Le Front National pris dans une aporie insoluble. Constat d'une faillite programmée.
27/08/2017
Si le FN a dédiabolisé son discours, en renonçant en réalité à tout ce qui en faisait la sève, l’édulcorant au point de le rendre semblable à celui de tous les autres partis, il n’a pas démocratisé son mode de fonctionnement interne. Le président du parti, qui est toujours un Le Pen, est indéboulonnable et ne cède sa place que quand il le décide. Il est donc décrété candidat naturel du parti ad vitam aeternam, et en ce sens la présidence de « Marine » est conforme à la présidence de « Jean-Marie ».
La campagne de 2017 a révélé un double échec : échec personnel de Marine Le Pen qui n’a pas été élue présidente, même si elle a été élue député, sans groupe, dans la meilleure circonscription de France pour son parti ; échec de la stratégie politique du Front National, avec ses thèmes souverainistes, à l’instar de l’abandon de l’euro. Aux législatives, le FN a dû se contenter d’un petit 13,2%, loin des 27% obtenus aux élections européennes de 2014. Aux présidentielles, le FN a obtenu 21,3% des voix, soit à peine un point de plus que François Fillon, et 33,9% au second tour. Ce dernier résultat, s’il atteint un record, est néanmoins très inférieur à ce que le parti pouvait espérer.
Contrairement à 2002, le second tour a eu lieu d’une manière classique, le moment clé étant le débat entre les deux finalistes. Emmanuel Macron ne se déroba pas à l’affrontement, même si tactiquement il laissa filtrer la fausse information selon laquelle il quitterait le débat si Marine Le Pen l’y poussait. Les « stratèges » de Marine Le Pen tombèrent dans le piège en la poussant à un discours de rupture et de provocation.
Marine Le Pen n’a pas seulement perdu l’élection et le débat. Dans ce débat, elle a révélé son vrai niveau de compétence ou d’incompétence, selon le fameux principe de Peter. Très bonne candidate quand on lui oppose des anathèmes sans fondement, elle devient médiocre lorsqu’elle est amenée à exposer ce qui lui sert de programme. Elle est parue confuse, déconnectée des enjeux, attaquant son adversaire sur le terrain où celui-ci est le plus fort. Épuisée par une campagne mais aussi par des choix stratégiques absurdes, comme sa visite la veille du débat à un collectif africain où elle a promis 15 milliards d’euros par an pour l’Afrique, alors qu’elle ne cessait de vitupérer contre les 9 milliards d’euros versés chaque année à l’Union Européenne, elle n’avait manifestement pas le niveau. Enfin, ses quelques pas de danse à la fin d’une soirée d’échec électoral, créant une désespérance profonde auprès de ses électeurs, sympathisants et militants, ont accentué le désaveu.
On peut se remettre d’une contre-performance électorale mais pas d’un débat de second tour vu par des millions de Français, dont ses électeurs, où elle a révélé son vrai visage. Car nombreux étaient ceux qui depuis de nombreuses années connaissaient la réalité derrière le masque. Les bons résultats électoraux de ces dernières années avaient envoyé un message trompeur.
La stratégie a été mise en cause et à juste titre, mais changer de stratégie n’est pas aussi simple. Le débat sur l’euro a été mis sous le boisseau, même si Florian Philippot y revient sans cesse, mais le parti reste officiellement opposé à la monnaie unique. Le choix est désormais de ne plus en parler et d’axer le propos sur le rétablissement des frontières nationales. C’est inaudible. Les thèmes identitaires, mis en avant par Bay, et les thèmes souverainistes, mis en avant par Philippot, sont irréconciliables.
Une stratégie est également incarnée. Marine Le Pen a tellement mis en avant une ligne souverainiste qu’il lui est impossible d’y renoncer. Si changement de ligne le FN doit adopter, ce qui ne passe pas nécessairement par un changement de nom, relevant d’une logique cosmétique, il faut un changement de dirigeant, de candidat. Or c’est impossible pour les raisons évoquées préalablement. Marine Le Pen est indéboulonnable, et personne ne s’opposera à elle lors du congrès de 2018, mais elle est gravement démonétisée, et même décrédibilisée par le débat du second tour. Même Florian Philippot reconnaissait, selon un propos rapporté par le Canard Enchaîné dont il niera ensuite la réalité, que Marine Le Pen « était décrédibilisée à jamais ».
Robert Ménard, dans une tribune qui lui a valu les foudres de Florian Philippot, a clairement indiqué la nécessité d’un changement stratégique et d’un changement de direction, espérant l’émergence d’une personnalité nouvelle. Si une telle personne devait émerger, néanmoins, cela ne serait pas au Front National. A moins d’une démission surprise de Marine Le Pen, qui créerait automatiquement une scission en deux, le parti est promis à un déclin plus ou moins long. Or le FN empêche l’émergence d’une nouvelle personnalité, en son sein aussi bien qu’en dehors, car il est encore en position de monopole sur des thèmes identitaires que pourtant il réfute.
Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)
5 commentaires
Merci pour votre article, très intéressant, mais son titre est au mieux une redondance, au pire un pléonasme : une aporie est, par définition, insoluble...
Cordialement, Frederik Woudpreker
En philosophie, on cherche au contraire à surmonter l'aporie. C'était dans cet esprit que j'ai usé de ce terme qui peut se traduire par "impasse". Il n'y a ici aucune solution dialectique pour la surmonter :)
Cette attaque du "parti des Européens se veut habile Il essaye de semer la division au F.N.mais grossiere tellement elle est évidente et peu crédible de la part de quelqu'un que tout oppose au F.N.
Je n'ai pas besoin de "semer la division". Les erreurs dénoncées à juste titre par les mégretistes depuis 1998 non seulement n'ont pas été corrigées mais se sont largement accentuées. La culture de la démocratie interne est encore très balbutiante.
Une dirigeante déconsidérée par un débat du 3 mai où elle a montré qu'elle n'était pas à la hauteur ne peut et ne doit pas se présenter en 2022 à l'élection présidentielle. Comment l'empêcher en interne ? C'est impossible et c'est ce que j'explique.
Mes positions sont sur l'Europe et sur l'identité opposées à celle du FN ? Vous avez raison. Mais pas à celles de vos électeurs.
M. Ferrier, votre analyse me semble très juste... évidemment.
Je continue cependant de me demander en quoi la vie des partis dits d'"extrême droite" européens, et bien entendu français, semble vous intéresser plus que celle des autres partis et leurs déboires vous affecter plus particulièrement.
Je sais bien entendu que la position du Parti des Européens partage avec ces partis les mêmes diagnostics et propositions quant au sujet de l'immigration (et encore, extra-européenne seulement). Mais hormis cette thématique, il me semble que vous ne partagez quasiment rien avec eux, et particulièrement avec le FN.
La défense notre (nos) identité(s) ne m'apparaît clairement pas comme un cheval de bataille de ce dernier. Non seulement, il s'est toujours acharné contre la construction politique de l'Europe (et, en lui niant la pertinence d'une existence politique, il lui refuse d'affirmer une identité propre), mais son républicanisme jacobin le fait défendre une identité nationale artificielle et administrative au détriment des identités régionales historiques.
La question que je me pose est donc la suivante. Estimez-vous le voisinage électoral du Parti des Européens avec le FN propice au développement du premier? Pensez-vous, comme votre réponse au précédent commentaire semble l'indiquer, que votre électorat potentiel recouvre en grande partie celui du FN?
Ne pensez-vous pas, au contraire, que votre défense d'une construction politique européenne peut s'adresser également à des européistes d'autres bords, que vous jugez mondialistes sans doute, mais dont certains pourraient être séduits par le sens que vous apporter à cette construction?
Ou même à certains anti-mondialistes, qui, bien qu'a priori allergiques à la question identitaire, pourraient convenir que notre continent est la taille adéquate pour l'affirmation de politiques non assujetties aux intérêts mondialistes?
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