5 août 2011: mort d'Andrzej Lepper, fondateur de Samoobrona
07/08/2011
Une figure historique du populisme de gauche en Pologne s’est éteinte ce 5 août 2011. Andrzej Lepper, fondateur et dirigeant du mouvement Samoobrona Rzeczposolitej Polskiej (« Auto-défense de la République de Pologne »), s’est éteint à l’âge de 57 ans, laissant femme et enfants. Selon les premiers éléments de l’enquête de police, il se serait suicidé. Ainsi se clôt une aventure politique de près de vingt ans pour un parti politique qui a vraiment émergé en 2001 pour s’effondrer en 2007. Lepper était un ancien membre du parti communiste polonais (PZPR, POUP en français) à la fin des années 70. C’est en 1992 qu’il entreprend de mettre en place un nouveau parti politique destiné à défendre les intérêts des paysans polonais.
Samoobrona se présente pour la première fois aux élections législatives en 1993, atteignant le score de 2.78% des voix. Son dirigeant est ensuite candidat deux ans après aux élections présidentielles mais ne réalise qu’un score médiocre de 1.32% des voix. En 1997, le parti ne réalise que 0.08% des voix aux législatives, un résultat dérisoire, et encore bien inférieur aux résultats des années précédentes. Tout indique que Samoobrona va disparaître, jusqu’à ce que Lepper trouve la juste mélodie pour séduire un électorat populaire polonais. C’est par l’action révolutionnaire, le blocage des routes principales du pays, qu’il réussit à se faire vraiment connaître du plus grand nombre. Avec 3.05% des voix aux présidentielles de 2000, Lepper ne réussit pas à transformer cette nouvelle audience en vote. Pourtant, un an après, Samoobrona devient un des principaux partis politiques du pays, faisant entrer à la Sejm (le parlement) une cinquantaine de députés. Avec 10.5% des voix en 2001, Samoobrona devient un acteur clé de la vie politique nationale, apportant son soutien aussi bien à l’opposition de droite qu’à la majorité sociale-démocrate, dont elle assure le maintien au pouvoir.
Inclassable, ce mouvement populiste de défense de la paysannerie, que l’on peut classer à gauche en raison d’un positionnement social très avancé, proposant une forme de troisième voie entre le socialisme et le capitalisme, rappelle par certains aspects le mouvement russe Rodina de Dmitri Rogozine, qui avait connu un succès analogue et un score à plus de 10%.
En 2004, aux élections européennes, Samoobrona confirme son ascension, avec 10,8% des voix et six députés. Certains d’entre eux siègeront dans le groupe « Union pour l’Europe des nations », aux côtés de souverainistes comme Nicolas Dupont-Aignan ou le parti suédois Juni List. D’autres en revanche feront partie du groupe socialiste européen (PSE). Samoobrona n’est pourtant pas un mouvement souverainiste, et se définit comme euroréaliste. Ainsi, lors du référendum national polonais sur l’adhésion à l’Union Européenne, Lepper donne comme consigne aux électeurs se reconnaissant dans son action de voter librement. La majorité des électeurs du SRP apporteront ainsi leur soutien au processus d’intégration européenne.
Populiste, Samoobrona n’est en revanche guère nationaliste et fort peu europhobe. Toutefois, après son nouveau succès aux élections parlementaires puis présidentielles de 2005, recueillant respectivement 11.4% pour le parti et 15% pour le candidat Lepper, Samoobrona souhaite enfin accéder à des fonctions politiques afin d’appliquer son programme. Alors que le parti avait su rester neutre durant les années précédentes, il choisit de rejoindre la coalition de droite conservatrice menée par Jaroslaw Kaczynski et par la Ligue des Familles Polonaises, représentante d’une droite ultra-conservatrice et catholique intégriste.
Or, l’électorat populaire de Samoobrona est composite, et assez éloigné de la droite, de même que la plupart de ses membres, Lepper et le porte-parole du parti Piskorski en tête. En s’associant à un gouvernement eurosceptique, libéral en matière d’économie, atlantiste et russophobe, Samoobrona déçoit considérablement ses électeurs, ceux-ci retournant pour une bonne partie à gauche. Lepper sera d’ailleurs le seul membre important du gouvernement à soutenir un rapprochement diplomatique avec la Russie et les autres pays slaves. Il est tout de même difficile de défendre ses convictions tout en soutenant une coalition gouvernementale qui en bafoue les principes même.
En 2007, les législatives qui amèneront la droite libérale au pouvoir aboutissent à un véritable effondrement de Samoobrona, au même titre que la LPR cléricale d’ailleurs, avec 1.53% des voix, résultat confirmé aux européennes avec 1.46%. Dans le même temps, Lepper est désavoué par une bonne partie de la classe politique et de l’opinion publique à la suite d’un scandale sexuel, un acte de harcèlement à l’encontre d’une collaboratrice du parti. En première instance, il est ainsi condamné à 18 mois de prison, mais suite à sa décision de faire appel, le nouveau procès devait avoir lieu cette année.
Mateusz Piskorski, 34 ans, docteur en sciences politiques, ancien porte-parole de Samoobrona, est l’incarnation même du positionnement authentique du mouvement de Lepper. Piskorski vient de la gauche nationaliste, proche de l’ancienne Union Sociale Nationale, et du mouvement culturel identitaire Niklot. C’est un socialiste patriote, à la fois europhile, russophile et slavophile, s’inscrivant dans l’héritage politique d’Ian Stachniuk, qui était un penseur de la gauche nationale, résistant à la fois aux nazis et aux soviétiques, et promoteur du paganisme slave reconstructiviste, fondant en ce sens le mouvement païen Zadruga, interdit par le régime communiste.
Mateusz Piskorski est demeuré le plus proche conseiller d’Andrzej Lepper jusqu’à sa mort, malgré le fait qu’il ait cessé ses activités politiques, et a aujourd’hui du mal à croire à la thèse retenue par les enquêteurs d’un suicide. Avant sa mort, Lepper avait en effet décidé de réformer en profondeur son mouvement, dans l’optique des élections législatives du mois d’octobre, afin de recréer une dynamique en sa faveur. Dans ce cadre, Lepper souhaitait associer des syndicats de travailleurs à sa structure, unissant ainsi sous une même bannière populaire paysans et ouvriers, retrouvant ainsi les accents de gauche qui étaient les siens à l’origine.
Avec la disparition du fondateur, alors même que Samoobrona a connu deux échecs électoraux particulièrement dévastateurs en 2007, le mouvement aura bien du mal à s’en remettre. Il est probable que, victime déjà d’une scission en 2007, Samoobrona risque de connaître de multiples divisions finissant d’anéantir l’héritage politique de Lepper. Pourtant, il existe toujours une place en Pologne pour un mouvement social, populaire et européen, car la « gauche » sociale-démocrate est en train d’évoluer à l’occidentale, délaissant le combat socialiste au profit de thématiques libertaires et immigrationnistes. Dans ce cadre, il est probable que Mateusz Piskorski pourrait avoir un rôle décisif à jouer.
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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