximus) qu’il sera consacré, correspondant assez bien au Zeus Eleutherios des Grecs.
Comme l’avaient annoncé les augures à Romulus, Rome avait douze siècles devant elle. Deux siècles passés, Rome était libre et prête à conquérir le monde. Elle devrait subir l’humiliation de la victoire gauloise de Brennus, certes vengée immédiatement par Camille, et Hannibal à ses portes, mais au nom de la liberté de ses citoyens, qui avaient cessé d’être des sujets, au nom d’une conception sociale et héroïque de l’homme, tant que ses dieux seraient honorés, Rome rayonnerait. Le poète italien Carducci au début du XXème siècle, se souvenant avec nostalgie de cette Rome virile et païenne, osa déclarer que Rome cessa d’être victorieuse « le jour où un galiléen roux monta les marches du capitole ».
Brutus, dont le nom soulignait son caractère brutal ou son intelligence limitée, portait un nom fondamentalement lié au dieu de la guerre, que la mythologie ne présente pas toujours, comme son cousin du nord Thor, comme un esprit éclairé, à la différence de sa sœur Minerve. Héritier de ce fait du noble lignage de Romulus, son devoir était tout tracé. Il alla même jusqu’à regarder en face deux de ses fils, qui avaient trahi les intérêts de Rome, alors qu’ils étaient exécutés. Symbole du devoir et du dévouement à sa patrie, c’est son image qui dans l’esprit de Brutus le Jeune l’amena à l’irréparable.
Ce qu’il ne savait pas, c’est que César, héros du peuple, et qui n’aspirait probablement pas à se faire roi, se souvenant de cette haine des tyrans que Brutus avait enseignée, était lui-même protégé par Mars. Le dieu, qui avait apporté son soutien à Brutus l’Ancien et aussi à la fin du IIème siècle à Brutus Callaicus, ce en quoi le dieu en avait été remercié par la construction d’un temple en son honneur, avec une magnifique statue réalisée par le sculpteur Scopas, le représentant apaisé, son fils Cupidon jouant avec ses armes à ses pieds, se mit du côté d’Octavien et d’Antoine, vengeant le conquérant de la Gaule.
Beaucoup de nos jours se disent « républicains », en particulier en France, mais ne savent pas pourquoi. Alors qu’ils se rangent au service d’intérêts étrangers et d’une domination tarquinienne, celle du capitalisme international et de la finance mondialisée, et qu’ils trahissent le peuple, ils se revendiquent tout comme le jeune Brutus d’une tradition qu’ils méprisent ou simplement ne comprennent plus. Brutus l’Ancien nous rappelle qu’un vrai républicain soumet tout aux intérêts sacrés de sa patrie. Qui seront les « Bruti » qui libéreront les Européens de tous ces jougs ? Ceux qui établiront la République Européenne, forte et prospère, réconciliant Mars et Mercure sous le patronage d’un nouveau Jupiter Libérateur, l’époux taurin d’Europa.
Aux Tarquins du Système, nous répondrons donc « souvenons nous de Lucius Junius Brutus, qui donna jusqu’à sa vie pour sa patrie ». Nous combattrons jusqu’à ce que l’Europe renaisse, jusqu’à ce que, nouveaux romains, les Européens soient à nouveau maîtres chez eux, souverains de leur sol, gardiens de leur lignage. L’Europe souillée, c’est Lucrèce violée. Lucrèce vengée, c’est l’Europe libérée.
Thomas Ferrier
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