Des libertés publiques, de la justice et de l'inéligibilité
26/07/2017
Une loi dite de « moralisation » de la vie politique a été votée par l’assemblée nationale ce mardi. Parmi les motifs d’inéligibilité d’un candidat ont désormais été ajoutées les condamnations liées ce que Philippe Bilger qualifie de « délits relevant de la liberté d’expression ».
De la liberté d’opinion et d’expression.
Celle-ci est normalement garantie par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par l’article 4 de la Constitution de la cinquième république et par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ces textes ont tous une valeur juridique dans le droit français. En conséquence de quoi, toutes les lois qui cherchent à limiter la libre expression de l’opinion d’autrui contreviennent à ces principes, peu importe le motif, même à prétentions vertueuses, de leur mise en place. Toute loi qui condamnerait un individu pour avoir exprimé son opinion ne pourrait alors qu’être inique.
Aux Etats-Unis, cette liberté d’opinion et d’expression, dans une nation née notamment de gens fuyant les persécutions religieuses, est garantie par le premier amendement.
Pourquoi ne faut-il pas porter atteinte à ce principe de liberté d’expression en démocratie, même lorsqu’il s’agit de s’opposer à des opinions extrêmes ou blessantes à l’égard d’une partie de la population ? En vérité, la raison est simple, c’est qu’on ne sait jamais où doit s’arrêter le curseur. Au final, c’est à toujours plus de répression que mène ce processus dès qu’on l’entame. Il n’est pas acceptable qu’en Europe occidentale, au XXIème siècle, des citoyens aient peur d’exprimer librement leur opinion, peur d’être bannis des réseaux sociaux, peur de perdre leur travail ou d’être privés d’accès aux media parce qu’ils n’auront fait qu’exprimer une opinion dérangeante aux yeux de l’opinion de minorités ou de ligues de vertu suffisamment puissantes pour qu’une loi soit faite en leur faveur et pour ainsi définir les « opinions admises ».
La liberté d’expression dès qu’elle est enchaînée, même pour les « meilleures raisons du monde », est en danger et c’est au final la démocratie elle-même qui est menacée. La révolution française a refusé que des tables de la loi dictent quoi penser, et les droits de l’homme d’ailleurs n’ont jamais cherché à l’origine à en devenir de nouvelles. Or c’est bien une idéologie de la bien-pensance qui est désormais à l’œuvre au niveau français et même européen.
En décidant que la représentation nationale devait respecter les opinions médiatiquement admises, la loi de « moralisation » porte atteinte par ce biais aux principes fondateurs de la démocratie moderne. Ce n’est pas en effet à des juges, non élus qui plus est, de décider qui peut être élu par les Français et qui ne peut l’être. Que leur éventuelle condamnation pour des propos tenus doive être obligatoirement mentionnée sur leur profession de foi peut s’admettre. Qu’elle interdise au candidat de se présenter ne saurait l’être.
De la séparation des pouvoirs.
L’affaire Fillon a révélé un problème profond au niveau des relations entre la justice et la politique. Le principe de partage des pouvoirs est pourtant à la base de nos institutions. Or il y a de fait une confusion entre ces deux pouvoirs en faveur du pouvoir judiciaire lorsque celui-ci intervient dans la vie des partis politiques. François Fillon a vu sa campagne électorale profondément altérée par une enquête menée à son endroit à la suite de dénonciations venues de la presse. C’est une des raisons de sa défaite électorale par ailleurs. Or une telle intervention de la part d’une justice qui en France est soumise au pouvoir en place est dérangeante. Ce ne sont pas aux juges de déterminer quel doit être le prochain président de la république, mais aux électeurs.
Il faut également reconnaître que l’annonce de François Fillon de se retirer s’il était mis en examen, engagement qu’il n’a d’ailleurs pas respecté, était maladroite. C’était ainsi dépendre de l’institution judiciaire dans un domaine sur lequel elle n’a pas à intervenir.
A partir du moment où la justice n’est pas élue, donc contrôlée par les citoyens, et que la part d’interprétation dans ses décisions en matière de libre expression est considérable, jugeant l’intention davantage même que le propos, donc jugeant en fait le propos en fonction de l’individu qui le tient, selon qu’il s’agit par exemple d’Éric Zemmour ou d’un rappeur, la démocratie est menacée. Songeons ainsi au procès dont a été l’objet le professeur Georges Bensoussan, qui s’est fort heureusement soldé par un non-lieu en sa faveur, sous prétexte qu’une association avait estimé que son propos était illégal car discriminatoire à l’égard d’une religion. Nos lois actuelles encouragent ces associations à ester en justice contre des particuliers, y compris éminents dans leur domaine, et ainsi à dépenser l’argent public dans des procédures longues et coûteuses alors même que la justice souffre d’un déficit de moyens et de magistrats.
Comment agir ?
Au niveau européen, il serait bon d’introduire l’équivalent d’un premier amendement afin de garantir sur tout l’espace de l’Union Européenne la même liberté d’expression et d’opinion. Seule la diffamation personnelle d’un citoyen à l’égard d’un autre citoyen devrait pouvoir être poursuivie. Les associations et autres personnalités morales, à l’exception de l’Etat, ne devraient pas avoir le droit de se tourner en justice contre des personnalités physiques.
En garantissant la liberté d’expression, même à l’égard de propos qui nous heurtent ou nous blessent, nous garantissons ainsi nos libertés et le salut de la démocratie. C’est là un sacrifice bien modeste qu’il convient de faire pour l’intérêt de tous.
Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)
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