Le problème des retraites en Europe
07/06/2010
Il y a plusieurs façons d'aborder le problème des retraites, suivant qu'on se place dans la situation idéale d'une société parfaitement stable, que l'on prenne en compte la réalité de la société française d'aujourd'hui, ou encore que l'on imagine une société en marche vers la situation idéale précédente. Cependant nous verrons que les solutions à apporter ne sont pas radicalement différentes.
Commençons par le premier cas, qui est un cas d'école. Par société idéale, nous entendons une société dont le taux de fécondité par couple serait un peu supérieur à 2, le remplacement des populations se faisant alors sans recours à une quelconque immigration, une société ne connaissant qu'un très faible taux de chômage, et, en même temps, une société où la protection sociale serait à un haut niveau, avec une espérance de vie même un peu supérieure à celle de la France d'aujourd'hui. C'est la société qu'on a pu entrevoir à la sortie de la dernière guerre.
C'est en pensant à ce modèle, pourtant déjà complètement obsolète, qu'on a abaissé l'âge de la retraite sous un gouvernement socialiste. Or c'était une grave erreur. Dans cette société idéale, stable, la responsabilité d'une génération envers celle qui la suit prend complètement son sens. Même si les jeunes d'aujourd'hui trouvaient facilement un travail, il ne serait pas normal de leur faire subir la charge d'entretenir des seniors encore capables de participer à la production des richesses. Car, dans une société solidaire, chacun doit apporter à la collectivité tout ce dont il est raisonnablement capable.
Le fait de travailler n'est pas nécessairement une punition. Tout dépend des conditions dans lesquelles s'effectue le travail. Certains travaux sont pénibles et ils ne peuvent être demandés trop longtemps aux mêmes personnes. D'autres demandent une grande fraîcheur physique et ils ne sont plus possibles au-delà d'un certain âge. Cela dépend bien sûr des personnes, mais le principe général est là. En revanche d'autres travaux peuvent être encore effectués par des seniors. Surtout si l'on adapte le rythme du travail à leurs capacités amoindries. Pour des fonctions d'organisation, d'encadrement, de conseil, ils sont parfois mieux placés que les jeunes. Le travail, si les conditions et le rythme sont adéquats, peut représenter une forme d'accomplissement, même pour un senior.
Pour que ce qu'on vient d'envisager soit réalisable, il faut rompre avec le dogme des carrières monolithiques : on entre dans la vie active comme conducteur de train à vapeur pour en sortir en conduisant des trains dont on ne s'est pas rendu compte qu'ils ne le sont plus. Bien sûr, malgré le progrès technique, la sécurité des passagers demande d'avoir des conducteurs de TGV en pleine possession de leurs moyens. Pour autant rien n'empêche d'affecter de vieux conducteurs à la formation des jeunes. Si c'était si absurde, pourquoi les conducteurs retraités se laisseraient-ils recruter pour former à l'étranger ?
Pour ce qui est du rythme de travail, il convient de l'aménager. Plutôt qu'un arrêt brutal, pourquoi ne pas prévoir un allègement progressif du temps de travail ? Par exemple, entre 60 et 70 ans pour donner un exemple, un mi-temps payé à 80%, dont 40% par l'employeur et 40% par les fonds publics. Dans ces conditions un senior est rentable pour tout le monde : pour l'entreprise qui l'emploie, pour laquelle il est compétitif, et pour la collectivité dans son ensemble, à qui il compte moins qu'un retraité.
Considérons maintenant la France d'aujourd'hui. Depuis quelques décennies, l'allongement de l'espérance de vie est indéniable. En même temps, le problème de la dépendance, dans une société plus urbaine, se présente comme une charge considérable si l'on veut y faire face. Surtout le déséquilibre va considérablement s'aggraver. Autrement dit, tout retard pris dans la mise à l'équilibre des régimes de retraite ne peut qu'engendrer la catastrophe. En réalité nous devrions avoir aujourd'hui des régimes très nettement excédentaires si nous voulions envisager sereinement l'avenir.
Dans ces conditions, si le passage à 60 ans de l'âge légal voté par les socialistes était une erreur, la façon désinvolte dont ils traitent le problème aujourd'hui est une grave faute. En fait il faudrait déjà produire une correction, immédiate mais limitée, de l'âge légal, le passer à 62 ans peut-être, avant d'envisager un allongement progressif.
Il convient de corriger un discours qu'on entend de la part de ceux qui prétendent proposer une solution juste du problème. Prendre en compte le nombre d'annuités n'est pas plus juste que considérer l'âge de départ. Peut-on raisonnablement penser que celui qui a longtemps galéré pour trouver un travail doive être puni sur ses vieux jours. La justice consiste à prendre en compte les deux paramètres : le nombre d'annuités, qu'on peut d'ailleurs plafonner comme on l'a fait et comme le fait encore un peu, et l'âge de départ. Dans le nombre d'annuités, on peut faire intervenir la pénibilité, mais si l'on sait aménager les fins de carrière, il n'y a pas de raison d'en tenir compte pour l'âge de départ.
On bute donc toujours sur cet aménagement du travail des seniors. Malheureusement, cela n'intéresse pas les syndicats, qui, dans la question des retraites comme pour le reste, ne s'attachent qu'aux symboles. Et cela n'intéresse pas la classe politique, de gauche comme de droite.
Pour finir, disons un mot d'une Europe qui voudrait se rapprocher du modèle idéal sans recourir à l'artifice de l'immigration, qui lancerait peut-être une grande campagne de repopulation, mais dont la natalité aurait été insuffisante pendant des années, avec au bout une pyramide des âges défavorable, au moins pour un certain temps.
Ce ne serait pas un allongement progressif de l'âge légal qu'il faudrait envisager, mais un allongement brutal. En même temps, c'est toute une redistribution de l'affectation des personnes actives qu'il faudrait programmer. Cela concernerait notamment les fonctionnaires.
La condition serait, bien sûr, l'existence d'une volonté politique. Cependant il ne faut pas désespérer. S'il est impossible de faire un petit pas aujourd'hui parce qu'on ne sait où l'on veut aller, on peut très bien accepter d'en faire un grand demain, s'il y a un destin commun. Comme les Allemands ont su reconstruire leur pays à la sortie de la guerre. Avec le plan Marshall, certes, mais surtout beaucoup de volonté et de courage.
Dans tous les cas le diagnostic est donc le même : travailler plus longtemps, partir plus tard, avoir un parcours professionnel varié et des fins de carrière adaptées. Le réglage des paramètres est la seule chose qui change.
Peter Eisner (PSUNE/LTBF)
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