Le retour de Superman
23/06/2013
Sept ans après le très moyen Superman returns (2006), après dix ans de diffusion de la série Smallville à la télévision, Kal-El est revenu sur les écrans de cinéma. Man of steel de Christopher Nolan et Zach Snyder était très attendu, car de sa réussite dépendrait la renaissance de la franchise. Force est de constater que ce film est à la hauteur des espérances, même s’il a déplu à la critique officielle et « autorisée » et à tous ceux qui prétendent vouloir défendre « l’exception française » en cinéma, ceux-là même qui en réalité trahissent l’esprit européen fondé sur le principe du héros, esprit auquel encore une fois les (Euro-)Américains rendent hommage.
Par rapport au Superman de 1978, Krypton revisité nous plonge immédiatement dans un monde aux contours franchement étrangers, une planète où règnent les principes de l’archéo-futurisme, entre usines colossales et dragons, nouvelle chevalerie et reproduction ex utero. La destruction programmée de Krypton évoque une planète se refermant sur elle-même, abandonnant l’exploration spatiale, et épuisant ses ressources au point d’avoir irrémédiablement condamné l’existence même de la planète, et ayant perdu toute créativité. Sur Krypton, les enfants ne naissent pas de leurs parents biologiques et sont sélectionnés en fonction des tâches qui leur seront ultérieurement confiés. Ainsi, le général Zod est-il conditionné pour être le protecteur de Krypton, n’ayant aucune liberté quant à choisir son destin et étant prêt à toutes les extrémités, sans morale inhibitrice, pour assurer le salut de son peuple.
Un clin d’œil historique étrange apparaît sous la forme du codex, un crâne qui conserverait tout le patrimoine génétique des Kryptoniens, et dont se saisit Jor-El, remarquablement interprété par Russell Crowe. Or ce crâne n’est autre que celui d’un australopithèque, comme si en vérité les Kryptoniens étaient tout simplement originaires de la Terre, ce qui expliquerait pourquoi ils sont semblables aux humains dans un environnement pourtant sans aucun rapport avec le nôtre. L’origine autochtone est évidemment impossible pour des raisons évidentes d’évolution des espèces. Cette aberration scientifique, que les Comics n’ont jamais expliquée, trouve alors une explication. Par ailleurs, cette volonté dans un environnement de science-fiction de donner une forme de logique et de réalisme, correspond pleinement à la grille de lecture de Christopher Nolan dans sa trilogie consacrée à Batman. Les pouvoirs de Superman, en raison des effets de notre soleil jaune, sont aussi expliqués.
Man of steel insiste peu ou pas du tout sur des aspects traditionnels des films précédents. Exit la kryptonite verte. Exit la forteresse de solitude, remplacée par un vaisseau d’exploration kryptonien de 18000 ans d’âge échoué sur notre planète. Exit Lex Luthor, malgré quelques allusions visuelles à la Lex Corp. Exit surtout l’humour des films précédents, et honnêtement, ce fut une excellente idée.
Enfin, on découvre un Superman qui mérite son surnom. Comme dans les comics, Superman se bat et bavarde peu. Dans son affrontement d’avec Zod et les autres Kryptoniens, il donne tout. Les immeubles de Métropolis sont littéralement détruits par ce choc des titans. Si le super souffle est absent, car ayant été trop sollicité dans les films précédents, la force considérable de Superman est exploitée au maximum. Ce n’est qu’après de longues minutes d’intense combat que Superman réussit enfin à triompher de son adversaire, ce dernier le conduisant toutefois à l’extrémité ultime, Superman étant contraint de tuer Zod pour protéger des innocents.
La relation avec ses parents adoptifs est également bien développée. L’étrange sacrifice de Jonathan Kent afin de préserver le secret de son fils est indéniablement émouvant. Les problèmes scolaires du jeune Clark sont également l’occasion d’exploiter un élément important de psychologie, le trouble identitaire d’un jeune adolescent découvrant des pouvoirs qu’il ne sait pas maîtriser et devant cacher son jeu aux yeux de tous.
D’un point de vue idéologique, Superman apparaît comme le résultat d’une assimilation pleinement réussie, au point où le héros se décrit comme « on ne peut plus patriote », comme tous les habitants du Kansas. A choisir entre une nouvelle Krypton et notre planète, il préfère la seconde au point de sacrifier tout son héritage pour sauver l’humanité.
Il convient de souligner que, dans une Amérique qui change, alors que les dernières données démographiques indiquent qu’en 2040 les américains de souche européenne seront minoritaires, Superman reste avant tout un héros WASP, malgré son origine extra-terrestre. Le film donne d’ailleurs, tout comme dans les Batman de Nolan, une place extrêmement réduite à la « diversité ». Le choix par ailleurs heureux d’un Perry White afro-américain, incarné par Laurence Fishburne, n’est que l’exception qui confirme la règle. Quant aux Kryptoniens eux-mêmes, ils n’ont guère de « diversité » en leur sein, pour ne pas dire aucune. Leurs cheveux bruns éviteront toutefois une allusion trop explicite à un certain régime du passé.
Ce Superman européen, trop européen pour plaire à Libération, nous offre ce que tous les fans de l’homme à la cape attendaient. La dimension héroïque du personnage est clairement assumée, au prix d’une romance avec Lois Lane réduite au minimum, la charmante Amy Adams ayant néanmoins un rôle clé. Là encore, Nolan fait le choix du réalisme. Le Superman qui met des lunettes pour devenir Clark Kent et se cacher aux yeux de Lois a disparu. Dès le départ, et avant même que Clark ne devienne Superman, elle sait qui il est et d’où il vient. Son côté journaliste d’investigation hors pair est d’ailleurs remarquablement exploité.
Quant à la bande originale, les thèmes de John Williams sont abandonnés. L’erreur de John Ottman dans Superman returns aura sans doute été de les conserver, même s’ils sont remarquables et ne seront pas remplacés dans la tradition populaire. Hans Zimmer, tout comme il avait mis de côté les thèmes de Danny Elfman pour Batman begins, repart à zéro. La musique est remarquablement adaptée au film, sachant magnifier le courage des protagonistes, Jor-El d’abord, dans une scène d’action enthousiasmante où il résiste seul à l’armée de Zod, puis Kal-El ensuite guerroyant entre les immeubles ou dans les rues de Smallville.
Man of steel pulvérise Avengers et annonce une suite qui ne pourra être qu’impressionnante. Dans ce concours entre Warner et Disney, malgré l’avance du second, exploitant au maximum la licence Marvel, il n’est pas sûr que DC Comics ne retrouve pas son rang. La trilogie Batman aura payé. Sans la patte de Nolan, il n’est pas sûr que Superman ait pu réussir son grand retour. Cela nous promet une Justice League d’anthologie pour 2015.
Sans être l’incarnation du surhomme nietzschéen, les allusions christiques dominant un personnage aux accents malgré tout apolliniens, ce Superman reste d’une dimension héracléenne. Ce ne sont pas au final les valeurs chrétiennes qui dominent un Superman qu’on retrouve pourtant à au moins deux reprises gisant les bras en croix, et même s’il vient prendre conseil auprès d’un prêtre. Au contraire, il agit plus par devoir que par compassion, avec une dimension romaine qui ne tient pas qu’à son physique, et trouve le sens de sa vie au combat. Certes, il n’est pas non plus un nouveau Conan, malgré cette scène où on le retrouve juché sur une montagne de crânes, avant de s’enfoncer dans le sol.
Avec des effets spéciaux remarquables, notamment exploités pour le montrer volant dans les airs, l’impression de vitesse étant parfaite, ou lorsque Krypton apparaît en début de film, avec un scénario bétonné qui donne une place non négligeable aux souffrances de la jeunesse du héros, dans un jeu constant entre enracinement et respect des valeurs enseignés, Man of steel est un grand film. Il est le Superman que la jeunesse d’Europe en 2013 était en droit d’attendre.
Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)
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