Européisme et fédéralisme.
07/10/2018
Ces derniers jours, Guillaume Larrivé, dans les colonnes du Figaro, a invité à se méfier du « piège européiste » d’Emmanuel Macron, puis Nadine Morano à sa suite, sur les ondes de BFM, s’est opposée à la demande de « toujours plus de fédéralisme ».
Les termes d’européisme et de fédéralisme sont évités par une droite, modérée ou non, dont on dit qu’elle est timide sur la question européenne. Mais ils sont également évités par ceux qui se présentent, à tort comme on le verra, comme les plus ardents partisans de l’Europe.
Or être qualifiés d’européistes ne devrait pas gêner ceux qui, dans leur discours récent au moins, défendent l’Europe. A savoir tous les partis, y compris le Rassemblement national. Quant à ceux qui devraient à juste titre être qualifiés de fédéralistes, nous verrons qu’ils ne seraient pas forcément si éloignés des aspirations de quelques euro-réalistes.
D’abord la ligne préconisée par Emmanuel Macron, comme bien d’autres à gauche et au centre, n’est ni européiste, ni fédéraliste. Que signifierait en effet, pour l’Europe, un statut d’état fédéral ?
Ce serait d’abord un état unifié. Mais seuls les peuples disposent de la légitimité pour demander un état les regroupant. Autrement dit il conviendrait de parler de peuple européen, de nation européenne. On n’en est pas très loin quand on pense au triple héritage, païen, chrétien et humaniste. C’est celui que défendait Valéry Giscard d’Estaing, récemment rejoint par Nicolas Sarkozy qui ajoutait les racines juives.
Ensuite un état fédéral serait un état décentralisé, laissant beaucoup d’initiative à des régions ou états tout court. Ces derniers sont cependant subsidiaires de l’état fédéral.
Le projet européen actuel n’est pas du tout sur cette voie. Il consiste au contraire en une superstructure subsidiaire par rapport aux états la composant, laquelle fait fi de leur parenté de civilisation. Comme elle n’a pas de légitimité, elle n’a pas non plus la puissance pour défendre les Européens vis-à-vis de l’extérieur, sur des sujets comme le commerce, comme les migrations, comme le terrorisme ou les menaces militaires, par exemple. Pour prendre de l’importance, elle s’immisce alors dans le fonctionnement interne des états. Instance sans âme, elle s’appuie pour cela sur les valeurs mondialistes inventées par un club de notables coupés du peuple. En demandant à cette seule fin un transfert à son profit de la souveraineté démocratiquement fondée des états, cette souveraineté finit par être une illusion.
Ceux qui prétendent être partisans de l’Europe ne demandent pas un changement de paradigme. Ils demandent une accélération de la prétendue construction européenne dans le prolongement de ce qu’elle est devenue, autrement dit une dissolution de l’Europe dans un monde de type néo-féodal.
Nicolas Dupont-Aignan a trouvé une bonne image avec le syndic de copropriété. Tout se passe comme si le syndic s’occupait exclusivement de la vie des résidents chez eux, contrôlant leurs habitudes, faisant supprimer les portes palières et exigeant l’accueil de n’importe qui.
Ainsi Manuel Macron est-il un faux européiste et un faux fédéraliste. Mais, suite à un tel dévoiement des idées d’européisme et de fédéralisme, l’on comprend pourquoi ces termes sont honnis par les plus lucides et seulement balbutiés par les falsificateurs. C’est aussi la raison pour laquelle les vrais partisans de l’Europe devront plutôt parler d’une Europe unifiée et décentralisée, annonçant clairement leurs objectifs.
Parallèlement les souverainistes, comme ceux du Rassemblement national ou de Debout la France, sont de faux réalistes. S’ils critiquent à juste titre l’intrusion des instances de l’Union dans le mode de vie des citoyens européens jusque dans ses moindres détails, ils ne proposent rien de sérieux pour leur protection. Marine Le Pen a tenu un discours où l’on retrouvait quelques éléments de langage nouveaux, mais elle est vite revenue à ses habitudes europhobes.
Ces faux réalistes, en fermant la porte aux actions collectives nécessaires à la survie de l’idée européenne, ouvrent la porte aux faux européistes et faux mondialistes. Finalement les uns et les autres ne sont pas de vrais adversaires. Quand les uns n’ont pas la légitimité, les autres n’ont pas les moyens.
D’ailleurs, lorsque Angela Merkel traite directement avec l’Algérie pour y renvoyer des migrants indésirables chez elle, ou qu’elle tente de négocier avec Donald Trump une brèche dans le protectionnisme américain, elle joue une carte souverainiste avec la bénédiction des faux européistes, faux fédéralistes. Comme la Pologne quand elle achète une base américaine.
Voyons, maintenant, quelles seraient les conséquences du choix d’un statut d’état unifié et décentralisé pour l’Europe.
D’abord le fait de fonder l’état européen selon un principe national implique de s’attarder sur l’identité européenne, sur un patrimoine commun, sur le besoin de s’inscrire dans un destin commun. C’est à l’échelle du continent l’équivalent de ce que veulent les pays du groupe de Visegrad ou l’Autriche, quels que puisent être d’éventuels errements dans leur gouvernance. Et c’est ce que veulent majoritairement les citoyens de pays dont les dirigeants sont mondialistes. Par rapport aux euro-réalistes qui veulent s’appuyer sur l’idée de nation, ce serait seulement un changement d’échelle.
Il reste que cette identité européenne recouvre des identités plus spécifiques que les citoyens des anciennes nations ne veulent pas perdre, pour ce qui est des nations méritant encore ce nom, ou veulent retrouver, pour ce qui est des autres. C’est là que la décentralisation entre en jeu. L’organisation en régions devrait être constitutionnelle. Il s’agit bien sûr d’une constitution de l’état unifié, installée en même temps que seront abolies les constitutions antérieures des actuels états membres. Cependant les modifications ultérieures devront être soumises à un accord réparti sur l’ensemble des anciens états.
Cette constitution fédérale laisserait aux régions ou états tout court le contrôle de la vie sociale, de l’éducation et surtout du droit d’installation. Leur identité propre serait alors vraiment pérennisée. Bien davantage qu’en conservant des nations souveraines.
Dans l’image de la copropriété, le syndic exercerait son rôle et seulement son rôle. Ce dernier défendrait son bien vis-à-vis des immeubles voisins et des instances diverses. Mais il ne s’occuperait pas de la vie des résidents, lesquels seront chez eux et abriteront qui ils veulent.
Une telle Europe serait sécurisante, vis-à-vis des craintes manifestées par ceux qu’on appellent les nationalistes. Les Hongrois seraient sûrs de rester hongrois, les Polonais de rester polonais, par exemple. Ainsi aurait-elle un mérite que n’aura jamais le statut d’union entre états souverains que les souverainistes préconisent. En effet ces petits états seront très faciles à soumettre dans des confrontations bilatérales avec un état puissant, comme les États-Unis ou la Chine, voire avec un continent comme l’Afrique. Si bien que ceux qui auront choisi la souveraineté plutôt que l’identité n’auront in fine ni l’identité ni la souveraineté, rejoignant ceux qui veulent détruire l’identité. L’Europe unifiée, au contraire, pourra imposer sa vision des choses au monde entier.
Cela étant, les citoyens des états actuels ne sont peut-être pas prêts à franchir le pas tout de suite. En attendant il convient surtout de préserver l’avenir, en contrant les initiatives de tout ce qu’il y a de mondialiste et de bien-pensant, comme en répondant aux aveuglements nationalistes par des initiatives protectrices. Là les euro-réalistes peuvent apporter leur contribution.
En résumé ce qu’on vient d’exposer porte un nom : c’est l’alliance des visionnaires et des lucides.
Pierre EISNER (Le Parti des Européens)
4 commentaires
M. Eisner,
Votre article met en avant une proposition, déjà exposée par M. Guyenne récemment, qui me semble nouvelle chez le Parti des Européens (mais peut-être fais-je erreur) ou en tout cas que je ne me rappelle pas avoir lue dans votre programme. Vous insistez sur le droit d'installation qui relèvera des futurs "régions ou états" constitutifs de l'état européen unifié. Cet aspect, légitime ou non, me semble amender de façon importante la notion de citoyenneté européenne que vous avez jusqu'alors défendue.
Je formulerai trois questions:
- Comment, concrètement, seront définies les identités des différents citoyens, dès lorsqu'une seule nationalité commune doit remplacer les actuelles nationalités? Ou remettez-vous en question le principe de la citoyenneté européenne unique?
- De quelles entités parlez-vous en faisant référence aux futurs "régions" ou "états"? La transposition dans le futur état unifié des actuels états nationaux? De futures régions basées sur des revendications locales (des Normands pourront-il refuser l'installation à des Bretons)?
- Enfin, chacun des "résidents, lesquels seront chez eux et abriteront qui ils veulent", pouvant donc définir sa propre politique migratoire, ne craignez-vous pas, d'une part de pérenniser in fine la ségrégation intra-européenne existante (le rejet du plombier polonais persistera), d'autre part de favoriser de nouveau les tropismes coloniaux de certains états actuels (les Anglais préférant donc accueillir des informaticiens pakistanais que des plombiers polonais, les Français des maçons marocains francophones que des roumains, etc.)?
Je vois la séduction qu'exercent M. Orban et ses amis souverainistes sur nombre d'entre vous, mais faut-t-il à ce point renoncer à des fondamentaux pour des gens qui ne voudront de toute façon que la mise en commun par les autres de ce qu'ils n'ont pas (subventions à leur avantage, force militaire qui leur fait défaut, ...) et refuseront ardemment toute concession quant à leur souveraineté?
@ Vinayaka,
Il est en effet sans exemple que des ressortissants/citoyens/nationaux d'un même Etat se voient ainsi refuser le droit de s'installer où bon leur semblent sur le territoire dudit Etat. C'est un peu comme si on interdisait à un Auvergnat le droit de s'installer dans quelqu'autre région française, en arguant de la nécessité de préserver l'identité de la région susdite.
Je me suis pris l'autre jour à causer de ces curieuses mesures préconisées avec certaines de mes connaissances roumaines, ne fût-ce que pour jauger leurs impressions. Je puis vous témoigner de ce que cela eut juste pour effet unanime de réveiller en eux leur nationalisme cocardier, tout uniment !
Je me fait ici l'écho des critiques satiriquement acérées qui furent les leurs :
"C'est seulement la très mauvaise posture où ils se trouvent aujourd'hui, par suite de leurs irresponsables orgies universalistes, qui conduit ces malins Occidentaux à vouloir donner la main à ces lointains cousins de l'Est, qu'ils n'ont pourtant pas manqué de mépriser et de trahir en moultes et diverses fois par le passé. Et voilà qu'aujourd'hui ils ont la folle prétention de nous faire renoncer à notre souveraineté pour fraterniser avec nous dans un même élan politique, patriotique et national alors même que ceux-ci nous avertissent de ne surtout pas caresser un jour l'idée saugrenue de vouloir gagner leurs villes et terroirs en escomptant s'y installer à demeure : c'est que nous risquerions, nous disent-ils, d'y d'altérer leur irréductible identité. Tout au plus pourrions-nous fouler les territoires sacrés du couchant en vue de les sillonner selon notre bon plaisir, avant que n'arrive le temps fatidique de s'en retourner au Levant !"
Tous ensemble mais chacun chez soi...
En voulant s'insinuer peut-être dans les bonnes grâces de "tous ceux n'étant pas prêts à franchir le pas tout de suite", je crois vraiment que le Parti Des Européens cherche ici à réaliser la quadrature du cercle.
M. Cusa,
Même si nos opinions divergent parfois, je manifeste ici un accord total avec vos propos.
Dès lors que l'on fait le postulat de l'unicité du peuple européen (ce qui n'empêche nullement de reconnaître et célébrer ses variations ethniques et culturelles plus ou moins affirmées), on ne peut vouloir institutionnaliser un cloisonnement qui, de quelque manière dont on l'envisagerait, relèverait d'une forme d'artificialité et dont la légitimité serait impossible à obtenir.
Cela remettrait même en cause ce qui fait la parenté entre les populations du continent, puisqu'on en viendrait à reconsidérer le fait que nous avons tous, les uns ou les autres, été à un moment celtisés, hellénisés, romanisés, germanisés ou slavisés.
Je pense qu'un état fédéral où les régions auraient un vrai statut et une vraie capacité à faire vivre leur particularités (peut-être au sein de groupes d'intérêt pouvant reprendre les contours de certains états actuels) est un cadre institutionnel pertinent. Mais il est certains que des principes unificateurs communs, tels que la justice, l'armée, ... et la liberté de mouvement et d'installation sont indispensables à la cohésion de cet état.
C'est la politique égalisatrice de l'état jacobin français qui a mis en danger ou même éteint certaines cultures locales, pas le fait qu'un Provençal puisse s'installer en Bretagne. Pas plus que le Tyrolien ne soit aliéné suite à l'apport, au cour de l'histoire, de nouveaux venus hongrois ou siciliens. Il sera de toute façon bien difficile de définir le substrat constitutif de chaque population qui voudrait préserver son hypothétique pureté. Les particularismes locaux en Europe sont avant tout des faits géographiques, climatiques, culturels, et ceux-ci n'ont pas à craindre d'être incarnés par tout ressortissant du grand peuple européen.
@ Vinayaka
Tout à fait d'accord avec vous.
Sauf à abandonner le modèle républicain et démocratique prôné par le LPE, l'Europe-Nation ne saurait devenir un pôle de puissance véritable en faisant ainsi la part belle aux autonomies locales et aux identités ethniques particulières se tapissant dans leur niche ancestrale.
Un tel schéma siérait beaucoup plutôt en revanche au modèle impérial, mais là où le bât nous blesse c'est que ce modèle est encore moins concevable...
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