Elections italiennes 2013 : succès de Grillo, semi-échec de Bersani et chute de Monti
26/02/2013
A plus de 99% du dépouillement des suffrages aux élections législatives, les jeux sont faits entre Bersani et Berlusconi, même si les deux coalitions ne sont séparées que de 0,5% des voix. La « gauche » du Parti Démocrate et de ses alliés sera majoritaire à la chambre des députés, en raison d’un mode de scrutin qui favorise considérablement le parti arrivé en tête. Annoncé dans les derniers sondages à près de quatre points du vainqueur, Berlusconi réussit néanmoins un formidable tour de force en recueillant 29,1% des voix (21,5% pour son seul PDL), ce qu’aucun sondage ne pronostiquait. S’il échoue de très peu, il sort renforcé en cas d’élections anticipées dans les prochains mois.
Le véritable vainqueur de ces élections 2013 est le populiste revendiqué Beppe Grillo. Avec 25,5% des voix et sans coalition, le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) est devenu le premier parti d’Italie. Il triomphe dans tous les secteurs de l’opinion et dans toutes les régions. A plus de 33% en moyenne en Sicile, à plus de 29% en Sardaigne, mais aussi à près de 28% dans le Piémont, exact opposé géographique, et économique, des îles méridionales, Grillo domine. Il est à 28,2% dans le Latium I (Rome), à 32% dans les Marches, à 29,7% dans les Abruzzes, à 27,5% en Vénétie II et à 27,2% en Ombrie. S’il est plus faible dans le Val d’Aoste ou dans le Trentin Haut Adige, c’est en raison d’un fort sentiment régionaliste. En Lombardie, il est aux alentours de 20% mais est freiné par la résistance de la Ligue du Nord, qui s’effondre partout ailleurs.
Grillo mélange un argument d’extrême-gauche et d’extrême-droite, axé sur des thèmes europhobes mais aussi anti-immigration, également sur des thèmes libertaires, sur la lutte contre la corruption et contre la rigueur budgétaire prônée par Monti. Sorte de néo-qualunquisme, le phénomène Grillo rappelle par certains aspects le fascisme naissant de Milan, mélange complexe d’idéologies contradictoires, avec un autoritarisme assez évident de la part de ce tribun médiatique. Equivalent protestataire de gauche de ce qu’est le FN en France, il a su ratisser très large mais c’est un feu de paille, une façon pour de nombreux italiens de châtier Monti.
Monti est indiscutablement le grand perdant de ces élections. Avec 10,6% des voix, dont seulement 8,3% pour sa liste nominale, il échoue à peser dans le résultat final. Son allié de circonstance, le post-fasciste Gianfranco Fini, est brisé avec 0,5% des voix seulement pour Futuro e Liberta. Autres victimes de cette élection atypique, les néo-communistes, alliés à l’Italie des Valeurs de l’ancien juge Di Pietro [coalition « Révolution Civile »], qui obtiennent 2,2% et aucun siège.
L’extrême-droite est laminée, notamment en raison de ses divisions et de la concurrence efficace de Grillo. Les nationalistes modérés de Fratelli d’Italia obtiennent 2% des voix, ce qui est beaucoup pour un parti récemment créé, mais La Destra s’effondre à 0,6% des voix, Forza Nuova n’obtenant que 0,3%, Flamme Tricolore 0,1% et Casapound 0,1% (avec des pointes à 0,5% dans le Latium et à 0,6% dans le Val d’Aoste). La Ligue du Nord avec 4,1% des voix à l’assemblée (et 4,3% au sénat) est également une grande perdante. Elle avait obtenu 8,3% en 2008, mais seulement 4,6% en 2006, retrouvant donc son score antérieur à sa poussée des années 2007-2008, bien loin toutefois des 10,1% obtenus en 1996. La Ligue paye le prix des accusations de corruption contre son fondateur et ancien président Umberto Bossi. Enfin les Freiheitliche, version sud-tyrolienne du FPÖ, obtiennent 0,1% des voix au niveau national mais 8,1% des voix dans leur région.
Réunis, les différentes formations de la droite nationale au sens large obtiennent malgré tout 3,2%, ce qui reste un niveau extrêmement bas par comparaison avec les scores du MSI dans les années 80. Le reniement des idées néo-fascistes par Gianfranco Fini, dont il n’a pas été payé en retour vu le score minable de sa formation actuelle, a été fatal à cette mouvance qui désormais, divisée en chapelles s’ostracisant les unes les autres, est durablement marginalisée. C’est Beppe Grillo qui a tiré les marrons du feu, avec son néo-populisme du XXIème siècle, et non les nostalgiques du fascisme.
Au Sénat, même si la « gauche » l’emporte en voix, ni le PD ni le PDL ne sont en mesure d’y fonder une majorité. Seule une alliance Berlusconi-Grillo pourrait être majoritaire, mais elle est peu vraisemblable, de même qu’une alliance Bersani-Grillo. Cette instabilité pourrait amener à de nouvelles élections car les deux chambres ont un pouvoir absolument égal. L’Italie risque donc d’être ingouvernable. Avec 113 sièges pour la « gauche » et 114 sièges pour la droite, les 16 sièges des partisans de Monti et les 58 sièges de Grillo sont déterminants. Avec 31,6% contre 30,7% pour Berlusconi, les électeurs ont choisi plus nettement la « gauche » qu’à la chambre où la coalition autour du PD obtient 29,6% des voix contre 29,1% pour celle autour du PDL.
Moralité : l’Italie est ingouvernable et les électeurs ont renvoyé dans leurs cordes le candidat de la rigueur, soutenu par le système en place et par les autres dirigeants de l’Union Européenne, Merkel en tête. Avec un Grillo à plus de 25%, et une Aube Dorée annoncée en Grèce à 14% dans les sondages, le vieux continent en crise connaît une vague d’euroscepticisme et de populisme démagogique inquiétante. Il serait peut-être temps que les dirigeants des Etats ouvrent les yeux sur la réalité de la décadence de la civilisation européenne et veuillent la traiter.
Mais ce ne sont pas les hommes (et les femmes) de la situation, bien au contraire, et comme le dit si bien Grillo, « a casa ! » (« à la maison ! »), lui inclus.
Thomas FERRIER (PSUNE)
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