La guerre des europhobes (partie II)
24/10/2010
Le duel Le Pen/Gollnisch.
Le Front National est la plus importante structure politique europhobe en France, en particulier depuis sa remontée électorale aux élections régionales et depuis la retraite de Philippe de Villiers de la vie politique. Marine Le Pen a fait de l’opposition à l’Union Européenne son principal cheval de bataille, prônant l’abandon de l’€ au profit d’une monnaie nationale, la restauration des frontières (toujours) nationales et la fin de la construction européenne par sécession de la France. Ce programme est sans ambiguité, et ses adversaires, au sein du FN comme à l’extérieur, partagent globalement les mêmes éléments de doctrine. Bruno Gollnisch (FN), Carl Lang (PdF) ou encore Annick Martin (MNR), proposent une démarche analogue, dans un schéma strictement souverainiste. En ce sens, la confrontation interne et externe entre les deux candidats à la succession du vieux chef ne repose nullement sur ce thème.
La stratégie de Marine Le Pen : ses qualités et ses limites.
Dédiaboliser un parti politique comme le FN en renonçant à des provocations dialectiques sur des sujets qui fâchent, et qui sont de plus annexes par rapport aux problèmes politiques, renonçant ainsi par exemple à toutes les formes de judéophobie, est une stratégie logique et nécessaire pour un parti qui aspire au pouvoir et ne veut pas se contenter de témoigner. Politiquement, Marine Le Pen a donc raison de vouloir rompre avec des thématiques sulfureuses et de se désolidariser d’une ligne catholique traditionnaliste qui par son rigorisme moral plus qu’excessif ne saurait qu’effrayer les électeurs. L’idée qu’il faudrait travailler le terrain local parallèlement à des actions nationales paraît également assez saine, et les résultats probants de l’action électorale de ce parti aux diverses élections de la petite ville d’Hénin-Beaumont semblent valider une telle démarche.
De son aveu même dans une interview pour le journal « The Independant », Marine Le Pen semble favorable à l’idée de s’aligner sur la démarche dédiabolisée et moderniste de Geert Wilders et de Gianfranco Fini. Mais leurs pays respectifs ne disposent pas d’un mode de scrutin majoritaire mais proportionnel. Ce que pourrait espérer au mieux un FN rénové par Marine Le Pen, ce serait d’obtenir un bon score aux élections présidentielles, aux alentours de 20% des voix par exemple en 2012, et, fruit de ce succès, un résultat honorable aux élections législatives, permettant de faire rentrer une trentaine de députés, ce qui implique des candidats enracinés et actifs sur le terrain cantonal. Dans ce cas, le FN pourrait peser sur la droite parlementaire si cette dernière n’était pas majoritaire, et éventuellement faire alliance avec elle.
Mais que ce soit la stratégie du « ghetto », c'est-à-dire le refus de toute alliance avec la droite, même si le FN était en mesure de pouvoir négocier ses électeurs ou ses députés, ou que ce soit la stratégie de l’ouverture et de la « droite plurielle », comme l’avait fait le FPÖ en Autriche pour son malheur, il est évident que ce parti ne saurait représenter une alternative au système en place mais simplement, au mieux, un partenaire d’une de ses composantes, en particulier dans le cadre d’un mode de scrutin incompatible avec une victoire électorale, en coalition, pour un parti excentré.
Une des limites principales de la démarche impulsée par Marine Le Pen tient à la structure même de son parti et au poids de son fondateur. Dans cette opposition interne entre les deux candidats, le soutien appuyé de Jean-Marie Le Pen à la candidature de sa fille a été contre-productif. Insatisfait d’une place de simple « président d’honneur », ayant probablement peu apprécié d’être incité à la retraite, un mot qui lui fait horreur, il entend jouer de tout son poids dans le néo-FN qui naîtrait d’une victoire éventuelle de Marine et il gardera certainement sa pleine liberté de penser, ou de mal penser.
Cette limite est apparue au premier plan ces dernières semaines, à la suite d’un propos de Bruno Gollnisch concernant la réconciliation avec ceux qui sont partis du FN au fil des années, et en particulier les partisans de Carl Lang. Bien qu’on puisse comprendre que Marine Le Pen n’ait aucune envie de revoir des personnalités politiques qui ont dit un grand mal d’elle, lorsqu’on fait de la politique au premier plan, et qu’on espère obtenir les plus hautes charges, il faut « faire avec ». Une telle proposition aurait dû venir de Marine elle-même, prônant le rassemblement de son camp au premier tour avant de prôner la réunion de tous les français sur son nom au second. Car, même si le candidat d’une coalition disparate concurrente n’obtenait que 2% des voix, cela pourrait être suffisant pour affaiblir l’impact de son score. Il est nécessaire de négocier avec ces petites formations afin de neutraliser leurs véléités de candidature, ce qui implique d’avaler quelques couleuvres au nom de l’intérêt général de la cause que l’on entend défendre.
Au lieu de jouer l’ouverture, même feinte, les partisans de Marine Le Pen, et leur chef en tête, ont réagi très durement contre cette proposition, somme toute logique, de leur adversaire interne. Ils ont dénoncé une tentative d’entrisme, qui ne pouvait qu’être marginale, de la part de partisans de Carl Lang, et s’en sont pris notamment au rédacteur en chef de la revue semi-confidentielle Rivarol, Jérome Bourbon. Celui-ci a pris de manière virulente à parti Marine Le Pen avec des mots extrêmement durs . De tels excès auraient dû se voir répondre une absence totale de réaction, car il ne faut pas réagir à ce que l’on estime être « la bave du crapaud ».
Par des réactions excessives, et qui pourraient être interprétées comme sectaires, y compris par les journalistes, Marine Le Pen, qui avait une ligne droite devant elle, a pris des risques, ce qui a permis à Bruno Gollnisch d’apparaître comme le rassembleur, l’homme de toutes les réconciliations, et non seulement celui « de toutes les dissidences », un homme qui ne répond pas aux attaques et reste serein, et elle a déplu à un certain nombre de partisans de son camp, ce qui la met en danger. Désormais, Gollnisch a réellement des chances de pouvoir s’imposer, ce qui doit impliquer de la part de Marine Le Pen un changement de stratégie, un dépassement dialectique permettant de prouver concrètement qu’elle est la femme de la situation.
La « stratégie » de Bruno Gollnisch.
Son adversaire, dont la dialectique paraît moins percutante que celle de Mme Le Pen dans les media, envisage une stratégie recentrée sur les fondamentaux idéologiques du parti et aussi sur les obsessions tenaces d’une frange significative de la droite nationale. En clair, c’est un FN clairement placé à « l’extrême-droite » et assumant sa radicalité stérile, un FN regroupant certes les nombreux cadres qui avaient quitté le navire lors des différentes scissions, mais aussi et surtout les nombreux groupuscules aux positions intolérables aux yeux du plus grand nombre. Bruno Gollnisch a apporté son soutien à ce qui se fait de plus dur à droite, notamment sur les sujets qui fâchent et qui ne pardonnent pas.
Avec Gollnisch à la tête du FN, c’est un parti réunissant au mieux entre 8 et 12% de l’électorat national dans un vote protestataire, et provocateur, destiné à envoyer un signal de mécontentement aux partis de gouvernement. Les catholiques traditionnalistes, les monarchistes, les ultra-nationalistes, ne représentent que des groupes très limités de personnes, et leurs positions sont incompréhensibles aux yeux du vulgum pecus.
Vers la victoire interne de Marine Le Pen ?
Si Marine Le Pen se ressaisit, ses chances de succès lors du congrès interne du mois de janvier sont importantes, à partir du moment où elle adopte vis-à-vis de son adversaire une approche plus conciliante et s’efforce d’ignorer les turpitudes des soutiens extérieurs de Bruno Gollnisch, soutiens dont ce dernier a déplorés officiellement les excès. Si Gollnisch devait apparaître aux yeux du « peuple des militants » comme la victime d’une « kabbale épuratrice » , s’il devait incarner un rassembleur, et Marine Le Pen a à mon sens maladroitement évoqué une scission de sa part en cas de défaite (refusant de sièger dans un même bureau politique que « Lang, Mégret et Antony »), les chances de l’outsider d’une victoire à la dernière minute ne seraient pas négligeables. Elle n’est d’ailleurs pas beaucoup aidée par un certain nombre de ses soutiens, dont la démarche trop sectaire est très contre-productive. Elle doit en conséquence s’efforcer de se sublimer afin de s’élever largement au-dessus de la mêlée et de se dissocier de soutiens encombrants ou maladroits ; c’est là le prix de sa crédibilité en interne et vis-à-vis des électeurs.
Cet article n’a qu’une vocation politologique, d’analyse d’une confrontation électorale interne entre deux personnalités d’une mouvance profondément europhobe qui est à l’antithèse sur beaucoup de domaines de tout ce pourquoi nous combattons. Nous consacrerons de la même manière dans les semaines à venir un article aux conflits de structures et de personnes au sein de la gauche radicale. Même dirigé par Marine Le Pen, le FN demeure une impasse, car là n’est pas la solution pour l’avenir de l’Europe, bien au contraire. Nous verrons que l’extrême-gauche est une autre impasse.
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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