La chute de la maison Fini
03/08/2010
Gianfranco Fini, actuel président de l’assemblée italienne, a été sommé de démissionner par le président du conseil, et président de son parti, le Peuple de la Liberté, Silvio Berlusconi, en raison de positions incompatibles avec la doctrine du mouvement. Fini, qui était auparavant présenté comme le successeur naturel du cavaliere, voit ainsi ses ambitions, et on les sait démesurées, brisées par la décision du dirigeant, qui pourrait être contraint à de nouvelles élections car Fini a refusé de démissionner et a quitté le groupe avec environ 34 députés et 10 sénateurs, ce qui n’est tout de même pas négligeable.
Fini apparaît comme l’homme politique qui s’est le plus renié et son parcours politique peut servir de modèle à tous ces politiciens d’extrême-droite qui, lassés d’une radicalité stérile, aspirent à une reconnaissance de leurs concitoyens. A la mort du secrétaire général du Mouvement Social Italien, forme de néo-fascisme composite, symbolisé par une flamme qui fut ensuite reprise par le Front National, Giorgio Almirante, c’est Gianfranco Fini qui parvient en 1988 à la tête du parti. Sa victoire sera de courte durée puisque dès 1990 il est remplacé pour un an dans ses fonctions par un dur, Pino Rauti, partisan d’une fidélité absolue aux idées fascistes. Ce n’est qu’en 1992, à la suite d’un échec électoral du MSI, que Fini retrouve la direction.
Pour asseoir sa domination sur le parti, Gianfranco Fini ose dans les media tenir des propos extrémistes, comme en 1988 où il affirme que « le MSI réclame le droit de se référer au fascisme », et en 1994 où il déclare coup sur coup que « nous sommes fascistes, les héritiers du fascisme, le fascisme de l’an 2000 » et que « Mussolini fut le plus grand chef d’état italien du XXème siècle ». Ces propos, qui suscitent l’émotion et un scandale justifié, ne doivent pas tromper et sont destinés à rassurer ses partisans.
En 1993, aux élections municipales, alors que le MSI en 1992 n’avait réussi à obtenir que 5.37% des suffrages, Gianfranco Fini et Alessandra Mussolini connaissent des scores importants avec 47% des voix au second tour à Rome pour Fini et 44% des voix au second tour à Naples pour Mussolini. Cet échec tout relatif fait prendre conscience à Fini qu’il a encore une carte à jouer car l’accès à des responsabilités politiques est possible pour peu qu’il se débarrasse du boulet fasciste de sinistre mémoire.
A l’instar d’un Jose Maria Aznar voulant faire oublier son jeune phalangisme, Gianfranco Fini doit effacer le passé, alors même qu’il est connu comme le loup noir. La première étape est de tuer le MSI, ce qu’il entreprend en 1994 aux élections législatives en proposant aux électeurs une liste Alliance Nationale, qui connaît avec 13.47% des voix un succès significatif. Il faut dire que cette liste a réussi à récupérer de nombreux électeurs démocrates-chrétiens orphelins, du fait de l’opération judiciaire « Mains Propres » qui lamine les partis de l’établissement. Fort de ce score, Fini négocie la mise en place d’une coalition avec le grand vainqueur, Forza Italia de Silvio Berlusconi, et un autre parti émergent, la Ligue du Nord de l’exubérant Umberto Bossi. Bien que cette coalition dure peu, la gauche retrouvant rapidement le pouvoir, elle a permis à Alliance Nationale de sortir du ghetto.
La mue ayant commencé, Gianfranco Fini va la mener jusqu’au bout, jusqu’à aller se recueillir à Yad Vashem et condamner expressément le fascisme comme criminel dix ans après en avoir fait un éloge appuyé. C’est trop pour Alessandra Mussolini qui claque la porte bruyamment pour créer la marginale organisation Action Sociale (Azione Soziale) et tenter l’unité des néo-fascistes autour de sa personne dans le cadre de la coalition Alternative Sociale. Les néo-fascistes d’une manière générale évolueront comme leur mentor ou s’en iront dans des organisations plus radicales, comme Flamme Tricolore et autres groupuscules, ou plus récemment comme le mouvement « La Droite » (La Destra), qui représente environ 2% de l’opinion publique.
Les résultats aux élections encouragent son évolution, AN recueillant 12,03% aux législatives de 2001 et 12,34% à celles de 2006. Toutefois, une stagnation est constatée, le parti culminant entre 12 et 13% des voix. Il subit la concurrence de la Ligue du Nord chez ceux que l’immigration extra-européenne inquiète et la concurrence du parti principal de la droite, Forza Italia. AN est à sa manière satellisée, ce qui amènera cette dernière à se dissoudre au sein du Peuple de la Liberté, le parti unique de droite que Berlusconi met en place, parti qui réussira même à, au prix d’une réconciliation officielle, récupérer la petite fille du duce, en manque de réussite électorale. Gianfranco Fini, vice-président du conseil dans le second gouvernement Berlusconi, devient en 2008 président de la chambre dans le troisième.
Fini entend alors se positionner comme dauphin de Berlusconi tout en manifestant son indépendance. Publiquement, il désavoue les frasques du président du conseil, accablé de scandales en tous genres, et manifeste son opposition aux propositions de la Ligue du Nord de durcissement de la ligne sur l’immigration. Bien au contraire, Fini se montre partisan d’introduire le droit du sol en Italie, proposition qui était celle du social-démocrate Romano Prodi en 2005, ou en tout cas de faciliter l’accès à la nationalité italienne pour les étrangers présents dans le pays depuis cinq ans. En matière morale, il partage aussi les grandes lignes du programme du Parti Démocrate, se distanciant des positions plus démocrates-chrétiennes du gouvernement en la matière. En revanche, sur l’Union Européenne, Gianfranco Fini reste plus circonspect, attaché à la souveraineté nationale, seule vestige de son passé idéologique.
De néo-fasciste à centriste, Gianfranco Fini a opéré une mue idéologique spectaculaire, reniant le lendemain ce qu’il avait affirmé la veille. On ne peut que se réjouir qu’un homme politique ait abandonné l’extrémisme pour devenir plus conventionnel. Mais lorsque quelqu’un passe à ce point de positions antagonistes, cela ne démontre que le peu de sincérité du personnage. Or, l’arrivisme a une limite, celle de l’arrivisme d’autrui. Dans le duel entre Berlusconi et Fini, bien que les deux adversaires puissent être perdants, Fini a heurté un mur qu’on ne saurait franchir. Il est peu probable qu’il hérite un jour de la droite, ayant trop joué à être plus à gauche que la gauche elle-même et s’étant fait de nombreux ennemis. On ne saurait avoir confiance en un homme qui change trop rapidement de couleur de chemise. Et sur les questions sociétales, à force de se dédouaner d’un passé qui selon lui ne veut pas passer, alors que la société italienne semble se durcir, à l’instar de la progression de la Ligue du Nord, grand vainqueur des dernières élections régionales, il est désormais déconnecté des positions de la majorité, d’où l’ire de Berlusconi et sa volonté de l’épurer.
Mais si un François Mitterrand en France a pu devenir président de la république malgré un engagement contestable dans sa jeunesse et une action controversée pendant la guerre, malgré aussi un scandale comme celui du faux attentat de l’Observatoire, il ne faut pas enterrer trop rapidement Gianfranco Fini. Berlusconi n’est pas éternel et, une fois le vieux chef parti, qui pourra unir et diriger la droite. Nul doute qu’alors Fini saura trouver sa nouvelle doctrine pour en hériter puisque, on l’aura compris, du temps du MSI comme du temps du Peuple de la Liberté, il dit n’importe quoi.
Thomas Ferrier
Secrétaire général du PSUNE
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