La cote d’amour de l’Europe en berne (Eurobaromètre 79)
23/07/2013
L’eurobaromètre de juillet 2013 vient d’être publié par l’Union Européenne. Bien sûr, les questions les plus dérangeantes comme l’identité européenne ou l’élargissement, et notamment le cas de la Turquie, n’ont pas été posées, car on devinait une réponse qui ne plairait pas à nos dirigeants. Mais les renseignements fournis par ce sondage demeurent intéressants.
62% des Européens se sentent citoyens de l’Union, ce qui est tout de même relativement faible. Il faut dire que les avantages de cette « citoyenneté » ne sautent pas aux yeux puisqu’elle n’apporte aucune plus value notable par rapport à la citoyenneté « nationale ». Ce serait différent si la séparation entre ceux qui seraient citoyens européens et ceux qui ne le seraient pas été bien plus significative et si les règles de son acquisition n’étaient pas automatiquement liées à un processus de naturalisation interne à un des états membres. Le principe d’une nationalité européenne, synonyme plus ou moins de citoyenneté européenne, avec des critères précis d’attribution et offrant une « exclusivité citoyenne », renforcerait considérablement une Europe en berne en lui offrant un complément d’appartenance identitaire qui lui fait défaut.
Néanmoins, il y a donc 37% des Européens qui ne se considèrent pas comme citoyens de l’Union mais exclusivement comme citoyen national. La France est légèrement en dessous de la moyenne quant à ce sentiment, car 61% des Français seulement se considèrent comme citoyens européens. C’est bien moins que d’autres pays comme Malte (81%), l’Allemagne (73%) ou des pays plus eurosceptiques en apparence comme le Danemark (71%) ou la Suède (69%), mais c’est toutefois davantage qu’au Royaume-Uni (48%), qu’à Chypre (45%) et en Grèce (44%). L’impact de la crise économique dans ces deux derniers pays explique pour beaucoup ce résultat, alors que l’UE leur apparaît comme punitive. Mais n’oublions pas que le désaveu de la classe politique nationale est encore plus fort.
Même si un vent d’euroscepticisme semble souffler sur notre continent, il s’inscrit dans un contexte de défiance des Européens contre le pouvoir politique, communautaire comme national. 31% des Européens ont confiance dans l’Union Européenne, ce qui est certes peu, mais 26% seulement en leur parlement national, et 25% en leur gouvernement. C’est une crise politique générale à laquelle nous assistons et qui emporte tout sur son passage.
L’optimisme pour l’avenir de l’Union Européenne n’est également pas brillant. 49% restent optimistes, mais 46% sont désormais pessimistes. Parmi les plus optimistes, nous avons le Danemark (72%) et la Pologne (63%), mais 44% seulement des Français le sont, 40% des Espagnols et des Britanniques, 30% des Grecs, 28% des Chypriotes et autant de Portugais.
La question de l’€uro, cette monnaie unique qu’on accuse de tous les maux, est différente. On pourrait imaginer que les pays dans lesquels le sentiment européen est fort seraient les premiers à le soutenir, mais il n’en est rien. Si 51% des Européens y sont favorables, 43% lui sont opposés. Le soutien en France et en Allemagne est modéré (62% et 66%), alors qu’il est nettement plus fort dans certains pays slaves mais aussi en Belgique (76%) et en Finlande (75%).
Les pays qui ne possèdent pas l’€ comme monnaie sont généralement hostiles à cette dernière. 25% des Tchèques, 29% des Polonais, 32% des Danois mais seulement 15% des Britanniques et 19% des Suédois sont favorables à la monnaie unique. Ce désaveu n’est pas surprenant dans le contexte actuel, et notamment au Royaume-Uni, où la propagande €uro-phobe est particulièrement virulente. Paradoxalement, en Hongrie, 50% des habitants sont pour l’€, ce qui n’est pas le cas du futur adhérent à la zone, la Lettonie (43% de pour), et encore moins pour la Lituanie voisine (40%). 79% des Britanniques et des Suédois sont opposés à toute introduction. Dans le cas de la Grèce, en revanche, 60% des Grecs veulent conserver la monnaie unique (36% sont contre) et dans le cas de Chypre, c’est 47/47, la crise bancaire ayant un effet désastreux sur l’image monétaire en général.
On peut ainsi constater que le sentiment européen est à la baisse et qu’en tout cas il ne converge pas avec le soutien à l’€uro. Certains pays où l’européanité est forte (Suède, Danemark) ne veulent pas en entendre parler, alors que les Britanniques sont encore plus hostiles, mais 48% d’entre eux restent européens. La volonté de l’aile dure du parti conservateur de Cameron de sortir leur pays de l’UE divise l’opinion. Le rejet de l’€uro en revanche est très massif.
L’image de l’UE est depuis deux ans très dégradée. 30% en ont une image positive, 29% une image négative, et 39% restent neutres. La chute est de dix points en deux ans, la rupture étant l’été 2011. On passe alors de 40% à 30% de soutien en moyenne, et l’euroscepticisme progresse d’à peu près autant. C’est 10% des européens dont l’UE a perdu le soutien et notamment en Grèce.
En outre, l’Allemagne et la France ne se retrouvent pas exactement dans la même situation. C’est 12 points de moins en France concernant le sentiment européen, et 4 points de moins concernant le soutien à l’€uro. Rien cependant n’indique une vague de populisme reposant sur une défiance spécifique envers l’Union, même si les préoccupations économiques dominent.
Cette image se dégrade surtout dans les pays subissant la crise, avec -3 en Irlande, -2 en Grèce, -4 en France, -5 aux Pays-Bas et - 5 aussi en Slovénie. C’est en Slovaquie (+6), en Croatie (+7) et au Royaume-Uni (+4) que son image s’améliore, ainsi que dans la plupart des pays souhaitant adhérer, +5 en Turquie, +4 en Macédoine, +2 en Serbie.
Dans le détail, concernant l’€uro, l’Espagne connaît une vraie baisse de confiance (-11) devant là encore des pays en crise, avec -5 en Grèce, -7 en France et aux Pays-Bas ainsi qu’en Pologne, -6 en Slovénie et -4 en Suède. La cote de l’€uro en revanche s’améliore en Hongrie (+9) et légèrement au Royaume-Uni (+1) et surtout au Monténégro (+6). 48% des Islandais, 58% des Serbes et 74% des Monténégrins soutiennent l’€uro. Le score est certes modeste en Islande mais montre que l’envie de rejoindre la zone €uro, mais pas l’UE, est forte.
Enfin, si la question de l’élargissement à la Turquie n’a pas été posée, une question générale sur l’élargissement permet de s’en faire une opinion, car elle est présente dans toutes les têtes. Le rapport de force entre les partisans de l’élargissement et leurs opposants est défavorable aux premiers dans les anciens pays de la CEE, avec 36/61 en Belgique, 18/75 en Allemagne, 42/53 en Grèce, 22/71 en France, 30/56 à Chypre, 31/66 au Luxembourg, 28/68 aux Pays-Bas , 23/69 en Autriche, 26/70 en Finlande, et 33/58 au Royaume-Uni. Le refus de tout élargissement est considérable en France et en Allemagne, dans une moindre mesure en Autriche et en Finlande. Si le gouvernement de ce dernier pays est très favorable à l’élargissement, il est désavoué par ses citoyens.
Ne sont favorables, à une courte majorité, de l’élargissement que des nouveaux pays membres, et aussi certains des candidats. 68% des Monténégrins, 71% des Croates, 57% des Serbes et 85% des Macédoniens sont favorables à un élargissement les intégrant. 42% des Islandais, contre 46%, partagent leur avis. L’euroscepticisme domine encore l’opinion islandaise, même si de peu. En Turquie, 43% des Turcs sont pour l’adhésion, 35% y sont opposés, et beaucoup demeurent sceptiques. L’attitude de l’UE sera déterminante pour savoir vers quelle majorité l’opinion basculera. L’opinion européenne est pourtant claire, 37% sont pour un élargissement, beaucoup pensant aux pays balkaniques, et 53% sont opposés, songeant surtout au cas de la Turquie. La baisse est sensible en Allemagne (-3), en France (-4) mais surtout aux Pays-Bas (-8) et au Portugal (-7), ainsi qu’à Chypre (-5).
En conclusion, l’opinion publique continentale se sent majoritairement européenne, même si ce sentiment a baissé en deux ans. Elle soutient plutôt l’€uro mais avec une forte disparité selon les pays, certains y étant radicalement hostiles (Royaume-Uni, Danemark, Suède et Tchéquie). Elle est opposée à l’élargissement, notamment à la Turquie. Elle a de moins en moins confiance dans l’UE, même si elle désavoue davantage encore sa classe politique nationale. Certains pays subissent indiscutablement une crise existentielle comme la Grèce, du fait d’une économie très défaillante. Le Portugal semble réagir d’ailleurs d’une manière aussi forte.
A un peu moins d’un an des élections européennes, ces résultats ne sont pas encourageants pour les partisans de l’UE, même s’il est difficile de savoir comment cela peut se traduire dans les urnes, dans un pays comme le Portugal et l’Espagne où les radicalités politiques sont pour le moment marginales.
Thomas FERRIER, secrétaire général du PSUNE
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