Faut-il dédiaboliser le Front National ?
31/05/2014
Depuis 2011 et l’accession à la tête du FN de Marine Le Pen, celle-ci est la promotrice d’une démarche de dédiabolisation, rompant avec la dialectique paternelle, afin de mettre fin au « cordon sanitaire » dont souffre sa formation politique, et accéder ainsi à des responsabilités. A la différence de la « dédiabolisation » version Mégret, qui était une stratégie, Marine Le Pen entreprend ce processus parce qu’elle ne veut pas être porteuse d’un message idéologique qu’elle ne partage pas. Sa volonté de « troquer » la lutte contre l’immigration, sous-entendue « extra-européenne », pour un souverainisme pur et dur doublé d’un « patriotisme » institutionnel, n’est pas non plus tactique. Cela relève au contraire d’une forme de sincérité, sans doute liée à une certaine incurie.
Néanmoins, cette « dédiabolisation » a atteint une limite, à savoir que ni la « gauche » ni la droite n’entendent mettre fin à cet ostracisme, accusant ce parti de tous les maux, et notamment de représenter une idéologie extrémiste, raciste et/ou fasciste. Même si l’UMP a choisi d’abandonner le front dit « républicain » pour un « ni PS, ni FN », ce qui le différencie de l’anti-fascisme incantatoire du PS, il maintient une solide distance de sécurité.
En vérité, ce que l’UMP et le PS condamnent, ce n’est pas le programme du FN mais un crypto-programme imaginaire qui ne s’y trouve pas, un « programme » qui en revanche reçoit l’approbation de millions d’électeurs à qui on a expliqué que le FN n’était pas un parti « comme les autres ». Dédiaboliser le FN c’est le prendre au sérieux tel qu’il est. C’est analyser sans passion, avec objectivité, son programme. Ce n’est pas lui prêter des intentions malveillantes.
Quel serait l’avantage pour l’UMP de procéder à une dédiabolisation aboutie ? Il ôterait au FN l’essentiel de ce qui fait son succès, sa dimension « sulfureuse ». Si le FN a réussi à obtenir 25% des voix aux élections européennes de 2014, c’est d’abord parce que ses électeurs se servent de ce vote pour envoyer un signal d’alarme et de colère aux autres partis. C’est parce qu’ils pensent sincèrement, puisque les media l’ont affirmé, que le FN est une alternative au système en place et qu’il souhaiterait entreprendre une politique de reflux migratoire. Le FN n’est donc pas un objet politique comme les autres puisqu’il sert de fantasme aussi bien à ses adversaires qu’à ses partisans.
A partir du moment où le FN serait traité comme les autres, les électeurs le verraient sous son vrai jour et se rendraient bien compte que ce parti n’est pas crédible tant du point de vue du programme économique que des qualités intrinsèques des individus à sa tête. En fait, la dédiabolisation du FN signifierait la mort à court ou moyen terme de ce parti. Il ne vit que grâce à ses adversaires. On comprend bien pourquoi l’UMP aurait intérêt à cette rupture, car elle lui permettrait de ne plus reculer devant la « gauche » et d’avoir à droite une réserve de voix pour le second tour. En outre, alors que la question de l’immigration a été tabouisée, sa dénonciation ayant été laissée à l’usage exclusif du FN, la dédiabolisation permettrait à la droite de reprendre à son compte ce thème.
Pour le PS, on comprend bien pourquoi cette dédiabolisation serait funeste. Elle ferait tomber le rôle de diviseur de la droite que Mitterrand a accordé au FN. La disparition du FN en outre ne supprimerait pas les causes de ce vote, qui cherchera à s’exprimer ailleurs. Cela pourrait offrir une opportunité pour l’émergence d’un courant politique réellement alternatif au système en place sur les questions d’identité et d’Europe, un courant de défense des Français et Européens de souche, par exemple, qui s’opposerait frontalement à la « gauche » mondialiste, sans être complice des victoires de cette même « gauche » par des attaques contre la droite, comme le fait le FN de Marine Le Pen.
C’est bien la peur d’un tel courant qui rend pour le PS un parti comme le FN précieux. Cela lui permet de stériliser dans le débat toutes les questions d’identité et d’immigration, et de maintenir de 15 à 25% des électeurs dans une voie politique de garage. En laissant le « monopole du réel » au FN, la droite, de peur d’être diabolisée à son tour, fait le succès de ce parti.
Un Front National réellement dédiabolisé, cela n’intéresse aucun électeur. Identique aux autres partis, dont il partage fondamentalement les travers, mais sans la compétence réelle de gouvernement, il perdrait tout crédit. C’est pourquoi la stratégie de Marine Le Pen est une erreur majeure du point de vue de son parti. Elle a eu la chance que droite et « gauche » maintiennent ce blocage et cette injustice a été le carburant de ses victoires électorales. Quand un électeur veut sanctionner les ténors de la droite ou de la « gauche » au pouvoir, quand il veut manifester sa colère contre une immigration de moins en moins maîtrisée, il vote FN. Il est alors sûr de voir la mine déconfite des dirigeants du PS et de l’UMP et, à défaut que son message soit entendu, il aura au moins eu le sentiment de l’avoir transmis.
Il n’est pas vrai que le Front National bénéficie d’un « vote de conviction » parce que ses électeurs ne votent pas pour le programme du FN mais pour ce qu’ils croient y trouver et qui en vérité n’y est pas. 88% de ses électeurs ont voté pour le FN principalement en raison de leur opposition à l’immigration, pas à cause de l’€uro ni de la volonté de ce parti de faire quitter l’Union Européenne. Or, « Marine » a interprété ce résultat comme un rejet de l’Europe et dans son discours de victoire n’a pas évoqué une seule seconde la problématique migratoire. Le souverainisme assumé représente moins de 5% de l’électorat. Si les électeurs du FN le jugeaient tel qu’il est, et non tel qu’ils croient le voir, par la faute des media et des autres partis politiques, le FN aurait réellement fait moins de 5%, mais cela aurait laissé le champ libre à des formations réellement identitaires.
Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)
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