Octavien, politicien et stratège européen
23/12/2012
Caius Octavius Thurinus était issu d’une famille de petite noblesse de la cité de Vélitries, les Octavii, célèbres notamment pour avoir sauvé la cité d’une attaque ennemie en ayant réussi à s’attirer les bonnes grâces du dieu Mars en personne. Sous ce noble patronage, Octavien ne pouvait que réussir dans la cité du père de Romulus à faire de son nom un titre de gloire.
Il connaît sa première ascension médiatique dans l’ombre de son protecteur et père adoptif, Caius Iulius Caesar, mais l’occasion historique de devenir un acteur de premier plan de Rome lui fut donnée lorsque César fut assassiné par ceux qui se réclamaient de la République et du nom prestigieux de Brutus, vengeur de l’honneur romain et de celui de Lucrèce, libérateur des Romains du joug des souverains étrusques. Octavien passait alors pour un jeune homme sans envergure, mais plein de potentialités, et dont l’espace politique était étouffé par l’aura du principal lieutenant du dictateur, Antoine.
C’est dans cette époque troublée que le talent d’Octavien va apparaître dans toute sa quintessence. Antoine commettra l’erreur de gravement le sous-estimer, mais cela parce qu’Octavien appliquait à la lettre les principes du général spartiate Lysandros, « savoir quand porter la peau du lion et quand porter la peau du renard », et se faisait tout petit à ses côtés.
C’est ensemble qu’Antoine et Octavien combattront pour écraser, sous l’égide d’un Mars Vengeur, les insoumis autour de Brutus et Cassius. La bataille de Philippes déterminera le sort de Rome, partagé entre une dictature populaire et une république aristocratique. Paradoxalement, en apparence du moins, le plus républicain est Octavien, ami du peuple romain. C’est un homme réaliste, animé par une foi sincère en l’avenir de la cité de ses pères, et qui n’est pas prêt à transiger avec ses valeurs, même s’il sait les dissimuler.
Antoine et Octavien se partagent alors le monde. A Octavien, l’Occident avec Rome. A Antoine, l’Orient avec Alexandrie. Il tombe ainsi sous l’influence de la reine Cléopâtre, égérie de son mentor et professeur, et se rêve en nouvel Alexandre. C’est pour la même raison que César avait été tué car on craignait qu’il n’emmène Rome dans une aventure personnelle en Orient, là où Crassus avait connu un désastre. Octavien n’a pas besoin de manipuler la populace romaine pour obtenir son soutien. Par son attitude, il incarne Rome, alors qu’Antoine cède au charme de l’Egypte. Alors qu’Antoine sert Dionysos, Octavien se range du côté d’Apollon. L’ordre face à l’anarchie s’opposent, mais aussi l’Europe et l’Asie. Les dieux anthropomorphes de Rome et de l’Hellade s’arment pendant que les dieux à tête animale se reposent sous le soleil de l’Asie.
Avec Apollon et Mars à ses côtés, mais aussi Neptune, Octavien est le défenseur du continent européen contre les influences délétères de l’Asie ténébreuse. Actium anéantit les espoirs du couple italo-macédonien et reproduit au sein même de la république romaine la victoire de Scipion sur Carthage. Octavien a vaincu tous les obstacles et ira jusqu’au bout de sa mission. Ce n’est pas un homme avide de pouvoir, comme on le présente généralement, mais un homme de devoir. Ce n’est pas la Rome doucereuse des bacchanales nocturnes qui se présente face à Alexandrie, mais la Rome d’airain de l’Italie des origines. Octavien, nouveau Romulus, et émule de Mars, n’entend pas faire preuve de pitié. Cléopâtre, qui sacrifie son amant aux intérêts de l’Egypte, échouera pourtant à séduire le jeune chef de guerre. Tel un jeune lion, il dévore le fils de César, Césarion, qui aurait pu représenter une menace, mais laisse vivre les enfants d’Antoine et de Cléopâtre.
Octavien est ainsi le maître de Rome, à la fois en tant que dialecticien hors pair, capable de convaincre le peuple de le suivre pour châtier le traître, et en tant que stratège. Son projet pour sa cité peut alors émerger. Sorti vainqueur de plus d’un demi-siècle de guerres civiles, il va inventer un nouveau régime, le Principat, conservant les apparences de la république mais aussi les traditions de la Rome des rois italiques. Il hésite à se faire proclamer nouveau Romulus, et choisit finalement d’être Augustus, celui dont les augures ont été favorables, l’homme choisi par la Fortune pour emmener Rome au sommet.
Alors que César ne rêvait que de dépasser Alexandre, Auguste s’intéresse à son peuple, et s’appuie sur deux piliers, la Paix et la Prospérité, tels Mars et Mercure se faisant face au cœur du temple de la Concorde. Il fait ainsi bâtir l’Autel de Paix (Ara Pacis), signe un accord inédit avec les Parthes, obtenant ainsi la restitution des enseignes de Crassus mais aussi d’Antoine, et le retour des prisonniers de guerre romains. A côté du forum romain, il construit un forum augustéen dédié au dieu Mars Vengeur et à tous les grands noms de l’histoire romaine. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin, et se voulant le Périclès de Rome, il fait reconstruire ou rénover quatre-vingt temples afin que les dieux ainsi honorés soient du côté des Romains. Vainqueur des Cantabriens, il y ajoutera un temple de Jupiter Tonnant, le dieu de l’orage l’ayant protégé lors d’un combat.
Octavien est maître d’un empire immense, qui va de la Gaule à l’Egypte, mais qui comprend des populations très différentes. Octavien est et reste un romain et un européen. Les cultes égyptiens l’insupportent et il en interdit la pratique sur le pomœrium. Il veut moraliser la société romaine, limite ainsi le droit de divorcer, bannit les pratiques homosexuelles. Son objectif est de faire remonter la natalité romaine qu’il sait très basse. Il entend assurer le relèvement de la Rome éternelle, et lui offrir de nouveaux siècles de prospérité.
Auguste régnera près de quarante-cinq ans, ce qui est considérable. Et pourtant, les dieux ne lui permettront pas de voir son œuvre se perpétuer par des successeurs dignes de son nom. Seul Tibère aura pu survivre au prince et prendre sa place, sans être en mesure de continuer l’œuvre de son beau-père. Tiberius ad Tiberim. La fin de sa gouvernance n’est pas aussi lumineuse qu’après Actium. Varus et ses légions sont écrasés par les rebelles germaniques d’Arminius en 9 après J.C et la maladie assaille Octavien. En 14 après J.C, le fils adoptif de César s’éteint, ironisant sur sa vie, et se demandant s’il a bien joué la comédie du pouvoir. Il refuse les honneurs et surtout qu’on le considère comme un dieu. Son souhait ne sera pas respecté. Un culte au Divus Augustus verra le jour. Le prince aurait détesté. Toujours, durant sa vie, il avait fui l’hybris et honoré les dieux avec respect.
On honore Octavien pour mieux saboter son œuvre. La dynastie des Julio-claudiens sera exécrable et exécrée. Elle prendra fin avec la mort de Néron. Lui qui avait patiemment forgé le caractère de ceux en qui il voyait ses successeurs, Gaius et Lucius, ses petits-fils, morts bien trop jeunes, n’a pas pu les voir régner. Etait-il conscient à sa mort qu’il avait échoué à pérenniser son œuvre ? Mais Rome aura quatre siècles de vie encore, avant de s’effondrer, car le dieu Mars avait promis douze siècles de gloire à la cité de son fils, douze comme le nombre de vautours vus par Romulus dans le ciel bleu de l’Italie.
Romulus, Brutus, Augustus, ainsi était la trinité qui fit de la petite Rome le cœur d’un empire immense, détrônant l’Hellade. Mais le prix de tant de conquêtes se ferait un jour connaître et il dépassera la bourse des Romains.
Thomas FERRIER (LBTF/PSUNE)
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