Esclavage et repentance ou la rançon exigée d'Hollande
12/05/2013
Ce 10 mai 2013, le lendemain de la fête de l’Europe, le président de la République française tenait un discours de repentance dans lequel il fustigeait la France pour avoir participé à la traite négrière. Par une simplification historique abusive, François Hollande alimente ainsi une hypermnésie orientée, qui accable une fois encore l’Europe et l’Europe seule. Louis-Georges Tin, président du CRAN, ne s’y est pas trompé puisque le même jour il décidait de porter plainte contre la Caisse des Dépôts et Consignations, qu’il accuse de disposer de fonds issus d’un dédommagement que la France avait reçu de Haïti pour prix de son indépendance. Il chiffre à 21 milliards d’€, selon un calcul d’actualisation imaginaire, le préjudice subi et demande à ce que notre pays rembourse cette « dette ». Les chômeurs français apprécieront.
Le député européen écologiste Jean-Jacob Bicep réclame quant à lui la mise en place d’une journée européenne consacrée aux victimes de la colonisation et de l’esclavage affirmant sans rire que « toute l’Europe en a profité ». On voit mal en quoi l’Irlande, colonie des Britanniques, aurait profité de la colonisation alors qu’elle était elle-même colonisée, ni en quoi les Etats d’Europe centrale et orientale, qui pour la plupart n’ont obtenu leur indépendance qu’en 1918, ou encore l’Islande qui ne l’a été qu’en 1945, auraient été bénéficiaires d’une politique qui, par ailleurs, n’a jamais bien au contraire enrichi les pays qui se lancèrent dans l’aventure coloniale, leur attachant en réalité un boulet économique.
Pour des raisons morales, l’esclavage était inacceptable, même s’il n’a enrichi qu’une poignée de marchands, une infime partie du peuple français, nation de paysans jusqu’au milieu du XIXème siècle. Rappelons que le servage n’a été aboli en France qu’en 1789 et ne l'a été en Russie qu’en 1861. Or un serf européen n’est rien d’autre qu’un esclave, un servus. Enfin, les ouvriers français et européens, ceux qui ont été avec les capitaines d’industrie les principaux responsables de la richesse de l’Europe moderne, ont connu un sort au XIXème siècle qui n’était en rien enviable. Je pense notamment aux mineurs français qui se sont tués à la tâche pour améliorer le sort de leurs enfants.
De même, la colonisation fut une erreur monumentale, tant morale qu’économique, sur laquelle les peuples européens ne furent jamais démocratiquement consultés. Il ne faut jamais oublier le combat de George Clémenceau contre cette folie dans les années 1880, mais aussi ce mot lucide du journaliste Raymond Cartier à la fin des années 50 : « Le colonialisme a toujours été une charge en même temps qu’un profit, souvent une charge plus qu’un profit. » On ne peut pas dire que l’Europe s’est enrichie, pas même les pays colonisateurs, bien au contraire.
Revenons sur la question même de l’esclavage que François Hollande dénonce comme fondée sur « la couleur de la peau ». Cette assertion également doit être discutée.
L’esclavage a existé dans toutes les sociétés humaines, sous une forme ou sous une autre, et sans exception jusqu’à une époque relativement récente. Chez les Grecs et les Romains, tout comme chez les Gaulois et les Germains d’ailleurs, elle reposait sur l’asservissement des prisonniers de guerre à l’issue des nombreuses batailles que connaissaient les anciens. Les esclaves étaient généralement de même souche que les maîtres et pouvaient parfois bénéficier de l’affranchissement si leurs mérites paraissaient évidents. Cet esclavage a aussi existé aux USA car au XVIIIème siècle, les blancs endettés devenaient les esclaves de leurs débiteurs, ce qu’on oublie généralement de rappeler.
Bien que le christianisme ait prétendu émanciper les esclaves, l’esclavage a existé sous deux formes. Entre chrétiens, les paysans libres furent rapidement soumis à la domination des seigneurs, devenant des esclaves qu’on a appelés serfs. Et quant aux européens demeurés païens, avec l’approbation de l’Eglise et des rois carolingiens, s’ils étaient capturés, ils étaient vendus aux Arabo-musulmans, devenant eunuques pour les hommes et hétaïres de harem pour les femmes.
Dans une Europe devenue intégralement chrétienne, l’esclavage officiel fut finalement interdit, alors que dans le monde musulman, la traite des esclaves africains a continué, de même que l’esclavage intra-africain. Les royaumes africains, tout comme jadis les cités grecques, guerroyaient sans cesse. A chaque fois, ils faisaient des esclaves, qu’ils conservaient pour eux ou qu’ils vendaient à des marchands, que ceux-ci soient arabes ou européens.
Au XVIème siècle, les colonies européennes des Amériques cherchaient à bénéficier d’une main d’œuvre servile. Les amérindiens ont d’abord été mis à contribution mais leur santé fragile ne correspondait pas au besoin. Pour des raisons de transport et de contexte, il était inenvisageable de faire venir des esclaves d’Inde ou de Chine. C’est donc à des esclaves noirs, achetés aux royaumes africains, que l'on fit appel. Il existait une offre et une demande, et des marchands notamment européens se sont prêtés à ce commerce immoral. Ceux qui en ont bénéficié n’étaient pas les Européens d’Europe, à l’exception des marchands évoqués, mais des colons européens d’Amérique, ceux qui allaient devenir indépendants et fonder le Brésil et les Etats-Unis d’Amérique.
Que certains aient ensuite voulu justifier l’esclavage des noirs par des théories racistes est certes incontestable, mais cela n’a pas été la cause première de cette traite. Et en outre, cette racialisation de l’esclavage n’a pas été le propre de l’Europe mais a été tout autant en usage chez les Arabo-musulmans. Il n’y a pas lieu de dénoncer l’un si on ne dénonce pas dans le même temps l’autre. Enfin, rappelons que jusqu’au XIXème siècle, des européens blancs étaient faits esclaves, enlevés à leurs familles, par l’empire ottoman, afin de servir de janissaires, sans même évoquer la traite des blanches commise par les Barbaresques. Devrions-nous exiger de la Turquie et de l’Algérie moderne un lourd dédommagement à ce sujet ?
Reste la question de l’esclavage dans les Antilles françaises, esclavage que la Révolution française avait abolie, et que Napoléon Bonaparte a honteusement rétabli. Haïti est parvenu à obtenir l’indépendance et il aurait été juste de ne pas se limiter en 1848 à abolir à nouveau l’esclavage en Guadeloupe et en Martinique. Il aurait fallu aller au bout du raisonnement et accorder l’indépendance à ces territoires plutôt que de les maintenir sous notre drapeau. Mais rien n’interdit de le faire maintenant.
Il ne faut pas être dupe des revendications de certains qui prétendent s’exprimer au nom des descendants d’esclaves. Cela leur sert d’alibi pour d’autres revendications, notamment pécuniaires, et pour exiger de l’Europe qu’elle ouvre sa porte aux migrants africains, exprimant à leur égard une solidarité qu’on a tendance à dénoncer lorsqu’elle est le fait d’Européens à l’égard d’autres Européens. Le député Bicep le dit sans ambages, « c’est reconnaître que l’histoire des descendants d’esclaves et des anciennes colonies fait partie de la mémoire collective européenne », car « c’est leur permettre de trouver pleinement leur place dans l’Europe d’aujourd’hui ».
La seule position saine vis-à-vis de l’esclavage a été celle d’Abraham Lincoln, célèbre émancipateur des noirs américains, et homme d'une écrasante lucidité. Ainsi affirmait-il qu’il « proteste contre la fausse logique en vertu de laquelle, du moment que je ne veux pas prendre une femme pour esclave, je dois nécessairement la prendre pour épouse. Je puis me passer d’elle dans les deux cas. » L’Europe a aboli l’esclavage, et avait toutes les raisons morales de le faire. En 1848, la République a fait ce qu’elle devait en la matière. Mais cela ne signifie pas qu’anciens maîtres et anciens esclaves aient un destin commun, de même que ce n’est pas normal que les anciens pays colonisateurs aient conservé des liens avec les anciens pays colonisés.
Le Monde 2 du 10 janvier 2009 rappelait ainsi que « Lincoln soutint un projet de loi prévoyant le rapatriement des Noirs américains en Afrique », considérant ainsi que si l’esclavage était inacceptable, sa suppression n’impliquait pas nécessairement un « vivre ensemble ». Et ce n’est pas parce que certains européens, une minorité marginale, se sont enrichis par l’esclavage ou par la colonisation, au détriment de l’intérêt du plus grand nombre, que les Européens auraient une dette à l’égard des descendants d’esclaves ou de colonisés.
Par ailleurs, en plus de l’hypermnésie auto-flagellatrice à laquelle nos dirigeants veulent nous soumettre, contre ce bourrage de crâne qui voudrait que nous soyons tous des « descendants de salauds », et qui relève d’une europhobie crasse, il faut dénoncer cette posture victimaire qui consiste à en permanence exiger d’autrui qu’il remédie à ses propres insuffisances au nom d’une culpabilité instrumentalisée. La situation actuelle d’Haïti, n’en déplaise à Louis-Georges Tin, ne doit rien à l’action de la France, passée et présente. Et c’est la même chose en ce qui concerne les anciennes colonies européennes en Afrique.
Emancipons les derniers confetti de l’empire, décolonisons vraiment en renonçant à toute Françafrique, en bâtissant au contraire avec nos compatriotes européens la République européenne qui permettra à notre continent de briller à nouveau au firmament au cours du XXIème siècle ! Ceux qui veulent nous enfermer dans un passé dont ils ne veulent pas « tourner la page » nous font à notre tour porter des chaînes, celles de la repentance. Refusons-les.
Thomas FERRIER (PSUNE)
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