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25/08/2014

Qu’est-ce qu’une nation ?

(Article de 2006)

EuropaNazione.jpgC’est ainsi qu’Ernest Renan intitula un ouvrage où il opposait la conception française de la nation qu'il soutenait à la conception allemande, la première reposant sur l’adhésion à un corpus de valeurs, la seconde reposant sur l’appartenance ethnique. Dépassant les querelles sémantiques de deux siècles de nationalisme diviseur en Europe, il est intéressant de réfléchir à ce qu’est une nation dans l’esprit européen unitaire.

Les Grecs de l’antiquité ignoraient en apparence la notion de « nation », qui est un terme latin, et la remplaçaient par celle de « peuple », qui pouvait s’exprimer par plusieurs vocables : le δήμος ou dêmos, terme que l’on retrouve dans celui de démocratie, d’une part, et l’ έθνος ou ethnos, d’autre part, qui a donné en français le terme d’ « ethnie » mais qui en grec moderne signifie « nation ». Le premier terme en revanche a pris un sens mineur en grec moderne, signifiant même « municipalité ». Ainsi peut-on considérer qu’il existait par exemple un dêmos athénien ou même attique au sein même d’un ethnos qui était la Grèce tout entière, selon le rêve panhellénique d’un Isocrate par exemple. Le droit du sang existait de fait à deux niveaux, au niveau municipal avec par exemple la loi de 451 avant J.C mise en place par Périclès, et d’une certaine manière au niveau « national ». De fait, le dêmos et l’ethnos désignent deux niveaux de peuple mais reposent l’un sur l’autre sur les mêmes critères, l’homogénéité.

Le terme latin de natio (gen. nationis) a un sens très proche, le terme populus, « peuple », désignant davantage la population indifférenciée voire la plèbe uniquement. Le dictionnaire Gaffiot confirme que le terme de nation dérive de la racine indo-européenne *gen-, qu’on retrouve dans le grec γένος (genos ou « race, lignée »). Dans le sens 2. de nātio, le dictionnaire propose de le traduire par « peuplade, nation [partie d’une gens, peuple, race] ». Ainsi, contrairement à la définition donnée par Renan, la notion même de « nation » implique une dimension ethnique certaine, implique une homogénéité de fait. La nation repose donc fondamentalement sur le principe du droit du sang, qui a été la règle de la France depuis le code Napoléon et qui l’est toujours aujourd’hui, même si cette fois en concurrence avec le droit du sol.

Le terme latin s’est répandu par la suite dans le reste de l’Europe. On le retrouve dans les langues germaniques avec l’allemand Nation et l’anglais nation, mais aussi en russe avec нация (natsia). Mais ce terme n’est qu’une variante d’un terme indigène plus important, et qui se traduira davantage par « peuple », bien que conservant le sens ethnique implicite dans « nation ». L’allemand use du terme de Volk, qu’il faut peut-être rapprocher du latin populus, et qui a un sens ethnique explicite. C’est ainsi que la nationalité allemande jusqu’en 2000 reposait sur le principe du droit du sang, et c’est aussi le cas des autres pays germaniques, même si le code de nationalité allemand s’est inspiré à l’origine de celui de Napoléon mais aussi de la citoyenneté athénienne qui reposait sur le droit du sang intégral. La plupart des spécialistes de l’histoire allemande, y compris de celle du IIIème Reich, ont souligné l’importance du Volk comme support de la nation germanique.

Chez les Slaves, les russes usent du terme народ ou narod, dans le sens de « peuple », mais il est intéressant de souligner que le polonais naród et le tchèque národ en revanche signifient strictement « nation », le terme latin n’ayant pas été adapté.

Dès lors sémantiquement les termes de nation et de peuple reposent fondamentalement sur un substrat ethnique, sur une homogénéité de peuplement, contrairement à la définition française que proposait Renan, et qui est contraire aussi bien à l’Europe ancienne qu’aux principes des autres pays européens. La conception évoquée par Renan définit davantage un empire, fondamentalement multinational par nature, et justifie l’impérialisme et la colonisation, et c’est pourquoi la politique française et la politique britannique en ce domaine ne différaient pas profondément. La république romaine reposait quant à elle sur la patrie latine et par la suite sur l’idée primitive d’une nation italienne, qui forma par la suite une province unitaire. En amalgamant par la conquête des territoires, après le triomphe sur Carthage, la république romaine se trouva bien mal adaptée et dut renoncer de fait au principe du droit du sang compte tenu de son élargissement. Mais se faisant, elle s’affaiblit et permit l’ascension de dictateurs perpétuels, de Marius à Octavien, ce dernier devenant le premier empereur. Mais Octavien, devenu Auguste, faisait reposer l’empire romain à peine né sur l’idée, que n’aurait pas renié un Aristote et qu’un Tacite approuvera par la suite, que les peuples orientaux étaient radicalement différents des peuples italiques et occidentaux en général, Grecs continentaux inclus. Ainsi, indéniablement, le premier empereur cherchait à maintenir une certaine forme d’homogénéité, considérant dans leur ensemble les peuples du continent européen comme de même nature. Et de fait, les populations européennes, à l’exception des Grecs, surent se romaniser rapidement et furent même jusqu’à la fin les plus fidèles soutiens de Rome. Mais la logique fondamentalement multinationale de l’empire, telle qu’incarnée par un Caracalla, empereur oriental donnant la citoyenneté romaine à l’ensemble des hommes libres de l’empire, ne pouvait qu’amener à la ruine de la romanité, même si les envahisseurs germaniques surent en préserver une part non négligeable et ne furent pas autant les destructeurs que l’on a pu croire. La fin de la romanité fut davantage due à l’évolution de l’empire romain lui-même, illustrée par la christianisation dans le domaine spirituel.

Ainsi, la nation européenne pour laquelle nous entendons œuvrer, une nation qui sera nécessairement organisée en république, et non en empire, et qui reposera sur une conception démocratique, c'est-à-dire sur le pouvoir effectif du dêmos, du peuple-nation, ne peut reposer que sur une homogénéité européenne relative de fait, et sur le concept juridique du droit du sang. Car le principe du droit du sol, qui il faut le préciser dérive du droit féodal et monarchique, « sont sujets du seigneur tous ceux nés sur sa terre », n’est pas un principe républicain, contrairement à ce que l’on croit généralement, n’est pas un principe démocratique, et le système athénien et péricléen du Vème siècle l’illustre remarquablement. Les Européens de fait forment une population relativement homogène, marquée par une parenté anthropologique, civilisationnelle, culturelle, spirituelle et même linguistique, si l’on pense à l’importance des langues indo-européennes, qui constituent l’essentiel des langues d’Europe, à l’exception du basque, du hongrois, de l’estonien, du finnois et de certaines langues caucasiennes. Si l’on ne prend comme exemple que l’Union Européenne actuelle, 96% des européens de l’UE parlent une langue indo-européenne comme langue natale [et 94% des Européens de l'Islande à la Russie-Sibérie].

On constate bien en ce sens que le concept de « nation européenne » n’est pas un artifice, encore moins une utopie, n’est même pas une nation en devenir ; l’Europe est de fait une nation, une nation comparable à la Chine ou à l’Inde, mais certainement pas aux États-Unis.

Thomas FERRIER