A propos de la chute de Moubarak
15/02/2011
J’écrivais ceci dans la journée de mercredi :
« Il est certain que les Etats-Unis ont lâché Moubarak, mais c’est un signe de faiblesse et non de force. Ils ne font plus l’événement, ils tentent de sauver les meubles. Dès lors que Moubarak était vacillant, il devenait gênant et il fallait penser à une solution de revanche.
Bien sûr, les Etats-Unis ont un moyen de pression sur l’armée égyptienne, laquelle bénéficie de subventions américaines. Comme ils ont lâché Moubarak, l’armée le lâchera aussi.
C’est la suite qui est difficile à prévoir. Probablement l’armée jouera-t-elle un rôle important. Sans doute jusqu’à imposer le successeur provisoire de Moubarak, peut-être jusqu’à faire un coup d’état si la situation devient trop instable. Quoi qu’il advienne, il faudra aussi compter avec le pouvoir de la rue, tant que des élections ouvertes n’ont pas eu lieu ou si ces élections se révèlent décevantes.
Bref, face à une rue qui a compris sa force, on voit mal les nouveaux gouvernants prendre une position trop ouvertement en faveur de la paix avec Israël. Par conséquent, on voit mal les Etats-Unis continuer longtemps de subventionner l’Egypte. S’ils ne le font pas, la situation économique, déjà mauvaise sous Moubarak, maintenant affaiblie par la baisse au moins provisoire du tourisme, va se dégrader rapidement.
Il en est qui sont prêts et n’attendent que cela. Ce sont les frères musulmans. Jusqu’ici ils se sont montrés remarquablement discrets. Si le chaos s’installe, ils prendront les rênes.
Comme le dit notre secrétaire général, les islamistes ont déjà gagné. Cela fait même un moment. On ne peut pas tenir un pays avec un dictateur vieillissant qui donne des gages à l’Occident. La stabilité en Egypte ne peut venir que de la volonté des Egyptiens. S’ils avaient une Europe forte comme modèle en face d’eux, non pas à imiter mais à concurrencer, peut-être chercheraient-ils des voies moins suicidaires que l’islamisme. »
Ce samedi, l’actualité s’est précipitée, mais ce que j’ai écrit reste essentiellement de mise. L’armée a joué un rôle déterminant, puisqu’elle prend le pouvoir provisoire, et, derrière elle, se dessine l’action des Etats-Unis, sans doute un peu trop prompts à démontrer qu’ils ont tiré les ficelles, jusqu’à annoncer un peu trop tôt l’issue.
Pour le moment, la situation américaine est la moins mauvaise que le président Obama pouvait espérer. Cependant, si ce dernier s’en est à peu près correctement sorti, c’est avant tout parce qu’il a lâché Israël, ce à quoi ses prédécesseurs n’ont jamais voulu se résoudre, disposant alors de marges de manœuvre plus conséquentes. Aujourd’hui le moment est alors venu de commencer à en mesurer les conséquences.
Certes, il n’y aura pas de dénonciation prochaine du traité de paix avec Israël. Cependant la situation va se dégrader progressivement, comme les relations ente Israël et la Turquie depuis l’arrivée du parti d’Erdogan au pouvoir. Malgré une armée qui tient à la coopération militaire avec Israël, la Turquie a commencé à dénoncer les accords, montant par ailleurs une opération agressive pour briser le blocus de Gaza. Si la tension entre Israël et Gaza remontait, si l’état d’Israël organisait une nouvelle expédition punitive, l’Egypte resterait-elle sourde à l’appel des frères du Hamas ?
Que peut faire Israël ? La paix aussi vite que possible serait la meilleure solution, à condition que ce soit une paix viable pour tous, ne menaçant pas Israël à terme et permettant aux Palestiniens de s’émanciper vraiment. Qui peut les aider pour cela ? On ne voit plus et c’est là le problème.
Aussi étrange que cela puisse paraître, l’intérêt d’Israël est que les habitants des pays arabes voisins aient une vraie perspective d’avenir, qui les fasse davantage s’occuper de leur développement propre que de leurs griefs envers tous les autres. Pour cela, puisque les Etats-Unis ont abandonné la croyance en eux-mêmes, il faudrait au moins que les Européens en aient une de leur côté.
Si une Europe forte ne voit pas bientôt le jour, le monde va devenir de plus en plus dangereux pour tous. Pour les Européens bien sûr, mais aussi pour tous les autres.
Peter Eisner
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