Le triomphe du Chevalier Noir
29/07/2012
Après le plus conventionnel Batman Begins et le grandiose The Dark Knight, avec la performance d’acteur du regretté Heath Ledger dans le rôle du Joker, Christopher Nolan devait conclure sa trilogie sur un succès. Il était pourtant très difficile de dépasser le second long métrage consacré au chevalier noir de Gotham, tant au niveau du scénario que du jeu d’acteurs, et notamment les palpitantes dernières trente minutes. Il était également nécessaire que Nolan satisfasse les fans de DC et offre à Batman une fin digne de lui, puisqu’il était bien entendu que le troisième film serait aussi le dernier.
Par son choix d’un environnement extrêmement réaliste, Nolan s’interdisait la possibilité d’introduire des personnages trop fantasques comme Poison Ivy ou Victor Fries, tous deux préalablement défigurés par le médiocre Batman & Robin de Schumacher. Il ne fallait donc pas non plus s’attendre à une apparition de Superman à la fin du film pour introduire Man of Steel. En outre, la mort de Ledger rendait difficile la remise en avant du Joker car aucun acteur n’aurait pu crédiblement reprendre le flambeau.
Nolan a donc dû retourner au mythe et s’est ainsi qu’il s’est inspiré des meilleurs comics consacrés à Bruce Wayne, à savoir les cycles Knightfall et No Man’s Land, tout en reprenant son principe d’un terrorisme à grande échelle (post-2001) menaçant Gotham. Il s’agissait aussi de s’inspirer à nouveau de Batman Begins, afin de fermer la boucle. Le film est donc centré sur le personnage de Bane, Tom Hardy ayant enfin un rôle à sa mesure, bien plus valorisant que son rôle timide dans Target. Celui-ci associe force physique et intelligence tactique, face à un Bruce Wayne vieillissant, aux tempes blanchissant, qui a perdu la foi et traîne son corps blessé dans l’intimité de son manoir depuis huit ans.
Batman retrouve ses premières couleurs lorsque Catwoman, alias Anne Hathaway, fait son apparition au cœur de ses appartements. Plus fidèle à la bande dessinée que la blonde Michelle, elle incarne remarquablement la cambrioleuse féline. Retrouvant la tenue de Batman, il se retrouve avec à dos la police de Gotham, qui croit qu’il est l’assassin d’Harvey Dent puisqu’à la fin de The Dark Knight il avait endossé sa mort pour préserver son image de procureur intègre, mais aussi la Ligue des Ombres dont Bane, pourtant officiellement exclu, semble le dirigeant. La confrontation entre Batman et Bane tourne rapidement à l’avantage de ce dernier, qui a en outre réussi à ruiner Bruce Wayne et obligé ce dernier à s’associer avec l’énigmatique Miranda Tate, jouée par Marion Cotillard.
Comme dans Knightfall, la chauve-souris est brisée, paralysée et enfermée au fond d’une prison exotique, sans espoir de s’en libérer, et assistant en outre, par le biais d’une télévision, à la chute de sa cité, prise en otage au sens littéral par un Bane anarchiste, libérant les prisonniers de Blackgate, enfermant les policiers de la ville sous des tonnes de bêton, chassant les riches de leurs appartements, jugeant et condamnant à mort les résistants. Révélant l’innocence de Batman dans la mort de Dent, pensant ainsi salir définitivement la mémoire du commissaire Gordon, Bane ne se rend pas compte qu’il fait de Batman le sauveur de Gotham.
La remontée de Bruce Wayne est certainement le moment à la fois le plus angoissant et le plus majestueux du film de Nolan. Le spectateur souffre avec le héros, constate son impuissance. En quatre mois, Bruce Wayne se reconstruit physiquement mais demeure incapable de se libérer de sa prison. C’est au moment où il comprend ce qu’il a à perdre, lorsqu’il est à nouveau animé d’une pulsion de vie, et se souvenant bien à propos du message nietzschéen de son père sur la nécessité de chuter pour remonter la pente, qu’il parvient enfin à redevenir Batman.
Mais ce n’est pas un Batman solitaire qui ressort du trou béant dont il était le prisonnier. Ce n’est pas un Batman qui attaque bille en tête, comme s’il n’avait rien à perdre. John « Robin » Blake, le commissaire Gordon, l’élite de la police de Gotham, et la charmante Catwoman l’aident dans sa mission. Bane reçoit alors la leçon qu’il mérite mais pour mieux faire apparaître un personnage de l’ombre, Talia Al-Ghûl, fille du méchant du premier film, animée par une vengeance sans pitié et par une forme d’éco-terrorisme.
Nolan offre enfin son mythe à Batman, celui-ci donnant l’illusion d’être mort en sacrifice, tout en sauvant réellement sa cité, libérant Bruce de son nom si lourd à porter, de la malédiction Wayne, et lui permettant de se construire une nouvelle vie aux côtés de Selina Kyle. La scène finale où Alfred effondré, avec un Michael Caine au sommet de son art, découvre Bruce et Selina à la terrasse d’un café en Italie, conclut un film épique sur une note fondamentalement optimiste. Un nouveau héros par ailleurs se lève, avec « Robin », montrant qu’il y aura toujours un Batman à Gotham.
Nolan a pris certaines libertés avec la tradition Batman, négligeant la filiation entre Don Diego de la Vega et Bruce Wayne, l’un et l’autre timides aristocrates le jour et héros au service de la justice la nuit. C’est bien en sortant du film The mark of Zorro que les parents du jeune Bruce sont tués sous ses yeux par Joe Chill, et non en ayant assisté à un spectacle de chauves-souris comme le présente Nolan. Ce dernier synthétise également en un seul personnage le chef de la Ligue des Ombres, l’assassin professionnel Henri Ducart et Ras-al-Ghûl, et enfin associe le mercenaire Bane dès le départ à Talia.
La dimension plus humaine de Batman est ainsi affirmée plus que jamais, à la différence de tous les autres super-héros. Nolan en exagère la dimension sociale car Bruce Wayne ne se prétend pas spécialement bon, et le généreux donateur est avant tout une image qu’il se donne pour cacher ses autres activités. Mais la rédemption par l’amour qui lui est offerte ne peut que satisfaire les aficionados de l’homme au masque. Le couple Batman/Catwoman, très perturbé dans la version de Tim Burton mais aussi dans le nouveau cycle 52 de DC Comics, est explicitement établi à la fin du film.
Enfin, la musique de Hans Zimmer, remarquable dans les deux premiers opus, est à la hauteur du nouveau film de Nolan. Elle diffère fondamentalement de la musicalité héroïque d’un John Williams dans Superman mais surtout de celle de Danny Elfman dans les deux Batman de Tim Burton. Mind if I cut in ?, le quatrième morceau de la bande originale, associe désespoir et chaos en devenir. Rise annonce véritablement la remontée à la surface d’un Batman métamorphosé.
Il sera difficile de reprendre le flambeau de l’adaptation cinématographique de Batman après le chef d’œuvre de Nolan. On ne pourrait imaginer une renaissance du personnage qu’en choisissant de coller de près à la bande dessinée, comme pour Amazing Spiderman. The Dark Knight Rises rappelle toutefois que Batman ne peut pas agir seul, à la différence de Superman, de Wonder Woman ou de Green Lantern, tous dotés de super-pouvoirs. Quatre Robins (Richard Grayson, Jason Todd, Timothy Drake et Damian Wayne, son propre fils) sont nécessaires, de même qu’une Batgirl (Barbara Gordon) et une Catwoman ambigue, pour arriver à maîtriser la criminalité dans Gotham. En tout cas, Nolan a fait rentrer Batman de la plus belle des manières dans le XXIème siècle. Et son message devrait faire réfléchir l’Europe toute entière. A l’heure où le monde européen décline, où sa natalité est en berne, où il subit des flux migratoires comme jamais dans son histoire, où son économie vacille et sa monnaie unique chancèle, il lui faut retrouver la pulsion de vie, pulsion primale, pulsion primaire parfois ; il lui faut « réapprendre la langue du Soleil », comme le disait Robert Sabatier.
Pourquoi tombons-nous ? Mais pour mieux nous relever, voyons. C’est ainsi que la chauve-souris, symbole de protection, devient phénix, symbole de renaissance.
Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)
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