Zeus et Europe, une hiérogamie cachée et l'annonce d'un destin européen
29/10/2016
Zeus est qualifié d’Eurôpos, c'est-à-dire « au large regard », chez Homère. En sanscrit, dans le Rig-Veda, le dieu suprême Varuna est décrit comme Urucaksas, forme parallèle de sens exactement identique. De longue date, non sans raison, Varuna et le grec ont été comparés, l’un et l’autre venant alors de la forme originelle indo-européenne *Werunos, au sens de « dieu de l’espace » (c'est-à-dire le dieu vaste). En Inde comme en Grèce, ce surnom du dieu céleste *Dyeus est devenu une divinité en tant que telle.
Les Grecs, sous l’influence probable de la théogonie hourrite ou hatti, influence indirecte due vraisemblablement aux Hittites, ont multiplié les divinités jouant le même rôle. On peut ainsi souligner qu’Hypérion, Hélios et Apollon sont redondants, de même que Phébé, Séléné et Artémis (sans oublier Hécate). C’est aussi le cas du dieu suprême qui est ainsi divisé en trois dieux séparés que sont Ouranos, Cronos et Zeus. En réalité, tout porte à croire que Zeus est le seul et unique dieu du ciel, malgré Hésiode, et qu’Ouranos n’a jamais été à l’origine qu’une simple épiclèse de Zeus. De même, Varuna a sans doute été un des aspects de Dyaus Pitar, avant de se substituer à lui, et de ne plus laisser à son nom d’origine qu’un rôle très effacé dans la mythologie védique.
Ce Zeus Eurôpos, ce « Dyaus Urucaksas », a selon la tradition grecque de nombreuses épouses. Or une déesse est qualifiée d’Eurôpê à Lébadée en Béotie et à Sicyone dans le Péloponnèse. Ce nom d’Eurôpê, dont le rattachement à une racine phénicienne ‘rb est purement idéologique, et ne tient pas une seconde d’un point de vue étymologique, est nécessairement la forme féminine d’Eurôpos. Or ce n’est pas n’importe quelle déesse qui est ainsi qualifiée, elle et uniquement elle, de ce nom d’Eurôpê, indépendamment de la princesse phénicienne, crétoise ou thrace qu’on appelle ainsi, et qui n’est alors qu’une vulgaire hypostase. C’est Dêmêtêr, mot à mot la « Terre-mère », version en mode olympien de Gaia (ou Gê) et peut-être déesse d’origine illyrienne, même si non nom apparaît vraisemblablement dès l’époque mycénienne.
Il existe en effet en Albanie moderne une déesse de la terre, qui est qualifiée de Dhé Motë, ce qui veut dire la « tante Terre » car le sens de motë, qui désignait bien sûr la mère, a pris ensuite le sens de tante. De même, le nom albanais originel de la tante, nënë, a pris celui de la mère. Cela donne aussi une déesse Votrë Nënë, déesse du foyer analogue à la déesse latine Vesta et à la grecque.
Le nom de Dêmêtêr, qu’il soit purement grec ou illyrien, a le sens explicite de « Terre-mère » et remonte aux temps indo-européens indivis, où elle portait alors le nom de *Đγom (Dhghom) *Mater. Ce n’était pas alors n’importe quelle divinité mais sous le nom de *Diwni [celle de *Dyeus], elle était ni plus ni moins l’épouse officielle du dit *Dyeus (le « Zeus » indo-européen). L’union du ciel et de la terre, de Zeus Patêr et de Dêô (Δηώ) Matêr donc, remonte ainsi à une époque antérieure même aux Grecs mycéniens.
Il est donc logique qu’à un Zeus Eurôpôs soit unie une Dêmêtêr Eurôpê, l’un et l’autre étant des divinités « au large regard », l’un englobant l’ensemble du ciel et la seconde l’ensemble de la terre, à une époque où celle-ci était encore considérée comme large et plate, d’où ses deux noms divins en sanscrit, à savoir Pŗthivi (« la plate »), c'est-à-dire Plataia en grec et Litavis en gaulois, et Urvi (« la large »).
L’union de Zeus sous la forme d’un taureau avec Europe est donc une hiérogamie, une union sacrée entre le ciel et la terre, union féconde donnant naissance à trois enfants, Minos, Eaque et Rhadamanthe, chacun incarnant l’une des trois fonctions analysées par Georges Dumézil. La tradition grecque évoque d’autres unions de même nature, ainsi celle de Poséidon en cheval avec Dêmêtêr en jument, cette déesse ayant cherché à lui échapper en prenant la forme de cet animal. Dans le cas d’Europe, on devine qu’elle aura elle-même pris la forme d’une vache.
Le nom d’Europe qui désigne le continent qui porte son nom indique qu’elle est la Terre par excellence, mère nourricière du peuple grec vivant sur un continent béni par Zeus lui-même. Lui donner une origine phénicienne, à part pour des raisons poétiques bien étranges, est donc un contre-sens auquel même certains mythographes antiques se firent prendre.
Et que son premier fils se soit nommé Minôs, là encore, ne doit rien au hasard. Bien loin d’être en vérité un ancien roi de Crète, il était surtout un juge infernal et le plus important. Or Minôs n’est en réalité que le premier homme, celui que les Indiens appellent Manu, d’où les fameuses lois qui lui sont attribuées, et les Germains Manus. L’idée que le premier homme devienne à sa mort le roi des Enfers n’est pas nouvelle. Le dieu infernal Yama et son épouse Yami ayant été par exemple le premier couple mortel. Minôs est le « Manus » des Grecs, bien avant qu’Hésiode invente Deucalion. Et s’il juge les hommes au royaume d’Hadès, la seule raison en est qu’il est celui qui a établi les anciennes lois.
Ainsi l’Europe est-elle non seulement la Terre par excellence, l’épouse de Zeus en personne, dont Héra n’est qu’un aspect, celui de la « belle saison » et de la « nouvelle année » (sens de son nom latin Junon), mais elle est la mère des hommes, la matrice de la lignée des éphémères, ou du moins d’une partie d’entre eux.
Europa est ainsi la mère de Gallia et de Germania, de Britannia et d’Italia, d’Hispania et d’Hellas et désormais mère aussi de nouvelles nations comme la Polonia, la Suecia et la Ruthenia (Russie), depuis les fjords de Thulé jusqu’à Prométhée sur sa montagne, depuis la Lusitania jusqu’aux steppes profondes de Sarmatia.
Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)
15 commentaires
Bonjour,
L'anglais man et l'allemand Mann dérivent-ils aussi du nom du premier homme ?
Connaît-on le mythe indo-européen commun de la première femme ?
Le mot indo-européen *manus désigné à la fois l'homme et le premier homme. J'imagine que la première femme s'appelait *gwena.
*Manus était surtout l'homme macrocosme qui servit aux dieux à créer l'univers, comme Ymir chez les Germains ou Purusha en Inde. On retrouve l'homme comme mesure de toutes choses chez les Grecs et jusqu'à Léonard de Vinci.
Le nom d'Ymir, indo-européen *yemos "jumeau", laisse penser que *Manus était au départ asexué. L'humanité au sens strict semble être née de l'arbre cosmique, créée par le dieu forgeron (Héphaistos) ou tout simple de naissance divine.
Les (Indo-)Européens se pensaient comme petits-fils de *Dyeus, le dieu du ciel, et fils de *Maworts, le dieu de l'orage. Certes mortels, alors que les dieux ne l'étaient pas, mais qui contenaient en eux une étincelle divine et donc une âme immortelle.
volontairement 2 fois hors sujet... Salut mon cher Ferrier, je ne me mêle pas de politique, mais si tu peux convaincre les musulmans de combattre l'Islamisme, c'est merveilleux. Sur le site du PSUNE j'ai lu le mois dernier comme un débat sur la façon de classer les divinités indo-européenne (qui sont liées à la Mésopotamie, surtout par Vénus-Astarté-Innana)(et peut-être aussi à l'ancienne Chine, sinno-européen). L'important est que les 3 fameuses classes de Dumézil et même du Saint Nietzsche un peu aristo sur les bords s'écroulent avec la clarté de Shrî Aurobindo. Il y a 4 classes et une déesse qui se promène entre 2! Ça résout les problèmes ou presque des classements. Les 4 classes hindous (aryennes sans cheveux blonds) nous ouvrent les yeux sur notre passé. Laksmî la Belle donne quand descend la Grâce...
Est-ce que ceux et celles qui se posent de telles questions ont un lien privilégié avec le SURMENTAL???
Les divinités indo-européennes n'ont aucun lien avec la Mésopotamie. Venus est la déesse indo-européenne de l'aurore et de l'amour version romain. Aphrodite elle-même est aussi un surnom de l'aurore en tant qu'amoureuse céleste (voir les Apsaras, qui peuplent le paradis d'Indra, en Inde).
L'existence d'une quatrième fonction doit être comprise comme une anti-fonction et non comme une fonction supplémentaire. La trifonctionnalité indo-européenne est structurante avec le dieu du ciel en 1, la déesse de la terre en 3 (accompagnée de jumeaux divins à caractère équestre) et le fils du ciel et de la terre, dieu de l'orage et de la guerre en 2 (avec comme épouse la déesse de l'aurore et de l'amour).
Shri Aurobindo a eu raison sur un point, il a fait le lien entre Arès et Arya (in "Arya, its significance").
"Shri Aurobindo a eu raison sur un point" Là tu parles en politicien, moi je ne veux discuter que de choses plus profondes qui concernent une Tradition Primordiale. Salut à toi, Thomas, ne doute pas de tout, c'est un péché!
Sans vouloir vous contredire, j'aimerais bien partagé ma vision, issue de longues promenades dans un labyrinthe mental, sur la pyramide divisée en 4. C'est en relisant le petit livre "La Mère" d'Aurobindo, à la page 47, que j'ai presque arrêté de me casser la tête. Il est question là des 4 aspects de la Mère:1-Mahéshwarî, 2-Mahâkâlî, 3-Mahâlakshmî et 4 Mahâsaraswatî. Aussi en Inde, au-dessus des serviteurs-shudras, il y a les marchands-vaishyas. J'entends ces derniers comme les riches propriétaires, les grands investisseurs, pas comme les petits épiciers. Ceux qui marient souvent les plus belles femmes, ceux qui jouissent vraiment de l'abondance et du luxe. Aurobindo dit: "les fonctions religieuses et intellectuelles (1), les fonctions politiques (2), les fonctions économiques (3) et enfin celles de service." (réf. Essai sur la Guîta p.563). Donc 1-prêtre: mental, les intelligents, énergie sattwa, 2-guerrier,gouvernement: vital supérieur, les courageux, les forts, énergie radja supérieur, 3-les ceux qui édifient la fortune, vital et radja moyens 4- tamas (inertie), sans l'énergie qui élève par la richesse, la noblesse ou le sacerdoce, mais la contrainte au travail, l'immense masse de travailleurs. Autrement dit: Odin, Mars, Vénus-Lakshmî-Sôma, Minerve et les dieux des paysans (Minerve en tant que sagesse pratique à la romaine, pas "sagesse" dans le sens d'un philosophe français qui bavarde à la télé!!!). Il me restait à classer les divinités de la mort. Je les mets en 4, avec le tamas, dans la Terre en friche, avec les cultes à mystères, avec le bas qui peut-être le début d'une ascension, avec la mort qui mène à la réincarnation d'une parcelle divine... Faut pas oublier que les différentes énergies s'entremêlent et fluctuent. Ex. Un Druide en guerre ou un concierge qui goûte parfois à la béatitude ou un homme qui devient brave grâce à l'amour... Mon secret est révélé!!!
Le système à quatre castes est une dérive du système originel, qui lui-même n'est qu'une transposition sur le plan politique d'une structure de pensée qui n'a jamais été appliquée comme telle aux temps indo-européens. Le modèle originel est 3 en 1, à savoir les trois fonctions en chaque individu, ce dernier étant à la fois citoyen et prêtre (1), soldat (2) et paysan (3). Tout comme Romulus est roi (1), fils de Mars (2), et jumeau divin avec son frère Remus (3).
La quatrième caste n'est pas celle du service mais celle des esclaves, ce qui n'est pas exactement synonyme. Sudra = dasa, même racine que le grec doulos, de l'indo-européen *doselos "esclave". Il faut donc considérer cette caste comme une invention ultérieure.
Le vaisya est à l'origine le paysan et uniquement lui, ensuite devenu par extension le propriétaire d'une forme de latifundia à l'indienne. Le sens médiéval de laboureur en français désignait aussi un propriétaire terrien et non plus un simple travailleur libre de la terre.
Quant à Athéna ou Minerve, c'est l'Aurore guerrière et amoureuse, et pas seulement la déesse de l'intelligence (pratique), l'intelligence théorique étant l'apanage d'Apollon et d'Hermès. En tant que telle, elle relève au même titre que le dieu de l'orage de la 2ème fonction. Qui concerne aussi bien la guerre (pour les hommes) que l'amour (pour les femmes). N'oublions pas ainsi que les Amazones sont filles d'Arès mais que plusieurs succombèrent au charme des héros (Héraclès, Achille, Thésée) tout comme les Valkyries (apparentées elles aussi à Athéna).
Je me sentais égoiste de ne pas partager mon fil d'Ariane, mais c'est le mien, par Ulysse et Dionysos! Pour parler comme tu peux l'entendre... Je vois PÈRE FILS FILLE et MÈRE. Le tabou de l'argent et de l'abondance qui s'est fait chair, instinct chez les judéo-chrétiens, hypocrites malgré eux, nous a fait un voile noir sur la Fille du Ciel qui est devenue la plus brillante des étoiles... C'est la bourgeoisie française qui me semble avoir détruit l'Ancien Régime. Ya un lien, tu vas finir par le comprendre. Il y a des gens qui ont plus de cash, de moyens, que d'autres. D'autre part, la religion européenne d'origine est trop peu connu. Mais les mélanges culturels semblent avoir eu lieu. Ex. Sumériens (qui n'ont pas disparus d'un coup enlevés par des ovnis) Canannéens Phéniciens Cartagiens Libanais
Il n'y a pas de "tradition primordiale" car il n'y a pas d'universalisme. Il y a sans doute en revanche une tradition caucasienne, un socle commun à tous les peuples caucasiens (au sens anglo-américain du terme).
La religion européenne est connue. Elle s'appelle religion proto-indo-européenne. J'ai laissé traîner quelques articles à son sujet.
J'apprécie ta démarche, mais tu es parfois Katégorike comme Kant, trop dans l'intellect robotique et pas assez dans l'intuition et l'inspiration... Sauf votre respect!
Je suis précis puisque je pense pas mal maîtriser le sujet. Cela n'interdit pas ce que j'appelle la méta-histoire qui est une reconstruction mentale (simulation) de la pensée antique afin d'en comprendre les subtilités. Cela s'apparente de fait à un processus intuitif.
Je me sens comme un taoiste parlant de par le Dao avec Confucius! La pensée chinoise antique intégra la complémentarité, Nietzsche détruisit notre dualisme occidental. Méditons un peu comme Hubert Reeve, l'astrophysicien, très respecté au Québec, dans son "Malicorne", les poètes et les "scientifiques" doivent vivre ensemble en harmonie pour comprendre le Monde... Il faut être poète pour interpréter l'art rupestre! Einstein lui-même valorisait l'imagination, même ses rêves... Et l'on ne peut pas se dire PAIEN sans être quelque peu CROYANT!
Je ne m'intéresse pas, cher Will, aux pensées non indo-européennes. La pensée chinoise, dont j'ignore tout ou presque, ne m'intéresse pas. Je sais juste que le yin et le yang sont des concepts à l'origine indienne (yoni et lingam).
Je suis croyant en tant que païen mais je crois aussi aux vertus du doute. ;-)
J'aime bien votre sincérité, mais j'aime d'abord l'Universalité. (ça rime!) Le Divin et les divinités ne se préoccupent jamais d'un seul "peuple" ou d'une "seule religion", le Tout change toujours. Même avec l'art rupestre sur les grottes de Lascaux, le Yoni et Linga sont présents. "Trou-blessure-sang, nuit" et "Verge-lance-attaque, jour"??? Il y a quelque chose du Yin et Yang, notions devenues populaires sur la terre. La majorité ne connaît point l'origine, plusieurs se font des tatous, mais le symbole yin-yang perdure dans l'esprit des gens. Que pensez-vous du symbolisme pré-historique, cher Ferrier?
Les commentaires sont fermés.