FIGURES EUROPEISTES: GERARD DUSSOUY (1/2)
02/06/2013
Gérard DUSSOUY est professeur émérite à l’université de Bordeaux, spécialiste de la géopolitique, et partisan déclaré d’un européisme authentique. Il est l’auteur en 2013 de « Fonder un Etat européen », aux éditions Tatamis.
LBTF: Gérard DUSSOUY, bonjour.
LBTF: Gérard DUSSOUY, bonjour.
GD: Bonjour.
[INSTITUTIONS ET POLITIQUE]
LBTF: Votre ouvrage expose d’une manière extrêmement pédagogique l’enjeu européen. Pourquoi personne n’a-t’il osé aussi explicitement défendre l’Europe politique ?
GD: La politique et la rationalité ne font pas bon ménage. Or, le discours en faveur de l’Europe politique est un discours éminemment réaliste et rationnel qui suppose des efforts intellectuels, une réflexion globale et l’acceptation de mises en cause matérielles et symboliques. On ne peut pas construire une carrière politique dessus. Il va à l’encontre des représentations et des mythes nationaux récurrents, des contes de fée idéologiques (sur le changement social et sur le monde à venir) qui embrouillent les esprits. Mais qui permettent aux hommes politiques d’accéder au pouvoir, et de s’y maintenir le plus longtemps possible, en réfutant la réalité et en misant sur des comportements électoraux conformistes et routiniers.
[INSTITUTIONS ET POLITIQUE]
LBTF: Votre ouvrage expose d’une manière extrêmement pédagogique l’enjeu européen. Pourquoi personne n’a-t’il osé aussi explicitement défendre l’Europe politique ?
GD: La politique et la rationalité ne font pas bon ménage. Or, le discours en faveur de l’Europe politique est un discours éminemment réaliste et rationnel qui suppose des efforts intellectuels, une réflexion globale et l’acceptation de mises en cause matérielles et symboliques. On ne peut pas construire une carrière politique dessus. Il va à l’encontre des représentations et des mythes nationaux récurrents, des contes de fée idéologiques (sur le changement social et sur le monde à venir) qui embrouillent les esprits. Mais qui permettent aux hommes politiques d’accéder au pouvoir, et de s’y maintenir le plus longtemps possible, en réfutant la réalité et en misant sur des comportements électoraux conformistes et routiniers.
De fait, les partis traditionnels, de droite et de gauche, ne croient à la possibilité d’une Europe politique, ou ils n’en veulent pas, et ils entretiennent les opinions publiques dans leur scepticisme. Dans cette optique, les médias ont tout intérêt à étouffer le discours européiste, réaliste et rationnel, qui contredit ces derniers, et à donner la parole aux groupements souverainistes qui font dans l’imprécation, mais qui sont sans solution.
Néanmoins, l’efficience d’un discours dépend aussi du contexte dans lequel il est prononcé. On peut penser que celui qui se dessine sera plus favorable à l’Europe politique. Après le figement de la Guerre froide (qui interdisait toute idée d’émancipation de l’Europe) et les illusions du nouvel ordre marchand mondial (dont on commence à peine à prendre la mesure du désastre qu’il entraîne pour les nations européennes), des échéances se profilent qui ne laisseront pas d’autre alternative qu’entre sa réalisation ou le chaos et la misère. Alors, gageons que nécessité et pédagogie combineront leurs effets salutaires.
LBTF: Quand on lit de prétendus « fédéralistes européens » comme Daniel Cohn-Bendit, on a l’impression que l’Europe dont ils parlent est un objet théorique, sans identité, sans racines, sans histoire. Ne sont-ils pas alors les meilleurs alliés des souverainistes.
GD: Les « fédéralistes européens » ne sont pas des européistes, au sens où il s’agit de penser une Europe souveraine et décomplexée, libre de ses choix politiques et sociétaux, mais des mondialistes, des cosmopolites. L’Europe en soi, avec son histoire, sa civilisation, et les intérêts spécifiques de ses peuples ne les intéressent pas. Ils ne voient dans l’Union européenne qu’une zone de libre-échange, préfiguration de ce que doit devenir le monde entier, quitte à ce que les Européens en fassent les frais, compte tenu des disparités considérables qui séparent les différentes sociétés du globe. Dans cette démarche, José Barroso, le président irresponsable de la Commission, n’entend-il pas réaliser avec les Etats-Unis une zone de libre-échange transatlantique dont les attendus iront au-delà des recommandations de l’Organisation Mondiale du Commerce ?
Il tombe sous le sens que les conséquences sociales catastrophiques de la politique économique de l’UE fait des « fédéralistes européens » les alliés objectifs, comme auraient dit les marxistes à une époque, de ceux qui, par désarroi ou par nostalgie, s’énoncent souverainistes, et ne peuvent maîtriser leurs affects.
LBTF: Une erreur majeure des prétendus européistes est de laisser aux souverainistes le « monopole du réel », refusant de prendre en compte la colère, la frustration, l’angoisse des Européens vis-à-vis de phénomènes mondialisés, comme le capitalisme international, l’islamisme ou l’immigration non-européenne. Quel discours devrait-on selon vous opposer aux europhobes ?
GD: Le problème ici, est que tous autant qu’ils sont, les « Bruxellois » ou autrement dit la sphère dirigeante de l’UE, d’un côté, et les souverainistes, de l’autre, ont perdu le sens du réel. Les premiers, parce qu’ils courent après leur rêve d’un monde irénique, d’une humanité totalement intégrée et débarrassée de tous les rapports de force. En dépit du fait que leur politique met en péril l’existence même des sociétés et des cultures européennes. Les seconds parce qu’ils ne veulent pas comprendre que le repli national est, face aux dérives et à l’aveuglement de l’UE qu’ils dénoncent à juste à titre, une impasse. Ils n’ont pas pris conscience des changements intervenus dans les rapports de puissance mondiaux. Il faut leur montrer que, par exemple, seul un Etat européen serait capable de mettre à la raison, par les mesures de rétorsion nécessaires et adéquates, les grands financiers ; ou encore, de s’opposer efficacement à l’expansionnisme musulman, lequel est, à la fois, démographique (par l’émigration), religieux (par le prosélytisme) et financier (par l’investissement).
LBTF: Vous évoquez la nécessité d’un « parti européen révolutionnaire », parti pilote qui permettrait d’engager un processus politique en vue d’une république européenne. A quoi devrait-il ressembler selon vous ?
GD: Aucune organisation politique, aucun parti politique, pas même dans un seul des pays de l’Union européenne, n’est porteur aujourd’hui du projet de l’Etat européen. Tous les partis, nationaux par essence, sont frappés par le tropisme électoral et par une absence patente de vision de l’avenir.
La prise de conscience européenne, susceptible de légitimer et d’engager le processus d’unification, nécessite donc l’émergence d’un acteur politique révolutionnaire en ce sens qu’il transcenderait les clivages nationaux en termes de représentation du monde, d’objectifs politiques et de méthode d’action.
Supranational par vocation, cet acteur (parti, réseau, réseau de réseaux) doit trouver les moyens d’européaniser les débats politiques en faisant ressortir l’identité européenne des enjeux de toutes natures, des risques encourus. Ce qui n’est pas difficile quand on observe les émeutes ethniques qui frappent les grandes villes européennes, ou quand on recherche les causes de la crise économique et sociale qui atteint, à des degrés divers, les salariés européens. Les remèdes ou les solutions ne peuvent être, tout le monde le sait, que communautaires.
L’acteur européiste doit se concevoir comme plurinational dans son action (des thématiques communes et des actions similaires sont à mener dans un maximum de pays européens) et multinational dans son implantation en Europe (il doit exister partout où il le peut, sous des formes diverses et variées).
LBTF: Une assemblée européenne constituante par auto-proclamation du parlement européen, serait-ce une bonne méthode pour faire naître l’Etat européen que vous appelez de vos vœux ?
GD: Ce scenario me semble particulièrement optimiste. Mais il serait idéal. Il suppose qu’une majorité de parlementaires européens soient acquis aux idées européistes.
LBTF: Si un européisme identitaire émergeait à l’échelle d’un seul état européen, mais pas à l’échelle de l’Europe entière, ne risquerait-il pas d’être écrasé ?
GD: Le risque existe effectivement, même pour l’un des plus puissants Etats européens. C’est pourquoi, si cet Etat entend jouer le rôle de « Piémont de la nouvelle Europe », il lui faut des relais dans les autres Etats, afin de ne pas demeurer isolé et de pouvoir s’unir vite avec un ou quelques autres Etats.
Votre question amène à souligner la nécessité de cette organisation européiste supranationale, prête à éclairer les opinions publiques, à l’instant esquissée.
[EUROPE ET FRONTIERES]
LBTF: Qu’est-ce qu’un européen ?
GD: C’est un être humain dont la filiation européenne ancestrale est prouvée.
LBTF: Dans votre ouvrage, vous prônez à terme l’intégration de la Russie dans l’Europe unifiée, idée à laquelle nous sommes très favorables. Mais qu’en serait-il par exemple du Caucase ?
GD: Il faut rappeler que le Caucase représente pour la Russie sa « frontière naturelle » méridionale. Celle qui la sépare et la protège du monde moyen oriental. Et l’acquisition de ce rempart naturel a été le résultat d’une politique tsariste de longue haleine. L’éventuelle adhésion de la Russie à l’Europe unie ne changerait rien.
Il faut ajouter que les deux Etats de Transcaucasie, l’Arménie et la Georgie, ont aussi leur place dans une Europe, dont ils sont des « postes avancés » aux portes de l’Asie centrale.
LBTF: L’islam, balkanique et caucasien, est-il compatible avec l’adhésion à l’Union Européenne, y compris à la version que vous prônez ?
GD: Sans doute, mais à la condition d’une laïcisation complète, achevée (ce qui ne fut pas le cas dans l’ancienne Union soviétique).
LBTF: La Turquie la plus européenne n’est-elle pas celle qui refuse de rejoindre l’Union Européenne ?
GD: Je suppose que vous faites allusion à la région d’Andrinople, qui a peut-être intérêt à demeurer dans un « entre-deux ».
LBTF: Le Royaume-Uni peut-il faire partie de cette République Fédérale Européenne ?
GD: En théorie, cela ne pose pas de problème puisque l’appartenance à un éventuel Etat européen repose sur l’adhésion à ses valeurs et à sa politique. En pratique, en ce qui concerne le Royaume-Uni, compte tenu des sacrifices symboliques (monarchie) et des révisions politiques (relation spéciale avec les Etats-Unis) à faire, ou des obstacles psychologiques à surmonter (estime de soi), l’hypothèse apparaît bien incertaine, très douteuse.
Toutefois, rien n’est définitif. La recomposition ethnique de la population britannique, avec la décomposition inhérente de la nation anglaise, pourrait modifier l’attitude des Anglais, Gallois et Ecossais dans le sens d’une plus grande solidarité avec les autres Européens.
ENTRETIEN AVEC GERARD DUSSOUY (PARTIE 1/2)
5 commentaires
LBTF: Qu’est-ce qu’un européen ?
GD: C’est un être humain dont la filiation européenne ancestrale est prouvée.
-Et toc, Thomas!
Salutations
Pourquoi "toc" ? Cette formule très travaillée repose sur la même conception que celle que je défends.
Ça me rappelait simplement une vieille discussion sur l'attribution de la nationalité façon Périclès, disons que la définition de monsieur Dussouy est moins restrictive que la tienne, me trompé-je?
@ Samy
Les parents font partie des ancêtres. Sa définition peut être lue d'une manière plus ou moins restrictive sans doute, mais la formule est très subtile.
Disons que c'était simplement une manière de te taquiner, mais oui la formule est très subtile et elle me convient tout à fait!
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