Turquie : succès logique de l’AKP d’Erdogan
01/11/2015
Les sondages annonçaient unanimement que le pari de Recep Erdogan serait une fois de plus perdu. Samedi dans la journée, j’ai eu pourtant une autre intuition. Je sentais que les sondages seraient démentis et que l’opinion turque se ferait encore avoir par leur autocrate. Je me souvenais aussi de ce meeting de Strasbourg où Erdogan avait donné des leçons à toute l’Europe alors que jamais ni la France ni l’Allemagne n’auraient dû l’autoriser à s’exprimer devant sa diaspora afin de mobiliser les électeurs turcs d’Europe. On peut deviner d’ailleurs que ceux-ci auront massivement répondu à son appel.
Erdogan avait comme objectif numéro 1 de briser le parti HDP d’où sa campagne politique et militaire au Kurdistan et ce tout en prétendant lutter contre Daech, responsable d’un terrible attentat à Ankara (95 morts et 246 blessés). Il a échoué de peu car le HDP a obtenu 10,6% des voix et 59 sièges.
Toutefois, l’AKP obtient 49.1% des voix et 316 sièges sur 550 (57.5% des députés) progressant ainsi de plus de 8.3 points. Il dispose désormais de la majorité absolue, néanmoins insuffisante pour modifier la constitution, pour une fois de plus gouverner. Beaucoup d’électeurs turcs, dans un contexte anxiogène, ont eu peur de se retrouver sans gouvernement une fois de plus. Le CHP étant trop éloigné dans les sondages de l’AKP, il ne pouvait apparaître comme en situation de gouverner. Seule une alliance CHP-MHP, donc sur une ligne nationaliste, pouvait en effet peser en face de l’AKP.
Le CHP avec 25.% des voix (+0.4) et 134 sièges maintient ses positions, comptant sur un socle électoral stable. Ses électeurs traditionnels n’ont pas été dupes des manipulations du pouvoir pour se maintenir à tout prix. Mais c’était insuffisant pour pouvoir renverser les grandes tendances. Au-dessus de 40% des voix, l’AKP est de fait incontournable. Il bénéficie aussi de la réislamisation progressive de la société turque, l’œuvre de déconstruction de l’héritage kémaliste par le subtil Erdogan.
La raison principale de ce succès de l’AKP tient surtout à l’attitude de certains électeurs. Ceux du Saadet (islam conservateur) ont préféré le vote utile, le Saadet n’obtenant plus que 0.6% des voix (-1.4). C’est le MHP nationaliste qui perd le plus à ce jeu, avec seulement 11.9% des voix (-4.4) et 41 sièges. L’attitude d’Erdogan à l’égard des Kurdes a pesé nettement dans ce résultat. De même, le HDP a limité la casse mais a perdu 2.5 points. La stratégie de l’AKP a donc été doublement gagnante, affaiblissant le HDP, accusé de tous les maux, mais aussi le MHP. Les nationalistes les plus islamisants auront en effet choisi Erdogan au lieu de Bahçeli.
Les autres partis politiques font une simple figuration. Le BBP (national-islamiste) obtient 0.6% des voix seulement (il était absent des élections précédentes). Les organisations d’extrême-gauche sont balayées (0,9%) comme les mouvements démocratiques (0.3%) et comme le mouvement nationaliste Millet (« Parti de la nation ») qui obtient… 0% des voix.
L’Union Européenne, et les principaux dirigeants de ses Etats membres, est responsable de cette situation en cautionnant depuis des années les dérives autocratiques du pouvoir turc alors même qu’elle prétend les dénoncer. En demandant l’aide à la Turquie pour lutter contre les flux migratoires, au prix d’une relance des pourparlers d’adhésion à l’Union Européenne, ce dont une écrasante majorité d’Européens ne veut pas, Angela Merkel a offert à Erdogan le plus beau des cadeaux, sa caution. Il est logique qu’il en soit donc récompensé dans les urnes.
Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)
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