L’Etat européen, une nécessité historique
12/05/2013
Il faut remercier les éditions Tatamis pour la publication de l’ouvrage très stimulant de Gérard Dussouy, professeur émérite et géopoliticien, intitulé « Fonder un Etat européen », préfacé par l’européiste identitaire Dominique Venner.
Afin de ne pas heurter de manière trop directe une partie de son lectorat, Dussouy a choisi de sous-titrer son ouvrage de la mention « contre l’Europe de Bruxelles », une manière de se dissocier d’une construction européenne éminemment critiquable par bien des aspects mais dont on peut aussi espérer qu’elle aboutisse, adroitement subvertie par de sains principes, à cette République européenne fédérale que Gérard Dussouy appelle de ses vœux.
La représentation d’Europa par Eric Heidenkopf, dont le nom est déjà tout un symbole (« tête de païen »), qui sert d’illustration à l’ouvrage est en elle-même un programme. Elle a les traits d’une déité scandinave mais muni d’un casque d’hoplite, une lance et un bouclier sur lequel est figurée la chouette d’Athéna, telle qu’elle apparaissait sur la drachme athénienne et sur la pièce grecque d’un €uro. Lui prêter les traits de Minerve n’est pas innocent. C’est ainsi par exemple que Britannia fut représentée. Europa est donc de fait l’incarnation de la nation européenne, en même temps qu’elle représente la sagesse dont il faudrait que les Européens fassent preuve afin qu’ils s’unissent.
Dussouy a pleinement compris que le destin de l’Europe était dans son unité, dans la construction d’un véritable Etat européen. Il sait que notre avenir passe aussi par une politique ambitieuse vis-à-vis des Européens de l’Est, et notamment vis-à-vis de la Russie. Selon lui, « il est clair que l’avenir de l’Europe est à l’Est, surtout si l’on pense à une intégration à moyen terme de la Russie » (p 108). Audacieux, il ajoute même qu’ « il serait justifié d’envisager un déplacement de l’Europe vers le centre du continent ». Europolis n’a en effet de sens qu’au cœur du continent, entre l’Allemagne de l’Est, la Bohême-Moravie, l’Autriche et la Hongrie.
Pour lui, « l’Etat européen [est] la seule chance de survie politique (…) des peuples européens » (p 129). Cette analyse évidente à nos yeux, mais encore bien trop contestée aux yeux du plus grand nombre, surtout dans cette période de crise où les sirènes eurosceptiques sont à la mode, résulte d’un constat implacable. Dussouy ne tait aucun des maux qui rongent notre continent, la démographie véritablement en berne de nos pays, la submersion migratoire et islamique qui menace notre européanité, et l’incapacité de l’Union Européenne actuelle à proposer des solutions. Il n’est pas non plus dupe des « bons chiffres » de la natalité française, qui cache mal la part des domiens et des migrants aboutissant à ce résultat artificiel.
Prônant un « supranationalisme européen » (p 142), il ne voit pourtant pas l’Europe comme une nation ni même comme une nation en gestation, à l’image de l’Italie d’avant Cavour. Nous divergeons de lui sur ce point. A partir du moment où une nation regroupe ceux « nés d’une même lignée », l’Europe est bel et bien une nation, une nation sans Etat, ce à quoi Dussouy propose à juste titre de remédier. En revanche, sa condamnation d’ « Etats-Unis d’Europe », qui maintiendraient les anciens Etats dans leur géographie actuelle, est absolument justifiée. Sa « fédération de régions », ce que nous appelons euro-régions, est l’idéal, à partir du moment où on évite la balkanisation prônée par certains régionalistes.
La question de la langue commune est courageusement abordée. Dussouy prône le choix du latin (p 155), en référence à l’antique romanité. Je ne pense pas qu’on puisse le faire accepter aux Européens de langue germanique ou de langue slave, qui constituent la majorité des habitants de notre continent, et pas même aux Grecs modernes. Sans nier l’apport remarquable de la langue latine à notre civilisation, elle apparaîtrait comme un privilège accordé aux locuteurs de langue romane. Seul l’europaiōm, qui n’est autre qu’une version modernisée de la langue-mère des Européens, celle que les linguistes ont baptisée « proto-indo-européen », traiterait à égalité tous les grands groupes linguistiques de notre continent.
Dussouy, après avoir exposé les raisons de son refus d’une adhésion turque, ose enfin braver la bien- pensance en soutenant l’idée d’une intégration de la Russie à l’Europe unie, où elle a toute sa place. Il désavoue par ailleurs la théorie « eurasiste », présentée à juste titre comme un « leurre », et que prône un Douguine, soutenu par ses relais français islamotropes. Et l’auteur oppose un « patriotisme géographique » à la théorie fumeuse d’Habermas sur le « patriotisme constitutionnel » (p 166).
Sa conclusion est sans appel. C’est un appel au réveil européen, à sortir de la dormition que dénonce Venner. « La voie de salut (…) est dans la revendication et la réalisation de l’Etat européen fédéral et volontariste qui permettra aux Européens d’exister et de rester eux-mêmes. » (p 179)
L’avenir est donc bien cette alternative absolue entre l’Europe et la mort. Ευρώπη η θανάτος ! Dussouy nous invite à regarder en face cette réalité. C’est l’immense mérite de cet ouvrage brillamment argumenté et sans concession. Si nous divergeons d’avec l’auteur sur des points spécifiques et d’importance très relative (« nation » européenne, latin comme « langue commune »), le cœur de sa démarche est nôtre. Et à la différence de prétendus défenseurs d’une Europe unie qui tremblent à l’idée même que la Russie nous rejoigne, il sait que la clé de notre salut se trouve aussi à Moscou.
Enfin, s’il fustige l’Union Européenne, c’est pour ce qu’elle n’est pas, la matrice de la véritable Europe unie. Mais elle le deviendra, et grâce à des gens comme Gérard Dussouy. Malgré le ton pessimiste de l’ouvrage, à dessein, sa lecture offre en définitive un formidable message d’espoir et de courage politique. Lisez et faites lire Dussouy !
Thomas FERRIER (PSUNE)
Contre l’Europe de Bruxelles – Fonder un Etat européen, par Gérard Dussouy, Editions Tatamis, 180 pages, 14 € (port compris).
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