Valéry Giscard d’Estaing: l’Europe et son identité
01/08/2011
Valéry Giscard d’Estaing a été un président au bilan contrasté et à l’image brouillée. S’il est devenu après sa défaite aux présidentielles de 1981 face à François Mitterrand une des figures les plus marquantes du projet européiste, beaucoup de français se souviennent des affaires (notamment la fameuse affaire Bokassa) et de quelques mesures anecdotiques (en particulier des modifications apportées à la Marseillaise). Le fameux « au revoir » mettant fin à son septennat restera célèbre.
Bien loin de cette imagerie d’Epinal, l’ancien président a pourtant souhaité mettre en place une politique tout à fait différente de celle qu’on a pu imaginer. C’est ainsi que l’historien Patrick Weil, dans plusieurs ouvrages consacrés aux questions d’immigration et de nationalité, évoque des faits méconnus de l’écrasante majorité des Français. Explications.
Le président Giscard d’Estaing, à la fin des années 70, met en place une politique de rapprochement familial. Fervent partisan de l’idée d’Europe unie, qu’il partage avec son ami Helmut Schmidt, authentique socialiste allemand, il lui semblait naturel que les nombreux travailleurs européens, notamment espagnols, portugais et italiens, puissent bénéficier de cette mesure, d'autant plus qu'elle commençait à être prise dans les autres pays d’Europe occidentale. Parallèlement, avec les premiers chocs pétroliers, la crise économique commençait à engendrer une hausse du chômage, rendant inutile l’immigration de travail au sens strict.
Or, à sa grande surprise, Valéry Giscard d’Estaing constate que les travailleurs venus du Maghreb font venir leur famille en France. Lorsqu’il mettait en place sa politique de rapprochement familial, il ne visait en vérité que les travailleurs européens, n’imaginant personne d’autre. Immédiatement, il entend corriger le tir, puisque à l’instar de De Gaulle, il ne met pas du tout sur le même plan l’immigration européenne, laquelle existe depuis le XIXème siècle, et l’immigration non européenne, laquelle est uniquement de travail et pensée comme provisoire. Il tente donc de restreindre la mesure de rapprochement familial aux seuls Européens. Patrick Weil rappelle d’ailleurs qu'en 1946 déjà, le général De Gaulle voulait limiter l’immigration de travail aux seuls Européens mais en avait été empêché suite au refus conjoint non seulement du PCF et de la SFIO mais aussi du patronat. A l'inverse, dans l’esprit d’un grand patron comme Francis Bouygues, le rapprochement familial devait profiter aux travailleurs maghrébins, comme il le déclarait dans un entretien à la télévision.
Le Conseil d’état, consulté, estime la mesure discriminatoire et s’y oppose avec force. Face à ce refus, sachant aussi qu’une partie de la majorité parlementaire était réticente à sa politique, Giscard d’Estaing décide que la seule solution est de mettre fin à l’immigration maghrébine. Patrick Weil indique ainsi que, je cite : « Seule en Europe, sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, elle [la France] tenta d’organiser , entre 1978 et 1980, le retour volontaire, puis forcé, c'est-à-dire le renvoi de la majorité des Nord-Africains, puis particulièrement des Algériens. » (in Patrick WEIL, « La République et sa diversité », page 17). Plus précisément il souhaite organiser le départ de 500.000 maghrébins sur une période de cinq ans, mettant en place une politique d’inversion massive des flux migratoires. Sans soutien de la part de ses partenaires européens, combattu par une partie de sa majorité, aussi bien par les milieux gaullistes que par les démocrates-chrétiens, mais aussi par le PS et l’Eglise, le président doit finalement renoncer. Notons toutefois qu'à la même époque, le dirigeant du PCF, Georges Marchais, demandait l’arrêt de l’immigration.
Ironie de l’histoire, François Mitterrand, qui militait avec les nationalistes dans les années 30 « contre l’invasion métèque » (selon l'inscription qu’il portait sur une pancarte dans une manifestation des Volontaires Nationaux dont il était membre), à peine élu comme le premier président « socialiste » en 1981, annoncera, bien au contraire, que les immigrés étaient « chez eux chez nous ».
Ces faits historiques permettent de mieux comprendre le propos de Valéry Giscard d’Estaing en 1991, lorsqu'il expliquait que « bien que dans cette matière sensible il faille manipuler les mots avec précaution, en raison de la charge émotionnelle ou historique qu’ils portent, ce type de problème actuel auquel nous aurons à faire face se déplace de celui de l’immigration vers celui de l’invasion. » (Le Figaro Magazine, 21 septembre 1991). Il ne souhaitait pas réagir ainsi à la montée du Front National dans les sondages, mais bien exposer son point de vue personnel sur la question. Il ajoutait même qu’il convenait selon lui « de revenir à la conception traditionnelle de l’acquisition de la nationalité française : celle du droit du sang ». Cette proposition a d’ailleurs figuré dans le programme du RPR de Jacques Chirac en 1986.
L’ancien président était conscient des problématiques migratoires, le succès du FN à partir de 1984 étant l’illustration d'un malaise, et il entendait y apporter une réponse résolue, qu'il pensait certainement conforme à l’esprit républicain et aux principes fondamentaux de la démocratie. De fait, son choix politique était exactement celui de Périclès en 451 avant J.C. Personne n’a d’ailleurs dénoncé chez l’ancien président une tentation extrémiste sur la base des discours cités.
Pour finir, les media ont présenté Giscard d’Estaing comme le « père de la constitution européenne », la fameuse constitution rejetée par le peuple français en 2005 avec 56% de vote négatif. Certes, il a fait partie avec bien d’autres personnalités politiques européennes de la « convention » chargée de sa rédaction. Mais, ce faisant, il a très clairement fait entendre sa différence. Ainsi, a-t'il souhaité que la référence aux valeurs chrétiennes soit inscrite dans le texte. Compte tenu de ce qui précède, il convient d'interpréter sa défense du christianisme non pas sur le plan religieux mais sur le plan identitaire, comme une façon de rappeler, à côté des valeurs gréco-romaines et humanistes, que l’Europe avait une spécificité que n’avaient pas les continents voisins. Dans le même esprit, Giscard d’Estaing s’est déclaré explicitement opposé à toute adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, ce pays n’étant pas européen à ses yeux. Son vieux complice Helmut Schmidt affirmait la même chose outre-rhin, au grand dam d’une SPD qui y était en revanche ouvertement favorable.
Partisan résolu de l’Europe unie, défendant un fédéralisme européen pur et dur face aux prérogatives des Etats, Valéry Giscard d’Estaing a ainsi montré qu’il ne concevait pas l’Europe sans son identité européenne spécifique.
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