Les élections d’après la crise : le cas irlandais
12/03/2011
Le premier ministre sortant, le corpulent Brian Cowen, était tributaire d’un bilan si calamiteux, bien qu’il en ait été autant victime que responsable, et de sondages si médiocres, qu’il a dû se résoudre à démissionner de ses fonctions, occasionnant un nouveau processus électoral, et surtout à ne pas se représenter. C’est donc sans véritable dirigeant, au creux de la vague, que le Fianna Fail, ce parti de droite libérale-conservatrice, se présentait dans les plus mauvaises conditions. Les sondages annonçaient un triomphe complet de l’autre grand parti du pays, lui aussi de droite, mais davantage centriste, le Fine Gael dirigé par Enda Kenny, annoncé comme futur premier ministre, et qui l’est devenu au moment où j’écris ces lignes.
Est-ce que les électeurs, « à la française », allaient jouer la carte de l’alternance, en récompensant l’opposition traditionnelle de ne pas avoir eu à gérer la crise et en sanctionnant le parti au pouvoir, comme ce fut le cas en Islande, ou bien, comme dans les sondages français où Marine Le Pen émerge, faire confiance à des formations plus contestées ?
Notons bien qu’à cette élection, le souverainiste et eurosceptique Declan Ganley, échaudé par son échec aux élections européennes, ne se présentait, de même qu’était absente la « Plateforme contre l’Immigration ». Si des nationalistes étaient bien présents, c’était ceux « de gauche » du Sinn Fein, « les Notres », de l’ulsterien Gerry Adams, désormais candidat dans la verte Erin et délaissant les terres sous contrôle britannique. Le Sinn Fein, qui n’est pas officiellement opposé à l’immigration, mais qui en revanche est farouchement hostile au processus d’intégration européenne, s’apparente davantage aux formes contemporaines de nationalisme breton ou de nationalisme basque, un nationalisme « para-gauchiste ». Enfin, les Travaillistes du « Labour Party », bien plus à gauche que leur équivalent anglo-saxon, se présentaient également, malgré l’existence d’une liste concurrente, l’ « Alliance de la Gauche Unie ».
Au final, les résultats ont surpris les analystes. Si l’effondrement du Fianna Fail est confirmé, perdant plus de 24 points par rapport aux élections précédentes, pour se contenter d’un modeste 17.4% et de 20 sièges, ce qui est inédit en Irlande, le succès annoncé du Fine Gael n’a pas été au rendez-vous, même s’il s’impose. Avec 36.1% des voix et 76 sièges, il est loin de ce que prédisaient certains sondages, qui l’annonçaient à plus de 50%, lui permettant de disposer d’une majorité confortable. En réalité, beaucoup d’électeurs n’ont pas été dupes.
Si le Fine Gael s’impose par défaut, il ne peut gouverner seul et dans ce contexte l’alliance avec les Travaillistes, qui avec 19.4% des voix (+ 9.5 points) et 37 sièges dominent désormais le Fianna Fail et s’installent comme seconde force du pays, s’est avéré nécessaire, même si cela implique pour ce nouveau gouvernement de tenter de modérer les mesures drastiques qu’impose la situation économique, et ce en appelant à la solidarité européenne, à une époque où malheureusement celle-ci semble faire défaut. On se souviendra longtemps encore de la mauvaise humeur allemande suite à la crise en Grèce.
Le Sinn Fein avec 9.9% des voix et 14 sièges connaît une progression mesurée mais significative, progressant de trois points mais surtout gagnant dix sièges. Gerry Adams, avec un score honorable mais pas triomphant, rentre ainsi au Dail Eireann (le parlement) pour la première fois. C’est la récompense d’une ligne plutôt europhobe, en l’absence de candidats souverainistes. Sinn Fein et Labour Party indique une forte poussée à gauche, confirmée par les 2.6% et les 5 sièges de la gauche radicale, qui entre ainsi au parlement. Un candidat du mouvement indépendant « New Vision » entre également au parlement, comme treize autres indépendants. Ces derniers récoltent en moyenne 11.8% des voix, ce qui est un score important.
En clair, plus de 45% des électeurs irlandais ont préféré désavouer les deux partis dominants, leur préférant des mouvements beaucoup plus socialistes (du moins en apparence) ou des candidats indépendants. Tout cela a fortement minoré le succès du Fine Gael, qui ne progresse que de 8.8 points. En clair, seul un tiers des déçus du Fianna Fial s’est tourné vers le Fine Gael, ce qui est assez peu.
Victoire de la gauche travailliste, succès des nationalistes « de gauche », voilà qui annonce peut-être une vague de fond au niveau européen, même s’il faut rester conscient du contexte spécifique de l’Irlande. Dans le cas français, le rejet du gouvernement UMP, alors que la crise est beaucoup plus mesurée pour le moment chez nous, annonce un succès de la gauche modérée, par défaut, et du Front National, ce dernier servant d’épouvantail limitant la poussée de la « gauche » radicale et favorisant un vote utile à gauche en faveur du PS.
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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