Une Alsace alsacienne dans une Europe européenne
07/04/2013
Quand le souverainisme trahit le peuple.
Une élection alsacienne qui déchaîne les passions.
Ce dimanche, les électeurs alsaciens étaient consultés par référendum sur l’avenir administratif de leur région, un projet de fusion du conseil régional et des deux conseils départementaux (ou « généraux ») leur étant proposé. Il permettrait des économies de gestion, en plus d’une simplification administrative, avec la mise en place comme en Corse d’un Conseil Territorial. Cette initiative, qui pourrait être étendue aux autres régions, a été soutenue par la droite alsacienne, une partie de la gauche et par les autonomistes et régionalistes.
Cette élection, qui ne semble pas déchaîner les passions en Alsace même, et les premiers taux de participation indiquent un risque d’échec par manque de mobilisation des citoyens, dans un contexte économique dramatique en plus d’une crise politique liée à la faible popularité du chef de l’état et à l’affaire Cahuzac, a en revanche rendu fou les souverainistes de toutes obédiences. Alors que le FN local avait pris position au départ pour le « oui », rejoignant alors la position des régionalistes identitaires d’Alsace d’Abord, suite à un violent rappel à l’ordre orchestré par Marine Le Pen elle-même, venue spécialement à Mulhouse pour donner ses consignes, il a retourné sa veste à 180°.
Le Front National, tout comme Debout La République, est désormais à fond contre ce projet local aux enjeux très limités, et ils ont été rejoints pour des raisons plus opportunistes par le Front de Gauche. A les lire, on a l’impression que le « oui » signifierait l’indépendance pure et simple de l’Alsace voire le rattachement à l’Allemagne. Le slogan du FN est « pour une Alsace française », comme si la suppression de deux conseils généraux allait changer le monde.
Les slogans germanophobes, jusqu’à un certain Emmanuel Todd affirmant que les Alsaciens seraient « des allemands de langue française », se généralisent au niveau national, suscitant une bien légitime incompréhension des alsaciens. Même les électeurs FN de la région sont très majoritairement (à plus de 70%) en faveur du oui. C’est bien l’Etat jacobin et « parisien » qui s’exprime par la voix de Marine Le Pen ou de Nicolas Dupont-Aignan, un Etat « parisien » arrogant, qui met sur le même plan les légitimes revendications identitaires des régionaux et le communautarisme des banlieues.
Cela permet aussi à ces souverainistes et autres europhobes extrêmes d’hurler leur haine de l’Union Européenne, l’accusant d’être, tout comme l’Allemagne, derrière ce référendum, alors qu’ils n’y sont pour rien et ne se sont pas mêlés de la campagne référendaire.
Nouvelle URSS ou IVème Reich, l’UE est leur Satan.
Débattant sur Agoravox face à des europhobes probablement issus de la secte UPR, on m’a expliqué que l’Union Européenne était un IVème Reich, rien de moins, tout en rappelant le passé collaborationniste de certaines franges du régionalisme alsacien ou breton, comme si tout tournait autour de la seconde guerre mondiale. Il faut dire qu’un Asselineau n’a rien trouvé de plus moderne que de proposer le programme du CNR de 1944. Dans leur esprit, l’UE ce sont les allemands, et l’€ ne serait bon que pour l’économie allemande. Oser se réclamer du général De Gaulle, alors même qu’ils font les yeux de Chimène pour les anciens colonisés dont De Gaulle avait voulu que la France se sépare, et qu’il est l’artisan d’une réconciliation franco-allemande courageuse, est la pire trahison faite à ce grand homme.
Marine Le Pen répète tel un mantra que l’UE est une nouvelle « Union soviétique ». Reprenant l’expression de l’agent américain Vladimir Boukovski, ennemi déclaré d’un Poutine que le FN encense par ailleurs, elle l’a répété dans une très intéressante interview au journal turc Zaman. Elle explique que l’UE, qu’elle dénonce comme ultra-libérale, s’apparente à l’URSS, que la Turquie n’a pas vocation à rejoindre une UE qu’elle conspue pourtant. J’ignorais que l’URSS était un régime ultra-libéral, et je ne vois pas en quoi quelqu’un d’opposé à l’existence même de l’UE, dont elle souhaite la disparition, devrait refuser l’adhésion turque à une organisation selon elle illégitime. Au moins, Vaclav Klaus est cohérent, puisqu’il souhaite cette adhésion turque afin de détruire l’UE. Il agit ainsi en bon agent des USA.
La dirigeant du FN a cru bon la semaine dernière de lancer un « Appel aux peuples d’Europe », probablement en partie écrit par Ludovic De Danne, son conseiller aux questions européennes, qu’on a connu plus inspiré. Sa condamnation de l’UE et de l’idée même d’Europe politique est totale. L’Europe communautaire est un ennemi absolu, un diable qu’il faut pourfendre. Certes elle tente d’atténuer son europhobie par des déclarations amicales (« chers amis d’Europe », « projet européen… belle idée »), mais le fond de son propos (et de son projet) est sans ambigüité.
En usant d’un ton catastrophiste, en abusant des à peu près et des contre-vérités, elle explique que l’UE va entraîner l’effondrement de la France, à la suite d’autres pays. Elle n’a d’ailleurs aucune compassion pour ces pays européens qui s’effondrent et certainement pas l’envie de les aider. C’est une réaction en vérité proprement égoïste et même égocentrique, qu’on retrouve davantage chez des pré-adolescents. Elle proclame aux peuples d’Europe qu’ils doivent « s’unir dans le combat pour la liberté », c'est-à-dire en vérité s’unir pour rester divisés, idée absurde par excellente et contre-nature.
Elle évoque la raison à opposer à l’UE alors même que son discours n’est fondé que sur le sentiment et même sur le fantasme. La disparition de l’UE est dotée de toutes les vertus, comme si elle annonçait des « lendemains qui chantent ». La désindustrialisation de la France, l’immigration inassimilable, le règne de la banque, disparaîtraient par magie. Il est vrai qu’elle explique implicitement que tout ce qui va mal en France est dû à l’Union Européenne, ce qui est non seulement faux, évidemment faux, mais exonère ainsi à bon compte les gouvernements français depuis des décennies. Elle exonère surtout l’Etat français, l’Etat jacobin, ennemi des identités régionales et de l’identité européenne du peuple français, qui est pourtant le principal responsable d’une immigration que son parti et son père ont prétendu vouloir dénoncer depuis les années 80. C’est sans doute l’effet « Philippot ».
Enfin, elle conclut son propos par une incantation : « je veux les nations ». Mais faudrait-il que le mot « nation » ait encore une signification, dans un pays comme la France qui en a complètement dévoyé le sens. La notion d’enracinement à une terre, à un patrimoine, de défense d’une langue, pour celle qui veut interdire aux Bretons de parler en breton et aux Alsaciens de se considérer comme une région autonome, n’a pas véritablement de sens.
Jacobine, comme son homologue Dupont-Aignan, elle ne conçoit les identités que comme écrasées par l’Etat parisien, que comme des identités désincarnées, universalisées, dont n’importe qui peut se réclamer. Le mondialisme, règne du déracinement planétaire par excellence, n’a rien à opposer à la vision jacobine de la « nation » telle que définie par les souverainistes. Encore faut-il préciser que pour les Jacobins historiques, la France était un pays européen qui avait vocation à ouvrir le chemin de la liberté aux autres européens. Voltaire parlait déjà de « république européenne » et Kant de « paix continentale ». C’est lorsque, après Valmy et surtout sous Napoléon Ier, elle a dérivé vers un triste chauvinisme, qu’elle a déçu les autres européens, qui avaient pourtant été séduits au départ.
Ce virage chauvin du jacobinisme, c’est désormais Marine Le Pen qui l’incarne, prenant la suite de Jean-Pierre Chevènement. Elle tourne ainsi le dos à la vision barrésienne (et fichtéenne) de la nation pour tomber dans le « patriotisme constitutionnel » cher à Jürgen Habermas mais appliqué au seul cadre français. Par ailleurs ce « je veux », qui rappelle le « moi président » de François Hollande, témoigne d’une démarche fondamentalement instinctive, et non rationnelle.
Le souverainisme, islamotrope et afrotrope.
La dérive la plus significative du discours des souverainistes concerne la question de l’immigration, sous-entendue extra-européenne, et de l’islam. Il y a véritablement une séduction qui est opérée auprès de Dupont-Aignan et de Le Pen en faveur d’un « islam français », illusion relayée par des organisations comme les Fils de France de Camel Bechick, proche de l’UOIF mais aussi de la mouvance « Soral/Dieudonné ». NDA a récemment déclaré qu’il souhait la création d’une Union regroupant la France, l’Italie et l’Espagne et les trois pays du Maghreb. Il tente ainsi de réactiver cette idée dont Guaino avait convaincu l’ancien président Sarkozy de proposer, et que l’Allemagne avait à raison fait capoter.
Alors que 70% des français considèrent qu’il y a en France trop d’étrangers selon un sondage, et par « étrangers » ils ne pensent pas spécialement aux autres européens, et sont également très majoritairement hostiles à l’implantation de l’islam dans notre pays, qu’ils voient comme une menace portée sur la laïcité, le néo-FN et les chapelles souverainistes (DLR, UPR, RIF) ne s’intéressent plus qu’à pourfendre le dragon UE, y compris en s’appuyant sur les banlieues contre les classes moyennes.
Dans une interview du 3 avril 2013 au journal Zaman, Marine Le Pen dévoile sa stratégie de communication, qui repose sur le grand écart. Elle cherche ainsi explicitement à se gagner le soutien des musulmans de France tout en conservant son électorat traditionnel par quelques phrases sur la laïcité, alors que cet électorat justement ne veut pas entendre parler d’un islam à la française.
Elle souhaite que les musulmans de France se sentent français avant d’être musulmans, selon une vision néo-coloniale et impérialiste de l’identité. Selon elle, il convient de « rappeler les règles ». On croirait lire du Hollande. Pour elle « une grande partie des musulmans » va se soumettre de bon cœur aux règles qu’elle édicterait. Elle considère que c’est parce que l’identité nationale est affaiblie qu’ils se voient davantage comme musulmans que comme français. Mais c’est bien parce que l’identité nationale était affaiblie qu’ils sont présents sur notre sol. C’est l’ouroboros, le serpent qui se mord la queue.
Dénonçant le multiculturalisme, mais exonérant l’islam de toute dimension culturelle, déclarant que « ce n’est pas l’islam qui pose problème », elle cherche donc à unir des forces proprement antagonistes sous sa propre bannière, en ménageant la chèvre et le chou. Cette position intenable démontre un profond trouble identitaire au sein des souverainistes.
Mais tout cela est assez logique. Celui qui prône le départ de la France de l’UE ou l’abandon de la zone € se voit contraint de chercher un produit de compensation à proposer aux français. Puisqu’ils tournent le dos à ce grand projet qu’est l’Europe unie, les souverainistes réactivent naturellement l’idée de Françafrique. Hollande a ouvert le bal avec ses actions militaires au Mali ou en Centrafrique, actions soutenues par… le Front National. François Asselineau, invité régulier de Beur FM et pourfendeur numéro un de l’UE, ne cesse de rappeler à quel point il a besoin des musulmans dans sa croisade. Et désormais Frigide Barjot croit nécessaire de lancer un appel à l’UOIF et aux musulmans en général pour lutter contre le « mariage pour tous ».
Les marxistes Emmanuel Todd et Jacques Sapir ne sont pas en reste. Devenus les idoles de « Marine », et prenant la place d’un Pierre Hillard dont les théories conspirationnistes sont trop décrédibilisantes ou d’un Alain Soral obsédé par le sionisme, ils tapent sur l’UE et sur l’€ en se prévalant de leurs titres de sociologue ou d’économiste. En revanche, dès que la problématique migratoire est évoquée, ils tiennent le même discours qu’un Jean-Luc Mélenchon qui avait expliqué dans son meeting de Marseille que la France ne serait plus rien sans les immigrés nord-africains, et qui explique par ailleurs détester se retrouver entouré uniquement d’autres Européens. Todd a toujours été un ennemi déclaré du Front National, et continue de mépriser sa nouvelle dirigeante, mais en vérité il partage avec elle la même vision de la France.
Contre le populisme afrotrope, pour l’européisme identitaire.
Beaucoup de français, et d’européens, sont déçus par la construction européenne actuelle, et ils ont raison de l’être et de se sentir trahis. L’UE n’est pas à la hauteur des enjeux et n’apparaît plus que comme une entité punitive. La crise des dettes souveraines, dont l’€ est la victime mais en rien le responsable, prend naissance aux USA. En raison des interdépendances économiques entre les pays de la zone €uro, et en l’absence d’un pilotage politique de cette monnaie, la crise d’un pays entraîne la crise d’autres pays. Les banques grecques ont déstabilisé les banques chypriotes, par exemple. L’Islande, qui n’est ni dans l’UE ni dans la zone €uro, a été frappée de plein fouet en 2010. Et le gouvernement de David Cameron, dans un pays qui n’a pas l’€uro, applique une politique de rigueur budgétaire bien plus dure qu’en France et la croissance y est actuellement de aux alentours de 0%.
Dans un contexte de grave crise économique, alors que la classe politique nationale et européenne est manifestement incapable de courage politique et d’audace, même si tout le monde sait qu’il faudrait bâtir une Europe fédérale, un Etat européen uni, pour nous en sortir, les démagogues professionnels s’en donnent à cœur joie. L’UE est coupable de tout et d’abord d’exister. A ce jeu, Jean-Luc Mélenchon est plus habile que Marine Le Pen car il sait ne pas aller trop loin dans la critique de l’Europe politique ; il est vrai qu’il en était un ancien partisan et qu’il a conservé certains réflexes. Il préfère proposer une autre Europe que pas d’Europe du tout.
Les eurosceptiques ont raison de l’être, à partir du moment où on ne leur propose pas une Europe unie démocratique et puissante, à partir du moment où l’UE n’est incarnée que par des Barroso, à partir du moment où les dirigeants de l’UE sont volontairement aveugles non seulement à la souffrance des travailleurs européens mais aussi aux menaces migratoires et démographiques qui s’annoncent. Mais l’eurosceptique est un européiste qui ne demande qu’à être convaincu qu’il faut à nouveau y croire, et les européistes que nous sommes ont comme mission de les sortir de leur torpeur afin qu’ensemble, europhiles et ex-eurosceptiques, nous forgions l’Europe unie de demain.
Mais les europhobes en revanche, qui parfois se présentent faussement comme eurosceptiques, n’ont pas envie qu’on puisse réformer l’UE ou renforcer l’€. Ils veulent profiter de la crise morale et du désarroi des Européens pour saboter toute idée même de construction européenne. Ils agissent en forces centrifuges, en facteurs de division, alors qu’il faudrait au contraire opposer un front commun de tous les Européens face au mondialisme.
C’est bien au niveau d’une Europe politique unie que se trouvent les clés d’un sursaut civilisationnel européen et d’un nouveau printemps économique, et pas à une échelle inférieure. La solution, ce n’est pas la nation, c’est l’Europe-nation.
Or les souverainistes mentent aux français en prétendant que tout irait mieux dans une France seule, dans une France libérée du « carcan » de l’UE et de la monnaie unique. En réalité, la crise actuelle met à vif les Etats membres, montrant ce que nos dirigeants avaient caché sous le tapis. Et ce n’est qu’un début. La France a mangé son pain blanc pendant les trente glorieuses mais n’a pas su faire des économies lorsque des temps plus durs sont venus. En période de crise, l’assistanat n’est plus possible, en particulier lorsqu’il n’est motivé que par une repentance morale artificielle et lorsqu’il se fait au bénéfice de populations importées. Or le gouvernement français de François Hollande entend acheter la paix civile dans les banlieues, ou dans les DOM-TOM, là où il y a été plébiscité en tant que représentant d’un parti promoteur de la « diversité », et ce en coupant dans les autres dépenses publiques, pourtant bien plus légitimes et indispensables, et en faisant porter le poids de toute la dette aux classes moyennes, aux fonctionnaires et aux retraités.
Et que prônent les souverainistes en vérité ? De pouvoir continuer à le faire sans devoir rendre des comptes à nos voisins allemands, espagnols ou italiens. Car à un moment donné, les autres Européens vont finir par exiger de la France qu’elle entame les réformes indispensables que les gouvernements n’ont pas le courage de prendre. Et c’est ce que refusent les souverainistes. Ils vantent un modèle social français qui fait aujourd’hui faillite, un « génie français » qui n’est que l’expression en langue française du génie européen. Marine Le Pen réclame d’être « fiers d’être français », mais d’abord il n’y a pas à être fiers de ce que l’on est, mais à l’assumer, et ensuite, quand on voit l’état du pays, état qui n’est en rien dû à l’UE, puisque celle-ci réussit pour d’autres, non il n’y a pas de raison d’être fier.
Thomas FERRIER (PSUNE)
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