L’esprit révolutionnaire : légitimité vs légalité
28/04/2013
Comment définir une personnalité ou un parti révolutionnaire ? Comment distinguer celui qui ambitionne d’être « calife à la place du calife » et celui qui cherche à mettre fin, purement et simplement, au « califat » ?
Un non-révolutionnaire, même s’il peut utiliser une phraséologie apparentée à différents phénomènes historiques révolutionnaires antérieurs, admet et reconnaît le pouvoir auquel il aspire. Ainsi, celui qui veut être président de la république, même s’il est fondamentalement opposé au titulaire du mandat en question, préfèrera que celui-ci reste en fonction le temps de sa mandature plutôt que de voir la fonction affaiblie par une démission anticipée par exemple.
Cela explique aisément pourquoi aucun responsable politique de premier plan, qu’il soit issu d’un parti politique modéré ou d’un parti plus radical (Front de gauche, Front national), n’a appelé à la démission du président en exercice, se limitant à demander la dissolution de l’assemblée nationale et la convocation de nouvelles élections anticipées. Or, avec 24% d’opinions favorables dans le dernier sondage BVA/Le Parisien, et une opposition de plus en plus massive, il est permis de s’interroger sur le maintien d’un président qui a visiblement perdu toute légitimité, en moins d’un an, et qui a été élu sans brio dans un contexte où son prédécesseur était rejeté par de nombreux citoyens et en ayant fait des promesses démagogiques qu’il n’était nullement en mesure de réaliser.
En revanche, un mouvement authentiquement révolutionnaire n’hésiterait pas à remettre en question non seulement la légitimité du président en exercice et de l’assemblée, mais celle des lois qui auraient été votées. Prenons l’exemple du « mariage pour tous ». Plusieurs maires ont fait savoir que, même si la loi est votée et validée par le conseil constitutionnel, ils refuseront de l’appliquer et ne marieront pas des homosexuels. Pour le moment, selon un sondage récent, 43% des français soutiendraient les maires qui agiraient en ce sens, mais 57% d’entre eux en revanche condamnent ce type d’actions, exigeant des élus qu’ils respectent la loi. Cela pose la question du rapport à la loi, puisque une loi illégitime doit être considérée comme sans valeur.
Un parti systémique, même s’il est opposé à un tel mariage, aura beaucoup de mal à oser annuler une loi votée, dès que cette dernière est présentée comme un « progrès » ou comme un acquis. Et il est de coutume notamment en France de ne pas revenir en arrière lorsqu’un nouveau droit est consenti. C’est pourtant contraire aux principes révolutionnaires qui ont animé les hommes de 1789, qui ont complètement aboli les privilèges en même temps qu’ils détrônaient le roi, devenu d’abord monarque constitutionnel puis perdant littéralement la tête. En outre, même s’il a finalement le courage d’abroger la loi, il n’en annulera nullement les conséquences et s’interdira toute mesure rétroactive.
Ainsi le FN a annoncé qu’il annulerait la loi sur le « mariage pour tous », en croyant bon d’ajouter l’expression « sans rétroactivité », précisant ainsi que ceux qui seraient mariés selon cette loi le resteraient. De même, l’UMP a expliqué qu’il convertirait le « mariage pour tous » en « union civile », se limitant donc à une mesure cosmétique, parce qu’une union civile et un mariage devant le maire, c’est exactement la même chose. En vérité, même cette mesurette, l’UMP hésite à la prendre et comme le Parti Populaire en Espagne, à peine élu, il oubliera illico presto cette promesse contextuelle. Le FN ne ferait d’ailleurs pas différemment, vu le peu d’entrain de sa cheftaine à prendre position sur ce sujet.
En revanche, un parti révolutionnaire pour qui le « mariage pour tous » n’a pas de sens ne saurait se contenter d’annuler une loi pour l’avenir mais ambitionnerait de revenir réellement en arrière, et d’annuler aussi dans le passé les effets de cette loi devenue caduque. Les révolutionnaires de 1789 ont supprimé les lois de la monarchie, pouvoir légal mais considéré comme illégitime, de même que le pouvoir léniniste a annulé les dettes qu’avait l’empire russe à l’égard des autres pays occidentaux.
Un autre type de révolution est celui « par les urnes ». Dans ce cadre là, les révolutionnaires se soumettent à la loi officielle mais tout en la contestant. Ils aspirent en revanche à l’abolir de manière rétroactive. C’est une révolution davantage stratégique, qui respecte les formes tout en ne cédant rien sur le fond. Pour eux, « tout ce qui a été fait, peut être défait », y compris sur des questions sensibles comme les règles en matière de nationalité ou des droits concédés à une minorité.
Le révolutionnaire ne se contente pas de revendiquer le pouvoir tel qu’il est défini par ses adversaires qui en sont détenteurs, il revendique le fait de redéfinir le pouvoir futur. Il ne se limite pas à une contestation de forme concernant les institutions dont il aspire au renversement, mais conteste le fond, les assises mêmes, y compris idéologiques, sur laquelle elles se sont bâties.
Qu’il ambitionne de faire la révolution par la rue ou par l’urne, qu’il souhaite agir de l’intérieur par l’application du principe de subversion ou de l’extérieur en bénéficiant du soutien populaire, il n’accepte pas ce qui a été réalisé ou voté avant lui, même s’il peut feindre dans un premier temps de s’y soumettre, en attendant des jours meilleurs. Ainsi, le principe de l’auto-proclamation constitutionnelle, qui n’est ni plus ni moins qu’un coup d’état démocratique, repose sur la légitimité de ses acteurs, une légitimité qui ne peut être conférée que par le peuple souverain, car c’est la plus puissante. Un pouvoir royal, sauf aux époques reculées, repose par nature sur la légalité mais non sur la légitimité.
C’est ainsi qu’il faut s’interroger sur la nature des institutions françaises, dont on affirme qu’elles seraient républicaines, sous la Vème république, malgré le pouvoir exorbitant, en apparence du moins, du président. Que ce dernier soit incapable de véritablement gouverner, et surtout d’être en mesure d’agir concrètement sur les problèmes économiques, est un autre problème. D’ailleurs, moins il peut agir sur le réel, se limitant alors un pouvoir de nocivité et notamment à des mesures sociétales, flattant telle ou telle communauté, tel ou tel lobby, selon les circonstances, et bénéficiant d’une relative mansuétude ou partialité des media, plus il tient à son maigre pouvoir symbolique.
La question est donc de savoir si le fait d’élire un homme comme président, pour un mandat de cinq ans, justifierait que ce dernier reste coûte que coûte en place alors même qu’il est rejeté par la majorité des citoyens. Cela s’apparente bien à un pouvoir de nature monarchique, inamovible pendant une certaine durée en tout cas. Qu’il n’y ait aucun moyen, à l’exception d’un très complexe recours à une haute cour, en bénéficiant du soutien de 2/3 des députés et sénateurs, cas rarissime sur le principe qui ne pourrait concerner qu’un président ayant manifestement perdu tout discernement, de se séparer d’un chef de l’état dont le peuple ne veut plus, est en démocratie anormal.
Le général De Gaulle, qui a initié ce mode de fonctionnement institutionnel, a toujours veillé à engager sa responsabilité sur les lois qu’il proposait et a cherché le plus souvent possible par le biais du référendum à tester l’opinion. C’est lorsqu’il a perdu celui sur la refonte du Sénat qu’il a démissionné, estimant qu’il ne bénéficiait plus de la confiance du peuple. Or, depuis de nombreuses années, les chefs d’état et de gouvernement n’ont recours que rarement au principe du référendum et jamais en outre n’engagent leur mandat. Ils ne respectent donc pas dans l’esprit les principes qui ont été mis en place depuis 1958. A défaut d’introduire le principe du mandat impératif, dont l’application n’est pas aisée, on pourrait attendre de nos gouvernants qu’ils aient le courage de le remettre en jeu et de ne pas s’entêter à rester au pouvoir lorsque le peuple souhaite fondamentalement leur départ.
Seul De Gaulle a eu, par un souci constant d’être au service des intérêts du peuple et à l’écoute de celui-ci, le courage de démissionner. Le régime présidentiel à la française n’a de sens qu’en souscrivant à cette logique, car sinon il vaut mieux à défaut un système parlementaire, aussi peu gouvernable soit-il, plutôt que de céder à des vestiges de monarchie, une monarchie décadente qui plus est. Que la Pompadour du président vive aux frais du contribuable n’est que le symbole le plus manifeste d’un régime qui n’a plus de républicain que le nom, et pour qui la démocratie a été remplacée par l’oligarchie, celle des partis, des lobbies et des media.
A partir du moment où un pouvoir est illégitime, ce qu’il entreprend est sans valeur et disparaîtra avec lui. Les mesures prises par un système à l’agonie ne durent que jusqu’à son extinction. Le révolutionnaire entend instaurer un nouveau système, quand les populistes de base, qui ne sont révolutionnaires qu’en paroles, ne cherchent qu’à hériter d’un corps putrescent.
Un non-révolutionnaire, même s’il peut utiliser une phraséologie apparentée à différents phénomènes historiques révolutionnaires antérieurs, admet et reconnaît le pouvoir auquel il aspire. Ainsi, celui qui veut être président de la république, même s’il est fondamentalement opposé au titulaire du mandat en question, préfèrera que celui-ci reste en fonction le temps de sa mandature plutôt que de voir la fonction affaiblie par une démission anticipée par exemple.
Cela explique aisément pourquoi aucun responsable politique de premier plan, qu’il soit issu d’un parti politique modéré ou d’un parti plus radical (Front de gauche, Front national), n’a appelé à la démission du président en exercice, se limitant à demander la dissolution de l’assemblée nationale et la convocation de nouvelles élections anticipées. Or, avec 24% d’opinions favorables dans le dernier sondage BVA/Le Parisien, et une opposition de plus en plus massive, il est permis de s’interroger sur le maintien d’un président qui a visiblement perdu toute légitimité, en moins d’un an, et qui a été élu sans brio dans un contexte où son prédécesseur était rejeté par de nombreux citoyens et en ayant fait des promesses démagogiques qu’il n’était nullement en mesure de réaliser.
En revanche, un mouvement authentiquement révolutionnaire n’hésiterait pas à remettre en question non seulement la légitimité du président en exercice et de l’assemblée, mais celle des lois qui auraient été votées. Prenons l’exemple du « mariage pour tous ». Plusieurs maires ont fait savoir que, même si la loi est votée et validée par le conseil constitutionnel, ils refuseront de l’appliquer et ne marieront pas des homosexuels. Pour le moment, selon un sondage récent, 43% des français soutiendraient les maires qui agiraient en ce sens, mais 57% d’entre eux en revanche condamnent ce type d’actions, exigeant des élus qu’ils respectent la loi. Cela pose la question du rapport à la loi, puisque une loi illégitime doit être considérée comme sans valeur.
Un parti systémique, même s’il est opposé à un tel mariage, aura beaucoup de mal à oser annuler une loi votée, dès que cette dernière est présentée comme un « progrès » ou comme un acquis. Et il est de coutume notamment en France de ne pas revenir en arrière lorsqu’un nouveau droit est consenti. C’est pourtant contraire aux principes révolutionnaires qui ont animé les hommes de 1789, qui ont complètement aboli les privilèges en même temps qu’ils détrônaient le roi, devenu d’abord monarque constitutionnel puis perdant littéralement la tête. En outre, même s’il a finalement le courage d’abroger la loi, il n’en annulera nullement les conséquences et s’interdira toute mesure rétroactive.
Ainsi le FN a annoncé qu’il annulerait la loi sur le « mariage pour tous », en croyant bon d’ajouter l’expression « sans rétroactivité », précisant ainsi que ceux qui seraient mariés selon cette loi le resteraient. De même, l’UMP a expliqué qu’il convertirait le « mariage pour tous » en « union civile », se limitant donc à une mesure cosmétique, parce qu’une union civile et un mariage devant le maire, c’est exactement la même chose. En vérité, même cette mesurette, l’UMP hésite à la prendre et comme le Parti Populaire en Espagne, à peine élu, il oubliera illico presto cette promesse contextuelle. Le FN ne ferait d’ailleurs pas différemment, vu le peu d’entrain de sa cheftaine à prendre position sur ce sujet.
En revanche, un parti révolutionnaire pour qui le « mariage pour tous » n’a pas de sens ne saurait se contenter d’annuler une loi pour l’avenir mais ambitionnerait de revenir réellement en arrière, et d’annuler aussi dans le passé les effets de cette loi devenue caduque. Les révolutionnaires de 1789 ont supprimé les lois de la monarchie, pouvoir légal mais considéré comme illégitime, de même que le pouvoir léniniste a annulé les dettes qu’avait l’empire russe à l’égard des autres pays occidentaux.
Un autre type de révolution est celui « par les urnes ». Dans ce cadre là, les révolutionnaires se soumettent à la loi officielle mais tout en la contestant. Ils aspirent en revanche à l’abolir de manière rétroactive. C’est une révolution davantage stratégique, qui respecte les formes tout en ne cédant rien sur le fond. Pour eux, « tout ce qui a été fait, peut être défait », y compris sur des questions sensibles comme les règles en matière de nationalité ou des droits concédés à une minorité.
Le révolutionnaire ne se contente pas de revendiquer le pouvoir tel qu’il est défini par ses adversaires qui en sont détenteurs, il revendique le fait de redéfinir le pouvoir futur. Il ne se limite pas à une contestation de forme concernant les institutions dont il aspire au renversement, mais conteste le fond, les assises mêmes, y compris idéologiques, sur laquelle elles se sont bâties.
Qu’il ambitionne de faire la révolution par la rue ou par l’urne, qu’il souhaite agir de l’intérieur par l’application du principe de subversion ou de l’extérieur en bénéficiant du soutien populaire, il n’accepte pas ce qui a été réalisé ou voté avant lui, même s’il peut feindre dans un premier temps de s’y soumettre, en attendant des jours meilleurs. Ainsi, le principe de l’auto-proclamation constitutionnelle, qui n’est ni plus ni moins qu’un coup d’état démocratique, repose sur la légitimité de ses acteurs, une légitimité qui ne peut être conférée que par le peuple souverain, car c’est la plus puissante. Un pouvoir royal, sauf aux époques reculées, repose par nature sur la légalité mais non sur la légitimité.
C’est ainsi qu’il faut s’interroger sur la nature des institutions françaises, dont on affirme qu’elles seraient républicaines, sous la Vème république, malgré le pouvoir exorbitant, en apparence du moins, du président. Que ce dernier soit incapable de véritablement gouverner, et surtout d’être en mesure d’agir concrètement sur les problèmes économiques, est un autre problème. D’ailleurs, moins il peut agir sur le réel, se limitant alors un pouvoir de nocivité et notamment à des mesures sociétales, flattant telle ou telle communauté, tel ou tel lobby, selon les circonstances, et bénéficiant d’une relative mansuétude ou partialité des media, plus il tient à son maigre pouvoir symbolique.
La question est donc de savoir si le fait d’élire un homme comme président, pour un mandat de cinq ans, justifierait que ce dernier reste coûte que coûte en place alors même qu’il est rejeté par la majorité des citoyens. Cela s’apparente bien à un pouvoir de nature monarchique, inamovible pendant une certaine durée en tout cas. Qu’il n’y ait aucun moyen, à l’exception d’un très complexe recours à une haute cour, en bénéficiant du soutien de 2/3 des députés et sénateurs, cas rarissime sur le principe qui ne pourrait concerner qu’un président ayant manifestement perdu tout discernement, de se séparer d’un chef de l’état dont le peuple ne veut plus, est en démocratie anormal.
Le général De Gaulle, qui a initié ce mode de fonctionnement institutionnel, a toujours veillé à engager sa responsabilité sur les lois qu’il proposait et a cherché le plus souvent possible par le biais du référendum à tester l’opinion. C’est lorsqu’il a perdu celui sur la refonte du Sénat qu’il a démissionné, estimant qu’il ne bénéficiait plus de la confiance du peuple. Or, depuis de nombreuses années, les chefs d’état et de gouvernement n’ont recours que rarement au principe du référendum et jamais en outre n’engagent leur mandat. Ils ne respectent donc pas dans l’esprit les principes qui ont été mis en place depuis 1958. A défaut d’introduire le principe du mandat impératif, dont l’application n’est pas aisée, on pourrait attendre de nos gouvernants qu’ils aient le courage de le remettre en jeu et de ne pas s’entêter à rester au pouvoir lorsque le peuple souhaite fondamentalement leur départ.
Seul De Gaulle a eu, par un souci constant d’être au service des intérêts du peuple et à l’écoute de celui-ci, le courage de démissionner. Le régime présidentiel à la française n’a de sens qu’en souscrivant à cette logique, car sinon il vaut mieux à défaut un système parlementaire, aussi peu gouvernable soit-il, plutôt que de céder à des vestiges de monarchie, une monarchie décadente qui plus est. Que la Pompadour du président vive aux frais du contribuable n’est que le symbole le plus manifeste d’un régime qui n’a plus de républicain que le nom, et pour qui la démocratie a été remplacée par l’oligarchie, celle des partis, des lobbies et des media.
A partir du moment où un pouvoir est illégitime, ce qu’il entreprend est sans valeur et disparaîtra avec lui. Les mesures prises par un système à l’agonie ne durent que jusqu’à son extinction. Le révolutionnaire entend instaurer un nouveau système, quand les populistes de base, qui ne sont révolutionnaires qu’en paroles, ne cherchent qu’à hériter d’un corps putrescent.
Thomas FERRIER (PSUNE)
Les commentaires sont fermés.