De l’homme romain à l’homme européen (article de 2007)
03/02/2011
Si l’Athènes classique, notamment celle du Vème siècle, nous sert de source d’inspiration, si la Grèce est « notre mère », si nous nous reconnaissons dans le combat pour la démocratie de Périclès et pour l’unité nationale d’Isocrate, la république romaine est aussi une source importante d’inspiration pour nous. Et je dis bien la république, pas la royauté mythique, pas l’ « occupation » étrusque, pas l’empire romain.
Quels ont été les symboles de la république romaine ? Le Sénat, composé des familles patriciennes, garant de la tradition et défenseur des valeurs patriotiques, à l’image d’un Brutus et d’un Caton, un sénat où régnait la vertu, et non pas l’or. Mais surtout le peuple romain dans son ensemble, plébéiens comme patriciens. La république romaine fut incarnée par des figures majeures, semi-mythiques, comme Brutus, celui a qui a chassé les rois étrusques et proclamé la liberté des Romains, comme Camille, qui a vengé l’honneur romain après que le celte Brennus ait mis Rome à terre, comme Cincinnatus, modèle du dictateur républicain, qui quitte son champ pour occuper les plus hautes fonctions puis, son temps accompli, revient à son champ, comme si de rien n’était. C’était la Rome de l’honneur, la Rome du devoir.
Au-delà de ses héros, le véritable héros de Rome c’était le citoyen de la république, dont le courage suscitait l’admiration des autres peuples. Le citoyen romain n’était pas seulement ça, il était un paysan et un soldat. Il abandonnait régulièrement la fourche pour la lance pour défendre sa terre et pour étendre la république à toute l’Italie. Il avait les saines valeurs du paysan, celles vantées par Hésiode dans « Les Travaux et les Jours », et les saines valeurs du guerrier. Ainsi était le Romain, qui avait en lui les trois fonctions sacrées de l’Indo-Européen. Il était donc citoyen (Ière fonction), soldat (IIème fonction) et paysan (IIIème fonction), comme l’était Romulus dans la mythologie latine. Rome représentait un modèle républicain et proto-socialiste de société. Mais la Rome républicaine fut pervertie, ses défaites comme face à Carthage usèrent le peuple. Certes Carthage fut vaincue, le vœu de Caton fut respecté, mais le peuple romain tomba dans la facilité. L’or des conquêtes le pervertit, la peur de la mort au combat jaillit en lui. Ainsi naquirent les tyrans. Les Gracques ont combattu pour retrouver la conception ancienne du citoyen, en donnant davantage de terres aux paysans romains, en contrepartie du devoir patriotique. L’homme libre, c’est celui qui combat sans relâche pour sa liberté.
Ne voulant plus se battre, le Romain, le Latin, l’Italien, préféra confier la défense de sa cité, de sa patrie, à des mercenaires, à des militaires professionnels. Ainsi Marius fit abandonner à Rome sa conception d’une république de citoyens armés, conception qu’on retrouvera pendant la révolution française, et ce ne fut pas un hasard s’il fut le premier tyran. Après Marius il y eut Sylla puis le triumvirat d’arrivistes, Crassus, Pompée et César. Dans un regain de républicanisme, César en fit les frais, et ce fut de la main de sénateurs qui se souvenaient de leur longue mémoire, dont l’héritier symbolique de Brutus l’Ancien, qu’il fut assassiné. En vain. La république était déjà morte sans le savoir depuis un demi-siècle. Alors vint Auguste, qui dans un dernier sursaut, voulut, lui le Princeps, le premier des citoyens, revenir à la conception traditionnelle de la romanité, régénérer la vieille Rome. Il défendit le mariage et dénonça l’homosexualité, afin de relever la démographie des vrais Romains. Il s’opposa aux religions orientales, dont il interdit le culte dans le cœur de la cité. Il rebâtit une petite centaine de temples, plaça le relèvement moral sous l’égide du père fondateur, Romulus, et de son divin géniteur, Mars. Il s’opposa à tout culte en son honneur, mais ses successeurs trahirent son vœu. Auguste fut paradoxalement le premier empereur et le dernier républicain. Il avait été élevé dans les valeurs patriotiques du vieux Latium. Antoine, l’orientalisé, incarnait pour lui tout ce qu’il détestait. Actium pour Octavien/Auguste était l’opposition entre les vieux dieux de Rome et les dieux de l’Orient, entre les valeurs romaines et les valeurs asiatiques. En triomphant d’Antoine et de Cléopatre, il continuait l’œuvre de Caton, il détruisait Carthage une seconde fois. Mais Auguste échoua à régénérer Rome, et ce furent des tyrans sanguinaires qui prirent la suite du vainqueur de Philippes et d’Actium.
Le sang cousin, celui des Germains, ne s’incorpora pas à la vieille Rome, à la différence des Celtes. L’échec de Varus solda la fin de la possibilité d’une romanisation des Germains, qui aurait en même temps été une réeuropéanisation en profondeur de la romanité. Tacite louait les qualités des Celtes et des Germains, qu’il comparait aux vieux Romains, et il est probable qu’Auguste avait une conception analogue. Rome était puissante certes mais rongée par la décadence. Les religions asiatiques sapèrent la saine conception romaine traditionnelle, un sobre polythéisme républicain, guerrier et paysan, et ouvrirent la porte à un monothéisme oriental, aux valeurs opposées à celles de la romanité ancestrale.
L’homme européen de demain ne devra pas oublier de s’inspirer de ce modèle républicain et socialiste de jadis, de cette Rome de l’honneur et de la vertu, de cette Rome, qui comme l’Hellade chez Pléthon, apparut aux yeux de Machiavel comme un modèle insurmontable. Ce dernier se désolait de voir le peuple italien inerte, divisé, dominé sur sa propre terre par des puissances étrangères (comme la France ou l’Autriche) et accusait le christianisme d’avoir tué la virtu dans le cœur des Italiens, descendants des Romains. Mais il vint le temps de Mazzini, celui de Garibaldi en chemise rouge, et le peuple italien gagna son unité, gagna son indépendance. Et aujourd’hui, il faut réveiller dans l’Européen d’aujourd’hui le Romain qui est en lui. Ce romain de la République, qui ne se distinguait d’ailleurs guère du gaulois, du germain, de l’illyrien ou du slave, puisque comme eux il avait des valeurs, le sens de l’honneur, cultivait la bravoure comme le blé, et avait ce bon sens du paysan. Un citoyen au sens fort, c’est un kalos kagathos, un homme de culture mais aussi un homme de combat. Et Rome nous montre cette voie.
L’Europe de demain devra être une nouvelle Rome, mais même une « Sur-Rome », dépasser ce que la romanité républicaine fut. Le siècle de Périclès et le siècle d’Auguste sont derrière nous, même si leur image sublime demeurera éternelle. Souhaitons que le XXIème siècle soit le retour des valeurs républicaines, et donc romaines, en Europe, et que reculent les valeurs de l’or, que l’oligarchie soit vaincue comme le fut Tarquin le superbe.
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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