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23/06/2013

Laïcité et intolérance, religion romaine et christianisme

louve-romaine.jpgDans une revue d’ « opposition nationale et européenne », revue nationaliste et catholique, « Hannibal » affirme que « nous venons de fêter le dix-sept centième anniversaire de l’édit de Milan, par lequel Constantin le grand institua la laïcité ». L’auteur ajoute que « l’empire romain avait une religion d’état dont le service strict menait logiquement aux persécutions ». En revanche, John Scheid, historien de Rome, dans Le Point du 20 juin 2013, affirme que « Rome, c’est la laïcité garantie par l’Etat ».
 
Le premier distingue radicalement le christianisme des autres religions, judaïsme, islam et religion romaine étant mis dans le même sac. En revanche, le second illustre la spécificité du paganisme, ici dans sa version latine, issue de la tradition indo-européenne, par opposition d’avec les monothéismes abrahamiques.
 
Jean Soler, dans ses différents ouvrages, a démontré que l’intolérance en religion était un trait spécifique propre aux monothéismes. Ce faisant, il considère le christianisme comme tout aussi intolérant que l’islam. En revanche, les « nationaux-catholiques », qui dénoncent l’intolérance juive et musulmane, reprochent aux autres ce qu’ils exonèrent lorsque cela a lieu au nom de leur religion. Ainsi, leur lecture de la christianisation de l’empire romain est-elle profondément malhonnête intellectuellement, de même que leur défense de gens condamnés non pour leur foi mais en raison des lois que celle-ci leur enjoignait d’enfreindre.
 
La religion romaine est de nature tolérante, même si les autorités ont toujours veillé à la paix civile et au respect des traditions. Dans un contexte militaire, elle peut s’opposer à l’introduction de la religion des ennemis au sein de la cité. Virgile oppose ainsi les dieux de Rome, anthropomorphes, aux dieux égyptiens, présentés comme zoomorphes, de même qu’il distingue la raison occidentale et la superstition orientale. Le judaïsme connut, entre 70 et 135 après J.C, une répression de la part des Romains, mais c’était dans le contexte des « guerres juives ». Une fois la révolte de Bar Koshba vaincue, les Romains réaffirmèrent les principes de tolérance propres à leur vision du monde. Antonin le pieux annula toutes les mesures de rétorsion prises par son prédécesseur Hadrien.
 
A Rome même, à côté des dieux gréco-romains, résultat d’une fusion entre la religion latine populaire et l’esthétique hellénique, on trouve des cultes rendus à des divinités celtes, germaniques ou illyriennes mais aussi égyptiennes ou orientales. Le Jupiter de Dolichê, dernier avatar du dieu hittite Tahruntas, cohabite avec la gauloise Epona. Tant que ces religions n’impliquent pas que la loi romaine se plie à leurs règles, bien que des dérogations soient obtenues par les religions propres à un peuple, comme le judaïsme, l’Etat romain les accepte.
 
Ce n’est que face à des monothéismes de type universaliste, qui impliquent de ne pas respecter la loi commune, de refuser le service militaire, de ne pas honorer l’empereur, que l’Etat romain se braque. Ce n’est pas la foi qui anime les sectateurs de ces religions qui le dérange. Celui-ci est en effet indifférent à cette notion, la fides romaine étant un code d’honneur. L’Etat veut simplement que les rites civiques continuent d’être pratiqués, qu’ils le soient par des croyants ou par des incroyants. Socrate n’a pas été condamné à Athènes parce qu’il ne croyait pas dans les dieux olympiens, mais parce qu’il sapait la base de leur culte par son enseignement.
 
Les chrétiens, et les manichéens dans une moindre mesure, appelaient à un renversement des valeurs et ne se limitaient pas à souhaiter la liberté de pratiquer leur culte, que l’Etat romain aurait été prêt à reconnaître dans d’autres conditions. C’est à la chute même de Rome qu’ils appelaient fondamentalement. Le fanatisme amenant au martyrat sera le même qui amènera à la conversion forcée des païens trois siècles plus tard, lorsque l’empereur passera avec armes et bagages dans leur camp.


Les communautés chrétiennes souhaitaient en effet changer la loi commune, afin de l’adapter à leur religion, exactement comme aujourd’hui certains groupes islamistes en Europe occidentale souhaitent introduire la sharia. Et c’est contre cela que l’Etat romain s’est élevé. Il ne demandait pas que les chrétiens apostasient mais qu’ils respectent les lois, y compris lorsque celles-ci impliquaient un geste de type païen. Or, les évêques considéraient ce respect comme intolérable, et un chrétien devait préférer la mort à un acte politique, même s’il revêtait aussi une dimension religieuse, car les autorités n’attendaient pas un acte de foi, qui n’aurait de toute façon pas eu de sens à leurs yeux.
 
Lorsque l’on parle aujourd’hui de « persécutions » dont les chrétiens auraient été victimes de la part des Romains païens, on valide l’interprétation du camp chrétien et on fausse la réalité. La persécution implique qu’on cherche à obliger autrui à se convertir à une autre religion, qu’on est prêt à aller jusqu’au meurtre pour le soumettre. Sous l’empire chrétien, les Juifs seront ainsi persécutés non en raison de leurs actes mais en raison de leur appartenance à une autre religion. Sous l’empire romain « païen », cela n’aurait jamais pu avoir lieu.
 
virtus.jpgLes chrétiens n’étaient pas condamnés parce qu’ils n’étaient pas de « religion romaine », mais parce qu’ils désobéissaient aux lois. En réalité, beaucoup de chrétiens ont obéi à ces mêmes lois, même si les évêques les dénonçaient ensuite comme lapsi c'est-à-dire comme « renégats » et exigeaient qu’ils se repentent. C’est pourquoi il n’y aurait eu sur trois siècles qu’environ 5000 chrétiens condamnés à mort. L’image d’Epinal de chrétiens jetés aux lions n’est pas non plus historique. Il est possible que quelques chrétiens aient pu connaître ce sort tragique, mais christiani ad leones, « les chrétiens aux lions », c’était un slogan, et non une règle. En général, les chrétiens condamnés étaient envoyés aux mines, même si les plus provocateurs étaient probablement exécutés. Les supplices évoqués par la tradition chrétienne et qu’auraient subi des saints parfaitement imaginaires n’avaient aucune réalité.
 
De la même façon, il est invraisemblable que Néron ait pu persécuter des chrétiens à Rome. Si cinquante ans après, Trajan est contraint de mandater Pline le Jeune pour enquêter sur ce qu’est un chrétien, c’est bien que ses prédécesseurs ne connaissaient pas cette religion. Le passage de Tacite qui fait écho de cette persécution semble bien avoir été ajouté à l’œuvre par un copiste chrétien zélé, s’étonnant de ne pas retrouver ce mythe chrétien. Du fait que Néron a fini par incarner une forme d’Antéchrist, il était logique qu’il ait été le premier persécuteur. En réalité, il est probable qu’il y a eu une confusion avec une répression à Rome contre des juifs zélotes, dans un contexte où une révolte juive était en préparation en Judée, accusés à tort ou à raison d’avoir incendié Rome.
 
Que les chrétiens véhiculent leurs mythes et légendes concernant la christianisation de l’Europe, c’est leur droit, mais c’est problématique lorsqu’ils prétendent les affirmer en s’appuyant sur la science historique, prenant pour argent comptant et sans discernement ce qui relève bel et bien d’une propagande.
 
Avec la conversion de Constantin, les chrétiens passent du statut de religion réprimée à celui de religion opprimante. Il ne faudra pas attendre longtemps en effet, une fois Constantin mort, pour que ses fils en viennent à persécuter, et cette fois réellement, la majorité de la population romaine. Constance II tentera ainsi d’interdire purement et simplement le paganisme, mais devra renoncer face à l’ampleur de cette mission.
 
Lorsque Théodose décidera en 392 après J.C d’interdire lui aussi les religions ancestrales, il sera aidé par des masses de moines fanatiques qui ravageront les campagnes. Libanius les a dénoncés d’ailleurs avec vigueur. C’est ainsi que des bibliothèques furent incendiés, dont probablement celle d’Alexandrie. C’est ainsi que des temples furent détruits, des sanctuaires saccagés, des statues brisées, des textes philosophiques subissant même l’autodafé. Sur les Romains fidèles aux dieux de leurs pères s’abattra la colère d’un parti minoritaire prêt à tout pour s’imposer. Jusqu’au IXème siècle, nombreux décrets et capitulaires rappelleront l’interdiction faite de pratiquer les rites anciens et d’honorer les dieux. C’est la preuve que la religiosité populaire des Européens de l’antiquité n’était pas feinte et qu’elle a résisté autant qu’il aura été possible.
 
Même si aujourd’hui, en Europe, l’intolérance chrétienne a été considérablement affaiblie par les coups donnés par les philosophes au XVIIIème siècle, par les progrès de la science, par l’institution de principes démocratiques, le christianisme ne peut pas prétendre qu’il serait tolérant par nature. Il n’est donc pas crédible lorsqu’il dénonce dans l’islam ses propres travers. Si les non-chrétiens en Europe ne sont plus persécutés, c’est parce que l’Eglise n’est plus en mesure de le faire, qu’elle n’a plus les moyens de sa politique. Mais à la fin du XIXème siècle encore, un universitaire comme Ernest Renan se retrouva au tribunal en raison de sa biographie de Jésus, alors même que Renan ne prônait pourtant pas l’abandon du christianisme.
 
Quant à la question de la laïcité, il est incontestable qu’on prête à Jésus cette phrase célèbre, « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », idée qui sera reprise par Augustin d’Hippone. Mais cette laïcité là, qui n’est pas la laïcité « populaire » des Romains, à savoir la tolérance à l’égard des autres religions dans la mesure où elles respectent la loi commune, n’a jamais été appliqué. Au contraire, les empereurs chrétiens puis les seigneurs médiévaux se sont appuyés sur le christianisme pour justifier la soumission des citoyens à un seul chef ou encore le servage. C’était au nom de Dieu que le roi médiéval rendait la justice. Et de même, l’évêque de Rome, rebaptisé « pape », titre suprême du mithraïsme, chercha à disposer d’un véritable pouvoir temporel. En vérité, dans le christianisme, le spirituel commande au temporel, exactement comme dans l’islam, même si le temporel y trouve son compte.
 
Avec le christianisme, l’empereur puis le souverain trouve une nouvelle légitimité. Il devient ainsi le nouveau melekh, à l’instar de David et de Salomon. Il n’est plus un rex élu du peuple, comme Romulus. Il n’est plus un premier citoyen (princeps) comme l’était Auguste. Le césaro-papisme naît avec Constantin et n’a jamais cessé d’exister jusqu’à la révolution française. La personne du roi devient sacrée. S’en prendre à lui, c’est s’en prendre à Dieu, qui le protège. Seul le pape peut en l’excommuniant lui faire perdre cette protection. C'est bien le contraire absolu de toute laïcité, le rejet de toute conception démocratique du pouvoir.
 
Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)

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