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02/06/2013

FIGURES EUROPEISTES: GERARD DUSSOUY (2/2)

gérard dussouy,thomas ferrier,européisme identitaire,nation européenne[IDEOLOGIE EUROPEENNE]

LBTF: Les Etats « nationaux » ne sont-ils pas devenus aujourd’hui les geôliers des peuples ?

GD: La formule est raide. Mais, elle est juste dans la mesure où les Etats « nationaux » sont impuissants, chacun séparément, face aux forces du marché planétaire et qu’ils sont devenus les « relais » des instances mondiales (OMC, FMI), dont ils s’efforcent de faire appliquer les consignes. Ils sont incapables de promouvoir une politique alternative.

LBTF: Le souverainisme est à la mode. Qu’est-ce qui explique son (relatif) succès ? Le fétichisme « national » est-il une solution à la crise ?

GD: Face à la crise et aux multiples difficultés qui s’accumulent, et en raison de l’incapacité de l’UE de remplir sa mission (assurer la prospérité des Européens), le reflexe naturel de tous ceux qui sont en manque d’imagination politique est le retour en arrière.

La peur de l’avenir amène les hommes à se raccrocher à ce qu’ils connaissent, c’est à dire à ce qui, dans un contexte dépassé, a contribué à leur sécurité, plutôt qu’à innover.

LBTF: L’euroscepticisme n’est-il pas à terme amené à abandonner toute lutte contre l’immigration non-européenne au profit d’une vision néocoloniale suicidaire ? Le fait que le FN mette la question migratoire en sourdine au profit d’une attaque permanente contre toute idée de construction européenne n’en est-il pas le symbole ?

GD: On a du mal à suivre la politique extérieure de la France aujourd’hui. Faute de vouloir s’impliquer dans la construction européenne (refus systématique de la droite et de la gauche des plans conduisant à la supranationalité), mais incapable, en même temps, d’orienter la politique de l’UE, elle paraît, en effet, se retourner vers son champ de prédilection, l’Afrique. Le seul continent où elle se donne l’impression d’être encore une puissance. Mais pourra-t-elle, seulement, en soutenir le prix ?

Quant au parti extrémiste que vous citez, sa xénophobie anti-européenne et, surtout, sa germanophobie sont telles, qu’il n’est pas surprenant qu’il tienne désormais l’immigration extra-européenne pour un moindre mal. L’irrationnel conduit aux comportements politiques les plus contradictoires et les plus contreproductifs qui soient.

LBTF: Qu’est-ce qui fait selon vous que l’européisme authentique, que vous comme moi défendons, n’arrive pas à se faire entendre ?

GD: Comme je l’ai indiqué plus avant, il part d’une analyse réaliste et rationnelle de la réalité qui met en cause les préjugés nationaux, d’un côté, et les idéologies universalistes (socialistes comme libérales), de l’autre. Il a le plus grand mal à se faire entendre, car il est pris entre deux idéologies dominantes, l’une nationaliste, l’autre mondialiste. Il lui faut faire admettre, par ceux qui veulent bien écouter ses arguments, que le cycle des Etats-nation européens est achevé, d’une part, et que, d’autre part, les théories sur l’unité du genre humain et sur l’émergence d’une société mondiale (qu’elle soit socialiste ou libérale) sont des apories, sources de tous les maux dont nous souffrons et dangereuses pour notre survie.

Cependant, le nouveau contexte historique et le travail d’explication peuvent faire évoluer les choses, parce que les croyances sont contingentes. Les normes et les valeurs émergent et évoluent en fonction d’un processus systémique à la fois écologique (les relations entre les acteurs et leur environnement matériel), social (les relations entre les acteurs) et interne (les caractéristiques propres aux acteurs).

C’est pourquoi, à la lumière des désordres sociaux et sociétaux qui s’installent, et qui ne feront qu’empirer, la possibilité pour les européistes de contribuer à une révolution cognitive, c’est à dire à changer le paradigme ou la vision du monde à partir duquel se structure la société européenne, est réelle.

LBTF: Le parti américain est au pouvoir en Europe, tant au niveau des capitales nationales que de Bruxelles et de Strasbourg. Peut-on espérer triompher de lui, en s’appuyant par exemple sur la Russie ?

GD: Je ne sais pas si l’on peut aborder la question en ces termes. Parce que la problématique européenne se pose moins en termes de rapports internationaux, et de rivalité américano-russe en Europe, qu’en termes de blocs socio-idéologiques, de catégories de population opposées, de conflits potentiels entre classes dirigeantes et peuples, face à des choix de société et de civilisation. Néanmoins, vous avez raison de parler d’un parti américain dans le sens où les gouvernants européens sont incapables de se déterminer sans l ‘aval de Washington, et à plus forte raison de prendre des décisions qui pourraient contrarier les Etats-Unis.

Mais, dans le contexte très chaotique qui va s’installer dans un futur proche, au moins dans une partie du continent, il n’est pas absurde de penser que la construction de l’Europe pourrait se faire, ou plutôt reprendre, non plus d’Ouest en Est, c’est à dire à l’initiative des Occidentaux, dont la conception universaliste du monde aura été rejetée par les peuples en perdition, mais d’Est en Ouest, à l’initiative, ou avec le concours, de la Russie, l’une des dernières puissances européennes en état de marche (avec peut-être la Pologne, l’Allemagne, et certains Etats alpins). Et cela, parce que la Russie aura compris que son intérêt est de s’incruster dans l’Europe, avec laquelle elle partage son avenir, face au reste du monde.

LBTF: Que pensez-vous du principe de « nationalité européenne », reposant sur des critères de convergence et sur le ius sanguinis, qui permettrait ainsi de refonder un principe de citoyenneté qui a été dévoyé par les (anciens) Etats ?

GD: Dans le choix à faire entre le jus soli et le jus sanguinis, qui sont les deux critères à partir desquels la nationalité est acquise selon les différents pays européens, il est clair que le second est le seul à devoir être pris en considération, parce que le seul qui soit pertinent, dans l’attribution de la nationalité européenne.

En effet, et d’une façon générale, on est en droit d’écrire que le jus soli n’a plus de sens dans le monde d’aujourd’hui caractérisé par la mobilité extrême des individus, et rendue si aisée par les moyens de communication. Autant, dans le passé, compte tenu des difficultés à surmonter, on pouvait tenir l’installation d’une personne dans un pays pour un acte de foi dans celui-ci, autant maintenant, le nomadisme des hommes enlève toute valeur morale à ce même comportement, qui ne doit plus rien à la conviction.

Dans un espace où les hommes n’ont plus de repères, où ils peuvent changer de lieu de résidence sans rendre aucun compte, sans remplir la moindre obligation, il est évident que le jus sanguinis est le dernier refuge de la citoyenneté, européenne en l’occurrence.

LBTF: Dans votre ouvrage, vous évoquez la nécessité de disposer d’une langue unitaire, qui ne soit pas l’anglais. Vous proposez le latin. Nous prônons en revanche l’europaiōm ou « européen », qui n’est autre qu’une version modernisée du proto-indo-européen, langue-mère des Européens reconstituée par grammairiens et linguistes depuis deux siècles. Qu’en pensez-vous ?

GD: Au train où vont les choses, l’Europe aura bientôt une langue commune et qui sera l’anglais. Mais un anglais qui n’est plus une langue européenne, et dont on peut se demander s’il appartient encore aux Anglais. Ce qui n’est pas acceptable.

La question est donc de savoir quelle langue commune adopter pour surmonter l’énorme problème de communication que pose le plurilinguisme européen, au demeurant tout à fait légitime et à conserver. C’est pourquoi, j’ai proposé d’en revenir au latin, langue de la civilisation européenne par excellence, et qui fut longtemps pratiquée par toutes les populations éduquées d’Europe, qu’elles fussent d’origine latine, germanique, bretonne ou autre.

Je ne saurais me prononcer sur votre proposition n’étant ni linguiste, ni connaisseur de cette proto langue européenne modernisée. Cependant, le débat est ouvert et on ne peut l’évacuer. A partir de là, elle est à étudier.

LBTF: Si on définit la nation comme le regroupement de ceux de même ascendance, peut-on alors parler de « nation européenne » ? Ne peut-on pas considérer l’Europe comme une nation sans Etat, comme l’Italie d’avant Cavour et l’Allemagne d’avant Bismarck ? Reste alors à la doter de cet Etat, qui ne peut qu’être proche de celui dont vous êtes promoteur.

GD: La nation est une notion moins facile à définir qu’il n’y paraît, et qui peut prêter à bien des confusions. Chez les Romains, la natio a avant tout un sens ethnique. Sous l’Ancien Régime, en France, le terme conserve cette connotation et est assez proche du mot « patrie » (on parle de nation picarde ou de nation bourguignonne). La nation peut donc exister sans Etat. Et on a cet exemple de la nation polonaise qui a survécu à la disparition de son Etat (au 18° siècle), jusqu’à son rétablissement en 1919. Quant aux nations italienne et allemande, elles existaient culturellement de longue date. Mais, il aura fallu le Piémont et la Prusse pour qu’elles soient, chacune respectivement, rassemblées dans une même communauté politique, c’est à dire sous la forme d’un même populus, pour parler comme les Latins. La nation, comme on la connaît aujourd’hui, est donc un fait de puissance.

gérard dussouy,thomas ferrier,européisme identitaire,nation européenneDès lors, par rapport à votre interrogation, on peut considérer qu’il existe bien une « nation européenne » potentielle, en raison des ascendances communes et de l’unité civilisationnelle. Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, les différenciations internes l’ont largement emporté. Principalement à cause de l’absence de péril extérieur (les épisodes tels les Champs Catalauniques et Lépante furent bien trop rares et trop éloignés dans le temps pour provoquer une cristallisation de l’Europe). En revanche, les épreuves qui s’annoncent, et dont on sous-estime aujourd’hui la dureté, permettront, peut-être, l’émergence de l’Etat européen en mesure de rassembler, ou de fabriquer au moyen d’une trame fédérale indispensable, la « nation européenne » pluriculturelle préexistante.

[SYMBOLES EUROPEENS]

LBTF: Assumez-vous le drapeau de l’Union Européenne ? Ne pensez-vous pas qu’un drapeau qu’on ne brandit pas perd de sa force ?

GD: Pourquoi pas ? Mais il faut reconnaître qu’il est bien fade, et qu’il ne symbolise en rien l’Europe. Il pourrait être celui d’un club sportif. De toutes les façons, un drapeau ne vaut que par les sacrifices qui ont été faits en son nom.

LBTF: L’hymne européen dans sa version actuelle n’est pas chanté. Ne pourrait-on pas par exemple chanter son premier couplet, dans sa version originale ?

GD: J’avoue mal le connaître, et je n’ai pas d’opinion à ce sujet.

LBTF: Faut-il mentionner les « racines chrétiennes » de l’Europe dans des textes fondateurs ?

GD: Je ne le pense pas, bien que l’héritage chrétien ne soit pas contestable. Mais un Etat n’a aucune raison de se revendiquer d’une religion, même si les Américains ou les Arabes le font. A moins qu’il n’entende l’instrumentaliser.

LBTF: L’absence de « religion identitaire » pour les Européens, que déplorait Dominique Venner dans « Le choc de l’histoire », le christianisme étant une religion à vocation universelle, est-elle selon vous un problème ?

GD: Comme agnostique, l’idée de religion n’emporte pas mon adhésion. La déchristianisation de l’Europe ne serait pas un mal en soi, à mes yeux, si ce n’était qu’elle laisse le champ libre à une religion plus infantilisante et plus aliénante encore, l’Islam. Et, s’il a fallu lutter pendant plusieurs siècles pour laïciser les sociétés européennes, sans malheureusement se débarrasser de toutes ses scories universalistes, ce n’est pas pour succomber maintenant à cet obscurantisme là.

Le seul culte que j’admets est celui des ancêtres parce qu’il nous indique d’où l’on vient, et qu’il nous permet de rester en prise avec nos origines, qu’il est une façon de respecter les sacrifices accomplis, et qu’il désigne à notre postérité une route à suivre, par delà les errements individualistes souvent misérables.

LBTF: Gérard DUSSOUY, je vous remercie.

GD: C’est moi qui vous remercie, Thomas Ferrier, de m’avoir donné l’occasion de répondre à un certain nombre de questions essentielles pour ceux qui réfléchissent au devenir de l’Europe et de nos enfants.

ENTRETIEN AVEC GERARD DUSSOUY (PARTIE 2/2)

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