De l’impasse souverainiste au défilé des Européens ? (2/2)
14/02/2016
Si le souverainisme français ne propose qu’une impasse, on l’a vu, et la situation est d’ailleurs assez comparable chez nos voisins européens, à quelques nuances institutionnelles près, il pourrait en revanche exister une solution européenne, continentale, audacieuse, qui consisterait à une rupture politique au niveau de Strasbourg et non plus au niveau de Paris ou de Berlin et ce par la voie démocratique.
Des conditions préalables à cette rupture sont impérativement requises. Il s’agit en premier lieu de disposer d’un parti politique unitaire de rassemblement des Européens sur une ligne révolutionnaire. Il s’agit ensuite de faire émerger ledit parti, bénéficiant alors de ralliements populaires significatifs et d’une médiatisation suffisante, afin qu’il soit en mesure d’obtenir au moins 30% des voix au niveau de l’actuelle Union Européenne et donc de faire entrer au sein du parlement de Strasbourg un nombre très important de députés.
Dans ce contexte favorable, ledit parti bénéficierait d’un groupe conséquent au parlement et serait en mesure de bloquer le fonctionnement de ses institutions, d’empêcher le petit jeu droite/gauche de répartition d’un pouvoir certes symbolique (présidence du parlement, présidence des commissions), de refuser par principe le candidat à la présidence de la commission présenté par les Etats, en proposant éventuellement son propre candidat issu de ses rangs.
Avec une forte minorité de l’opinion publique derrière soi, nombreux députés de la droite et du centre seront sans doute tentés d’un rapprochement avec ledit parti européen, lui permettant alors de disposer d’une majorité de basculement. Dans ce cadre, le Parlement Européen s’auto-proclamerait assemblée européenne constituante. Ce schéma rappelle fortement les bases de ce qui allait devenir la révolution française entre mai et juillet 1789. A l’époque, le Tiers-Etat, confronté à un pouvoir vacillant et à un roi pusillanime, avait obtenu le doublement de sa représentation, avant de rompre finalement avec les institutions monarchiques lors du célèbre serment du jeu de paume en fondant l’assemblée nationale constituante.
Il s’agirait donc ni plus ni moins de ce que Helmut Schmidt, qui était partisan de cette solution pour faire avancer l’Europe, a appelé un « putsch démocratique » contre les Etats, contre les gouvernements et donc contre la Commission dont les membres sont mis en place par lesdits gouvernements.
En 1789, le roi de France, après avoir cédé à plusieurs reprises, et on imagine aisément nos gouvernements actuels, démissionnaires dans la crise des migrants par exemple, agir de même, voulut reprendre la main en attirant des troupes mercenaires à Paris, de manière à mâter les « insurgés institutionnels », déclenchant alors l’ire populaire des Parisiens, ces derniers s’emparant violemment de la si insignifiante prison de la Bastille et amenant le roi à céder sur toute la ligne. Louis XVI chercha par la suite secrètement à étouffer la révolution en encourageant une intervention étrangère, ce qui amena à sa fuite et son arrestation à Varennes, et à la victoire contre toute attente de Valmy face à la coalition « internationale ».
De la même manière, les gouvernements nationaux chercheront à étouffer cette révolution européenne naissante en faisant appel à l’armée. Mais ceux-ci, impuissants et lâches, céderont probablement très rapidement. L’idée même de faire tirer sur des Européens amassés autour de Strasbourg afin de défendre les « acquis de la révolution » leur sera odieuse, alors même qu’ils sont incapables de toute façon de faire tirer sur qui que ce soit. En outre, un parti capable d’obtenir 30% des voix aura de nombreux relais de fait dans les armées nationales. L’exemple de l’empire romain rappelle que nombreux furent les empereurs à finir sous le glaive de leurs propres troupes.
Mais si les gouvernements nationaux sont défaillants, il est probable qu’une coalition internationale pilotée par l’OTAN, donc par les USA, pourra voir le jour. Une telle ingérence américaine, inévitable, ne pourrait alors qu’amener un autre acteur à rentrer dans le jeu, à savoir la Russie. Cette dernière aurait tout intérêt à neutraliser tout interventionnisme atlantiste et aurait le beau rôle en protégeant de fait l’expression populaire européenne.
Il est alors possible que l’armée européenne ne naisse pas par décision du politique mais sur le terrain, par le ralliement à la révolution de généraux et de troupes venus de tout le continent, à l’instar de Louis Rossel pour la Commune de Paris. L’armée européenne naîtrait au combat, et l’Europe unie connaîtrait son Valmy.
Mais ce schéma changerait toute la donne. L’Etat Européen naîtrait par un enfantement douloureux, comme tout régime naissant face à un contexte tendu. Mais il serait délié de toute allégeance institutionnelle, ne rendant compte que devant le peuple, c'est-à-dire les Européens. Il ne serait plus tenu par aucun traité, aucune convention internationale, aucune constitution verrouillée, aucun droit « devenu fou ». Il pourrait tout faire une fois les soubresauts de sa naissance rapidement digérés.
En résumé, les souverainistes ne pourront rien faire mais des « européistes » révolutionnaires dans le style de ceux que je décris ici pourraient non seulement arriver au pouvoir à un niveau pertinent pour agir librement, c'est-à-dire au niveau de l’Union Européenne actuelle, mais pourraient radicalement changer les politiques actuelles et passées, et redonner aux Européens, au détriment de leurs anciennes élites nationales dévoyées, leur véritable souveraineté, non pas théorique comme le prônent les souverainistes « nationaux », mais une souveraineté continentale réelle dans le cadre d’une Europe unie solide et puissante.
Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)
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