Mouvement social et problème des retraites
24/10/2010
A la suite du vote de la loi de réforme du système des retraites proposée par le gouvernement Fillon, qui consiste à allonger la durée de cotisation (42 ans d’annuité) et à repousser progressivement l’âge de la retraite à 62 ans (au lieu de 60), la retraite complète étant garantie à 67 ans, un mouvement social d’une certaine ampleur, impulsé par les différents syndicats, la CGT, la CFDT et FO en tête, pour une fois unis dans un même refus, a partiellement paralysé la France ces dernières semaines et annonce de nouvelles manifestations pour les semaines à venir, notamment jeudi (28 octobre) prochain.
Ce mouvement social appelle deux réflexions principales, à savoir la question de la légitimité de son action et le sens de sa démarche. Rappelons en premier lieu que les syndicats français ne représentent qu’environ 6% des travailleurs, alors que le syndicalisme allemand, par exemple, en regroupe au moins 60%, et qu’on ne verrait jamais des mouvements de cette nature chez nos voisins immédiats. Si le droit de grève est à juste titre reconnu, sa signification en est profondément détournée, ce qui en démocratie pose de véritables problèmes.
Lorsque les travailleurs du privé se mettent en grève, ce n’est pas à la légère, mais parce qu’ils estiment que leur employeur ne les rémunère pas honnêtement, en raison du coût de la vie qui augmente, c'est-à-dire selon un argumentaire précis, et notons qu’en période de chômage, ils ne le font que contraints par la nécessité. Or ils sont eux aussi concernés par cette réforme des retraites mais pour une majorité d’entre eux ils ont fait le choix de continuer à travailler. En revanche, dans des secteurs anciennement nationaux, comme la SNCF, dans une moindre mesure la RATP, à la Poste et dans le service public en général, le mouvement a été plutôt suivi, amenant à de vrais problèmes d’approvisionnement des stations services en essence et à des limites graves à la liberté de circulation (trains supprimés, opérations « escargot » sur les autoroutes… etc).
Or, en démocratie, l’employeur ce sont les citoyens et le gouvernement élu qui les représente. Il n’est pas acceptable de vouloir obtenir dans la rue ce que les urnes vous ont refusés. Et quoi qu’on puisse penser de la politique de Nicolas Sarkozy, et du fond du dossier, il n’est pas normal qu’un pays soit pris en otage par une minorité d’individus, minorité non seulement par rapport à la population totale mais même par rapport à la population laborieuse. Ce mouvement, animé par des syndicats qui ont cessé depuis longtemps d’être représentatifs, est donc le fait d’une minorité radicalisée, qui réagit à des mantras anticapitalistes primaires, et qui se révèle déconnectée des réalités économiques des sociétés occidentales.
Défiler dans la rue pour empêcher les représentants du peuple de mettre en place une réforme, ce n’est pas démocratique, c’est factieux. Et appeler comme Ségolène Royal la jeunesse à défiler contre le gouvernement, c’est une démarche choquante et inconsciente ; c’est aussi mettre la vie de jeunes gens en danger, victimes potentielles de la réaction policière mais aussi des « bolosseurs » professionnels venus des cités.
La première chose est qu’un Nicolas Sarkozy, impopulaire, n’a pas choisi de mettre en place une réforme de cette nature, dans un domaine extrêmement sensible, pour appliquer son programme mais en raison de nécessités indépendantes de sa volonté. En effet, pour éviter à la France d’être déclassée aux yeux du FMI et des agences internationales de notation, Nicolas Sarkozy s’est engagé auprès de ces organisations à mettre en place une réforme des retraites permettant de rééquilibrer l’économie. En effet, il n’est pas possible de commencer à travailler à 30 ans, de partir en retraite à 60 ans et de mourir à 90 ans, en étant financé les 2/3 de sa vie par le fruit du travail d’1/3. Cette réforme était donc indispensable, mais elle s’est faite de manière injuste et pas forcément là où on pourrait le penser.
En effet, les régimes spéciaux de certaines professions qui osent défiler dans la rue pour protester, comme la possibilité de partir à 50 ans, qui deviendront 52 ans, pour certains métiers du rail, relèvent d’une logique de privilèges, ce qui dans une démocratie équitable demeure choquant. Ensuite, on ne voit pas pourquoi celui qui a commencé à travailler plus tôt, par exemple parce qu’il n’avait pas le niveau ou la motivation pour faire des études plus longues, serait privilégié et pourrait partir plus tôt que les autres. Certes, on peut comprendre qu’il y ait des métiers davantage usants que les autres, et le législateur doit certes en tenir compte, mais est-ce que cela doit impliquer une retraite précoce ou bien ne pourrait-on pas penser à améliorer les conditions de la fin de la vie professionnelle (métier de formateur, aide aux personnes âgées… etc) ?
Certes, symboliquement, dans un pays qui a des millions de chômeurs, la mesure gouvernementale choque à juste titre. Mais la fausse gauche PS est bien malhonnête en annonçant que si elle est élue en 2012 elle reviendra sur cette réforme. Tout le monde sait bien qu’elle ne le fera pas, car les gouvernements se suivent mais la politique reste la même. Elle est donc particulièrement effrontée de reprocher à Sarkozy ce qu’elle aurait fait, plus ou moins de la même façon, si un « socialiste » avait été à la place de l’actuel président.
Cette réforme, dans le cadre économique actuel, qui est le mondialisme, est donc inévitable, et ces syndicats non représentatifs, davantage connus pour leur défense des travailleurs illégaux et clandestins, ce qui est contraire à l’intérêt des travailleurs de leur propre peuple, dont ils prétendent défendre les intérêts, n’ont jamais protesté contre l’ouverture des frontières, livrant les travailleurs européens à la concurrence déloyale du tiers monde émergent. Un syndicalisme authentique, et européen, se serait réellement confronté aux tenants du système, aux protecteurs attitrés de l’hyper-classe. Mais en vérité les chefs syndicalistes en font tout simplement partie.
Le PSUNE, en tant que parti euro-socialiste, soucieux de l’intérêt des travailleurs européens mais réaliste quant à la nécessité d’un allongement du nombre d’années de travail, ne peut que considérer à la fois l’illégitimité du mouvement social actuel et l’injustice de la réforme mise en place par le gouvernement, même si elle était inévitable. Nous ne sauverons pas le système des retraites actuel, qui n’est pas tenable, mais nous pouvons en revanche œuvrer dans le sens d’une réforme exigeante certes mais équitable. Pourquoi au niveau européen ne pas instaurer une règle d’équité totale, hommes et femmes, jeunes travailleurs et travailleurs post-étudiants, qui serait celle d'une retraite complète à 65 ans par exemple ? Pourquoi ne pas repenser totalement la logique des carrières en multipliant à partir de 55 ans les choix alternatifs (retraite complète avec travail à mi-temps, aide aux personnes, formation des jeunes travailleurs de la même branche) ? Dans les sociétés européennes traditionnelles, les anciens étaient des modèles et des maîtres qui prenaient en charge les jeunes générations. Ce travail immense de transmission des savoirs n’est plus fait. Réhabilitons-le, réinstaurons-le.
La retraite n’est une panacée que dans une société embourgeoisée qui a perdu le sens des vraies valeurs. Combien ai-je vu de personnes qui, du jour où elles étaient à la retraite, dépérissaient, car cet état n’est simplement pas naturel ? Plutôt que de promouvoir la retraite pure, des systèmes intermédiaires seraient préférables. Prenons un exemple ancien. Dans la légion romaine, les légionnaires quittaient leur métier aux alentours de 40 ans avec leur solde et le statut de vétéran. Arrêtaient-ils de travailler pour autant ? Installés dans des colonies de vétérans, bien au contraire, ils avaient une seconde vie. Il est évident que faire le même métier toute sa vie est une idée intolérable, et que chacun a le droit aux meilleures conditions de travail. C’est avant tout sur ces conditions qu’il faudrait insister, car travailler jusqu’à 65 ans par exemple, mais avec les dix dernières années aménagées pour tenir compte de votre état de fatigue, d’usure, de lassitude, serait-il monstrueux ?
Repensons donc profondément notre système des retraites en tenant compte des aspirations légitimes des travailleurs européens mais également en leur montrant une voie alternative entre le « travailler plus, dans de mauvaises conditions » et « maintenir le système tel qu’il est » (vision illusoire). Cette voie c’est le « travailler plus mais dans les meilleures conditions possibles », c’est la voie d’une véritable opposition frontale au chômage, à l’importation de main d’œuvre venue d’ailleurs, à la précarisation des emplois, c'est-à-dire la justice sociale authentique.
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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