Nouvelle victoire de l’AKP !
13/06/2011
A l’issue du scrutin législatif de dimanche, le parti du président Abdullah Gül et du premier ministre Recep Erdogan a été reconduit aux affaires pour la deuxième fois consécutive, après une première victoire au forceps en 2002, face à des partis gouvernementaux accusés de corruption et d’incapacité à gérer les conséquences d’un tremblement de terre meurtrier, en l’occurrence une alliance entre une gauche nationale (DSP) et une droite nationale (MHP). En 2002, l’AKP, issu du parti islamiste Fazilet, lui-même scission du Refah d’Erbackan, avec 34.3% des voix, atteignait les plus hautes instances de l’Etat turc. Menacé d’interdiction et de dissolution par l’armée et la cour constitutionnelle, l’AKP confirma en 2007 sa légitimité populaire en obtenant 46.7% des voix, désavouant ainsi la réaction kémaliste, le CHP n’obtenant que 20.85% des voix, amenant son président à démissionner.
Les manœuvres de l’AKP pour rester aux affaires, et pour mettre une sourdine aux accusations, selon moi fondées, d’agenda islamiste caché, conforme à la stratégie de la taqija, ont été de différents ordres, relayés par une société de pensée islamiste, le Fethullah Gülen, sorte de franc-maçonnerie musulmane.
La première méthode a été de mettre en avant le complot Ergenekon, un rassemblement de kémalistes et de nationalistes décidé à faire tomber l’AKP. Ergenekon désigne la terre mythologique d’origine du peuple turc, là où il a fait la rencontre de la louve grise Asana, qui le conduisit en Anatolie. Par le biais de la justice, de nombreux journalistes et militaires de l’opposition ont été neutralisés et condamnés, au mépris visiblement des règles juridiques en vigueur dans les pays européens. Désormais, les velléités d’action de l’armée contre le gouvernement de l’AKP sont brisées.
La seconde méthode a été de se servir du processus d’adhésion à l’Union Européenne pour faire passer des réformes qui, au nom d’un alignement sur les conventions européennes, servaient l’intérêt du parti, toujours dans l’optique d’affaiblir les résistances kémalistes.
La troisième méthode pourrait avoir été de déconsidérer les dirigeants des partis d’opposition. En effet, peu de temps avant le scrutin, des vidéos à caractère pornographique mettant en scène plusieurs dirigeants du parti nationaliste MHP ont été révélées, amenant ces responsables à démissionner. Or, on sait qu’Erdogan espérait que le MHP n’atteigne pas 10% des suffrages, son élimination de toute représentation au parlement permettant à l’AKP de disposer du nombre de députés nécessaires pour changer la constitution.
L’AKP n’a pas complètement réussi son pari, puisque avec 326 députés sur 550, il échoue à obtenir les 2/3 des députés, et qu’avec 49.8% des voix, il rate de peu la majorité absolue. Il progresse néanmoins de plus de trois points en quatre ans, ce qui témoigne de la popularité du premier ministre et atteste aussi de la réislamisation de la société turque. Les républicains du CHP avec 25.9% des voix progressent de près de cinq points, ce qui est malgré tout un succès pour son nouveau président, qui avait mis le combat laïc en sourdine tout en accentuant son caractère socialiste.
Les nationalistes du MHP, héritiers d’Alparslan Türkes, survivent au scandale et en obtenant 13% des voix, et 53 députés, conservent presque intact leur capital électoral. Alors qu’en 1999 ils avaient atteint leur plus haut score, avec 18% des voix, mais qu’en 2002 ils avaient éliminé du parlement, ils avaient retrouvé un niveau convenable en 2007 avec 14.29% des voix. Leur légère régression s’explique par la candidature de plusieurs mouvements nationalistes dissidents, comme le MMP (« mouvement nationaliste et conservateur ») et ses 0,09% ou le MP (« parti national ») et ses 0,14%, mais surtout comme le parti national-islamiste BBP (0,73%), absent des élections en 2007. Les manœuvres dont le MHP a été victime ont donc pour l’essentiel échoué.
Si le rassemblement d’indépendants en faveur des populations kurdes, avec 6.64% et 36 députés, a bien résisté et s’est même conforté, il pourrait surtout être décisif si Erdogan, au prix de quelques concessions, avait besoin de députés supplémentaires pour faire passer ses réformes.
Les autres partis politiques, et notamment démocratiques et/ou socialistes, sont balayés. Le mode de scrutin proportionnel, alors qu’il favorise normalement les petits partis, neutralisé par cette barre fatidique des 10%, engendre en Turquie un phénomène de vote utile. Le CHP et le MHP en ont notamment bénéficié afin de mettre en place au parlement une opposition réelle à l’AKP. Les mouvements de type conservateur et/ou islamiste sont également fragilisés, en raison d’un vote utile en faveur du parti gouvernemental. Le Saadet Partisi n’obtient que 1,24% des voix, l’ « HEPAR » 0,28%. Le DSP, parti important avant 2002, tombe à 0,25% et est donc totalement marginalisé, tout comme l’extrême-gauche, réduite 0,21% des voix, les démocrates (DP) à 0,65% ou les libéraux du LDP (0,04%).
Cette victoire de l’AKP d’Erdogan n’est pas une bonne nouvelle pour les vrais européistes, naturellement opposés au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, même si ce dernier est actuellement au point mort. Il suffirait que le PS gagne en France et la SPD en Allemagne pour que les résistances en place disparaissent et que le processus mortifère reprenne. Dans tous les cas, Erdogan a réussi à se servir du dit processus pour renforcer son pouvoir sur la Turquie. De fait, les accusations d’autoritarisme qui lui sont reprochées paraissent fondées. Mais il est possible que la question de cette adhésion prenne fin si les manifestations d’autocratie du parti au pouvoir sont trop criantes et mettent fin au processus, et notamment si les atteintes aux droits des citoyens sont attestées de manière indiscutable.
Par sa victoire, l’AKP démontre en tout cas que sa démarche a réussi. Qui aurait pu croire il y a dix ans qu’une telle évolution de la Turquie aurait lieu. Recep Erdogan est d’ailleurs apparu vainqueur, auprès de son épouse et de sa fille voilées, devant les media. Est-ce de cette « Turquie », qui bafoue tous les principes de Kemal Atatürk, dont nous voulons comme membre de l’UE ?
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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