Brèves européennes…
18/09/2011
RUSSIE
Dmitri Rogozine, ancien dirigeant du mouvement patriotique Rodina et désormais depuis plusieurs années ambassadeur de la Russie à l’OTAN, répondait ce samedi à une interview du journal Le Figaro. Il convient de souligner la profonde lucidité de cet homme politique russe sur la situation de l’Europe et sur les évolutions actuellement constatées dans le monde musulman.
Rogozine rappelle le caractère pleinement européen de la Russie, qui a étendu notre civilisation jusqu’à Vladivostok, considérant ainsi l’expansion territoriale vers la Sibérie comme une avancée de l’Europe et non comme une asiatisation de la Russie. Cela rappelle le propos de Vladimir Poutine en 2005 sur la « Grande Europe de l’Islande à l’Oural et par extension au Pacifique ». Il en profite pour rappeler aux européens de l’ouest qu’ils souffrent du multiculturalisme, remettant en cause leur européanité. L’européanité de la Russie ainsi affirmée, Rogozine s’oppose au courant eurasiste qui bien au contraire présente le peuple russe, contre les évidences historiques, comme un peuple spécifique.
Avec une évidente franchise, Rogozine expose la vision russe actuelle du monde musulman, qui lui apparaît menaçant, en Asie Centrale où il craint le départ des troupes de l’OTAN d’Afghanistan, et pris dans un choix cornélien entre la dictature et l’islamisme. Ce faisant, il reconnaît explicitement que la Russie a préféré choisir un tyran en Tchétchénie de peur d’une déstabilisation islamiste beaucoup plus dangereuse. Cela explique que, tout en refusant de soutenir les dictateurs arabes, la Russie s’oppose à leur déchéance, de peur de les voir remplacés par bien pire. Il est indéniable que la situation égyptienne actuelle, avec les manifestations anti-israéliennes et islamiques dans les rues, est plus que préoccupante. On comprend ainsi que dans le cas de la Syrie, la Russie ne permettra pas aux occidentaux de recommencer l’aventure lybienne.
Par ce positionnement sincèrement européiste, Rogozine rappelant à juste titre que les négociations bilatérales USA/Pologne risquent de mettre les autres européens devant un désagréable fait accompli, sans tomber dans les travers d’un anti-américanisme obtus, l’ambassadeur russe à l’OTAN apparaît comme le représentant de l’Europe authentique et européenne face aux intérêts et/ou aux soumissions atlantistes.
TURQUIE ET UNION EUROPEENNE
La victoire, déjà évoquée à plusieurs reprises sur notre blog, de l’AKP aux dernières élections législatives, encourage les accents autoritaires et islamisants du premier ministre Recep Erdogan, nouvelle idole de la rue arabe, et modèle pour les islamistes tunisiens et égyptiens. Les arrestations arbitraires de journalistes, de militaires et de penseurs laïcs, dans le cadre du procès de l’organisation Ergenekon, continuent, jusqu’à en émouvoir les journaux occidentaux tels que Marianne.
Cette arrogance atteint désormais des sommets. Après avoir renvoyé l’ambassadeur d’Israël en Turquie, Erdogan a menacé Israël de faire escorter les éventuelles flottilles « humanitaires » crypto-islamistes vers Gaza par des bâtiments de guerre de l’armée turque. Il menace les Européens de geler les relations diplomatiques avec eux si la présidence de l’UE est confiée en juillet 2012 à la Chypre grecque, contre laquelle il continue de se déchaîner tout en souhaitant une théorique réunification de l’île qui servirait de cheval de Troie turc dans l’UE.
Son ancien ambassadeur à Berlin affirme quant à lui dans Die Welt que « l’Union Européenne devrait prier la Turquie d’adhérer » et que les Turcs n’ont aucune raison de vouloir s’assimiler à la société allemande. Bien au contraire, il réclame pour eux une exception culturelle et la double nationalité. Rogozine rappelait avec ironie que Berlin était désormais la troisième ville turque la plus peuplée.
Europhobie islamisante, affirmation d’un certain nationalisme turc (dans le cas de Chypre), répression contre les Kurdes, hostilité avec Israël, rompant avec une tradition diplomatique ancienne, Erdogan met en place cette politique néo-ottomane proposée par son ministre Davutoglu. Ajoutons que récemment certains Egyptiens ont souhaité, alors que l’annonce d’une visite d’Erdogan était prévue, rappeler les liens anciens entre eux et les Turcs. Comme alternative à l’adhésion européenne, qui sert surtout pour l’AKP à briser l’indépendance de l’armée, et qui semble s’éloigner par la propre volonté du gouvernement turc, tout en continuant d’affirmer le contraire (principe classique de taqija), Erdogan envisage une grande politique moyen-orientale, pro-arabe et d’amitié avec l’Iran islamiste.
Les gouvernements européens devraient prendre acte des choix géopolitiques d’Erdogan et lui fermer définitivement la porte de l’UE. Cela permettrait éventuellement un choc salvateur en Turquie même, un renouveau kémaliste comme en 1923. Et surtout cela trancherait l’épineuse question des frontières sud-orientales de l’Union Européenne. Une autre réponse à la Turquie de la part de l’Europe serait de condamner explicitement l’occupation illégale d’une partie de Chypre par ce pays depuis 1974 et d’exiger son évacuation.
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